François Fillon a maintenant six affaires sur le dos. On ne sait pas d’où viennent les fuites. Mais on voit des « amis » politiques qui considèrent déjà le candidat comme moribond et attendent la curée. En tête de ces charognards, François Bayrou.
Il faut le répéter aux plus jeunes lecteurs qui ont trop vu de films américains, le journalisme d’investigation n’existe pas. Ce que j’ai rencontré en quarante ans de carrière, ce sont des relations dans la police, dans l’armée, la magistrature, ou chez les politiques, et parfois quelques vérifications vite faites. Les six affaires qui tombent à point nommé sur la tête de ce pauvre Fillon relèvent bien évidemment, même si cela n’en fait pas un saint et qu’il a profité des largesses que la république distribue à ses élus, d’une opération politique menée par des « professionnels ».
Les charognards passent par le Canard pour diffuser les affaires
Qui la dirige ? Nul ne le sait. Les canaux par lesquels elles sont venues à la connaissance du public, le Canard enchaîné et Médiapart, sont les journaux officiels de la délation républicaine. Dès que l’intérieur ou Bercy, ou simplement quelque fonctionnaire frustré a, pour quelque raison que ce soit, une information à diffuser, ils passent par là. Par soucis d’efficacité. Quand Minute raconta la double vie de François Mitterrand avec Anne Pingeot, personne n’y crut dans les beaux quartiers, quoi que tous les initiés sussent que c’était vrai : l’estampille Canard, relayé ensuite par Le Monde et le Nouvel Observateur (aujourd’hui : France Info, BFM TV) est le bon circuit. Donc, même la droite l’utilise. Les affaires Fillon ont pu être lancées par Hollande, Cazeneuve, Valls, Macron, mais aussi par Dati, Sarkozy ou Juppé, ou par n’importe qui d’autre.
Les affaires Fillon satisfont tout le monde
Impossible aussi de tirer profit du vieil adage, is fecit cui prodest : les ennuis de François Fillon satisfont trop de monde. Beaucoup de ses amis de droite : lui président, leur carrière était finie. La gauche : dans la confusion qui s’installe, elle rêve, elle qui voyageait depuis trois ans dans le train fantôme, de revenir à l’Elysée en fanfare. Surtout si Marine Le Pen s’embourbe elle aussi dans ses affaires. Enfin le centre jubile. Le vieux centre de toutes les compromissions et toutes les magouilles, le vieux centre issu des radicaux et du MRP, toujours moralisateur, qui se considère déjà comme l’avenir de l’univers, avec son goût de Bruxelles et son économie sociale de marché. Et puis les affaires réjouissent aussi tous ceux qui ne pouvaient pas sacquer Fillon et sa tête de notaire honnête, et cela fait un sacré monde. Les affaires Fillon, c’est du pain bénit pour une campagne présidentielle ennuyeuse que les sondeurs annonçaient déjà pliée.
François Bayrou, tueur à froid et éternel candidat
Elles relancent ainsi un vieux clown qui a déjà orné les scrutins de 2002, 2007 et 2012, François Bayrou. La paupière mi-close et la mâchoire implacable, il a déploré avec des mines d’équarrisseur navré le « trouble énorme » causé par les affaires Fillon, le « désordre et le chaos sans précédent que les citoyens voient avec stupéfaction et désarroi ». Puis il s’est posé « deux questions » gourmandes : « Est-ce que la loi est la même pour tous ? » Et est-ce que ceux qui « demandent des sacrifices » ne « renforcent » pas les « avantages » dont ils jouissent. Tiens, Fillon, prends donc ça dans la figure, en douceur. Ces choses-là sont dites en termes papelards pour être plus efficace : hyènes et chacals mordillent d’abord le cadavre pour s’assurer qu’il est bien mort. Les charognards sont nécessairement prudents, ils ont lu la fable de l’ours.
François Bayrou s’y connaît : n’oublions pas que c’est lui qui a eu la peau de Giscard et lui a piqué l’UDF. Ce tueur à tête de veau, ce janissaire bègue, est un artiste dans son genre. Son ambition l’inspire. Il se rappelle que Chirac et Mