Arménie 1915, centenaire du Génocide, exposition à l’Hôtel de Ville de Paris

Armenie 1915 centenaire du Genocide exposition Hotel Ville Paris
 
L’Hôtel de Ville de Paris propose, dans ses salles d’exposition du rez-de-chaussée, une intéressante et émouvante exposition sur le « Centenaire du Génocide arménien ».
 

La municipalité socialiste ouvre à l’Hôtel de Ville de Paris à une excellent exposition

 
Sans avouer quelque sympathie que ce soit pour l’équipe municipale socialiste en place à Paris – dont le dogmatisme est beaucoup plus prononcé qu’à Lyon, par exemple –, on doit reconnaître qu’il s’agit là d’une bonne initiative, qui ne relève, pour une fois, d’aucun clientélisme. Il est vrai que la communauté arménienne de Paris n’est pas particulièrement nombreuse. On déplorera toutefois les lourds sous-entendus du panneau introductif signé par Madame le Maire, selon lequel tout nationalisme conduirait plus ou moins au génocide, la meilleure garantie pour l’humanité étant dès lors le socialisme internationaliste et son père, l’humanisme maçonnique… On se permettra de ne pas partager cette opinion, la branche communiste du socialisme ayant causé, par exemple, plus de 100 millions de morts.
 
Mais, dans l’ensemble, l’exposition est excellente. Elle se visite en une heure, s’étend sur de grandes salles. Sa qualité tient notamment aux partenaires choisis : le Musée-Institut du Génocide Arménien et la Bibliothèque Nubar. On ne manquera pas la librairie, avec une collection d’ouvrages fondamentaux sur le sujet, dont la somme de Raymond Kévorkian [sur laquelle nous reviendrons sur réinformation.tv].
 

D’émouvants témoignages d’une chrétienté disparue – des témoignages précieux

 
L’exposition est faite de nombreux panneaux explicatifs, qui proposent des reproductions de photographies d’époque, agrandies à un format suffisant pour le public. Des vitrines montrent des objets historiques, témoignages personnels, traces de vies disparues, mais aussi et surtout cartes d’époques, discours et ouvrages – le visiteur ne voit certes que la couverture, avec souvent une image forte. Au total, elle comprend plus de 350 photographies ou reproductions et 150 objets très divers.
 
Les photographies des années 1890 à 1910 montrent une chrétienté, à travers ses églises et ses monastères. En effet l’Arménie historique, couvrant tout l’est de la Turquie actuelle, est chrétienne depuis le IVème siècle, avec donc quelques années d’avance sur l’Empire romain voisin. Cette chrétienté arménienne a été submergée par les Turcs et les Kurdes à la fin du XIème siècle. Ce nouvel état de précarité ne l’a pas empêchée de subsister encore au début du XXème siècle, avant son éradication brusque et totale de 1915-1916, marquée par l’anéantissement des vies humaines, mais aussi la destruction de tous les monuments chrétiens.
 
Cette extermination des hommes, ces destructions de leurs monuments, ont été accompagnées d’une négation systématique de leur génocide en Turquie. Malgré quelques nuances récentes, Ankara refuse toujours de reconnaître le fait historique du génocide arménien, n’admettant la réalité que de quelques massacres d’ailleurs attribués aux seuls Kurdes – peu aimés des Turcs – et des famines. La négation est aussi construite sur des minorations statistiques couvrant plusieurs décennies, et diminuant savamment le nombre réel d’Arméniens avant le génocide afin de mieux le nier.
 
Or le génocide, et c’est le grand apport de cette exposition, s’inscrit dans une histoire longue. Des Arméniens ont été régulièrement massacrés par des Turcs ou Kurdes avant 1915-1916. On peut considérer que le premier génocide remonte à 1894-1896, avec 300.000 morts. Une répétition plus locale, célèbre en son temps et aujourd’hui injustement oublié, est le massacre d’Adana en 1909, avec plus de 30.000 morts.
 
Les images pénibles, mais nécessaires, sont exposées et légendées avec soin. Les photographies sont prises par de nombreux témoins étrangers, ingénieurs, militaires ou diplomates allemands, ressortissants de la puissance alliée de l’Empire Ottoman en 1914-1918, ou missionnaires protestants américains –puissance neutre jusqu’au printemps 1917.
 
Les épisodes terribles du génocide de 1915-1916 sont présentés et illustrés suivant la progression chronologique adéquate.
 

Centenaire de 1915 : les données essentielles du génocide

 
De 1908 à 1918, l’Empire a été dirigé par le Comité Union et Progrès, dit « Jeune Turc ». L’efficacité de son programme génocidaire a largement été déterminée par l’association de l’État-parti avec les notables locaux, les cadres religieux et les chefs tribaux, et, ce qui n’est pas assez évoqué, un fond culturel islamique très dur envers les chrétiens.
 
En 1914, plus de deux millions d’Arméniens vivaient dans l’Empire Ottoman, les trois quarts dans l’est de l’Anatolie et la Cilicie, leurs territoires historiques, mais des communautés, ponctuellement nombreuses, étaient présentes dans toutes les provinces et la capitale Istanbul. Le génocide arménien ne bénéficiera d’aucune exception significative, pas même pour les petites communautés isolées ne présentant à l’évidence aucun danger stratégique en 1915. La « justification » immédiate du « transfert » forcé des Arméniens de l’Anatolie vers la Mésopotamie était leur supposée insurrection et l’aide militaire qu’ils auraient de ce fait apportée à l’armée russe en guerre contre la Turquie, mensonge historique, évidemment infondé, mais encore officiellement en usage à Ankara. Les Arméniens avaient été plus de trois millions en 1890 : le premier génocide en avait tué 300.000, avait causé au moins autant de conversions forcées à l’Islam, avec la comptabilisation désormais comme « Turcs » des nouveaux musulmans, et une émigration massive de plus de 400.000 autres Arméniens vers la Russie, alors en forte croissance, ou des mondes lointains, dont à peu près tous les pays américains. Plus d’un million et demi d’Arméniens périrent entre 1915 et 1923, la grande majorité en 1915-1916. Et environ un million d’Arméniens trouvèrent refuge à l’étranger, dans le monde entier après 1918.
 
Le génocide s’est opéré en plusieurs phases : l’élimination des conscrits ; l’élimination des élites ; l’élimination des autres hommes adultes ; la déportation des femmes et des enfants entre mai et septembre 1915 ; l’internement des survivants dans des camps de concentration du désert syrien, fermés à l’automne 1916. Et cette fermeture signifie massacre de ses occupants. De nombreux Arméniens, surtout des femmes, jeunes filles, enfants, sont capturés le long des marches de la mort, ou au plus tard dans les camps, par des tribus kurdes ou arabes, qui les réduisent en esclavage ou les islamisent de force.
 
La France métropolitaine a accueilli dans les années 1920 plusieurs dizaines de milliers de réfugiés, peut-être jusqu’à 100.000, qui ont fondé des communautés arméniennes, toujours vives de nos jours, le long de la vallée du Rhône, de Marseille à Lyon, avec Vienne et Valence. Il est peut-être dommage que cette population chrétienne, certes très bien intégrée de ce fait, contrairement à d’autres, n’ait pas plutôt été installée dans l’est du Liban, comme cela fut envisagé au début du mandat français en 1920, ce qui aurait assuré une majorité chrétienne dans le Pays du Cèdre et aurait été malgré tout moins déstabilisant, en un environnement culturellement plus proche, pour la première génération de survivants.
 

Une bonne interprétation du génocide arménien ?

 
L’exposition cède quelque peu à une mode historiographique discutable en évoquant un « siècle des génocides ». Il y a tout lieu pourtant de croire hélas que les massacres intégraux de peuples ont été courants dans l’Histoire. On en retrouve la trace chez les auteurs grecs et romains les plus anciens, comme chez les chinois et les indiens. De même, d’autres génocides ponctueront hélas le XXIème siècle, à commencer par celui en cours des chrétiens d’Orient en Irak, Syrie, et peut-être demain en Egypte.
 
Les panneaux de l’exposition rappellent certaines élucubrations d’époque de penseurs de la Nation turque des années 1900-1910 exaltant une « race » turque, d’ailleurs très fortement métissée par l’apport d’innombrables esclaves, et prônant l’élimination des Arméniens, par massacre, expulsion vers l’étranger, conversion forcée… Ce dernier aspect, pour monstrueux qu’il soit, démonte le mythe de l’explication « raciste », au sens exclusif donné à ce mot depuis les années 1980, et non celui alors très courant de « peuple ». Il y a en fait continuité, pour le pire, entre les élites traditionnelles de l’Empire, et les modernisateurs maçonniques « Jeunes Turcs », au pouvoir à partir de 1908.
 
Plutôt que de présenter d’illustres inconnus, idéologues confus et peut-être marginaux dès l’époque, il aurait été plus simple et juste d’insister, surtout pour le grand public français peu au fait de ce génocide, sur les responsables directs en fonction à Istanbul en 1915-1916, les ministres de l’Intérieur Talât et de la Défense Enver. Or, ils sont relativement populaires en Turquie aujourd’hui, et leur successeur direct Mustafa Kemal Atatürk reste un héros national intouchable. Il a pourtant éliminé les derniers survivants du génocide arménien en Anatolie en 1919-1923… Les points les plus sensibles pour la Turquie actuelle ne sont pas niés, mais diplomatiquement édulcorés.
 
En fait, les élites turco-musulmanes de l’Empire Ottoman, en ses dernières années de fort recul territorial, très durement ressenti de 1878 à 1914, avec en 1912 l’expulsion de l’essentiel des Balkans, pensent assurer leur salut en éliminant les populations chrétiennes jugées dangereuses, potentiellement sécessionnistes, de leur propre fait et surtout de celui de l’intervention des puissances européennes. Le premier génocide de 1894-1896 détruit une probable majorité arménienne dans les provinces de l’est de l’Anatolie et de la Cilicie. Ce génocide s’intègre dans un projet durable de consolidation d’une Nation turque et musulmane couvrant toute l’Anatolie, en éliminant toutes les populations chrétiennes, arméniennes par le génocide, ou grecques par des expulsions massives en 1922-23, ponctuées de terribles massacres.
 
L’islam ne recommande certes pas le massacre des chrétiens. Il faut pourtant remarquer la continuité dans la persécution avec l’Etat Islamique, arabe sunnite fondamentaliste, centré sur la Syrie de l’est et l’Irak de l’ouest, soit des terres ottomanes jusqu’en 1918. Même s’il s’agit de populations arabes, et non turques, le fond islamiste leur est commun. Sans être niée, cette dimension culturelle islamiste fondamentale paraît là encore quelque peu diplomatiquement édulcorée. A l’époque, entre 1915 et 1918, ont lieu des génocides parallèles de chrétiens de l’Empire Ottoman, les Assyriens, au sud de l’Arménie et nord de la Mésopotamie, et des Maronites du Mont-Liban – par famine délibérée ; ils auraient pu être évoqués par au moins un panneau, ce qui, sauf distraction de notre part, n’est pas le cas.
 
S’il faut la visiter évidemment avec esprit critique, cette excellente exposition est à voir absolument.
 

Octave Thibault

 
Arménie 1915 – Centenaire du génocide
Exposition gratuite à l’Hôtel de Ville
Salle des Prévôts – Entrée par le Parvis de la Libération
M° Hôtel de Ville
Jusqu’au 4 juillet
Tous les jours sauf dimanches et jours feries de 10h00 à 18h30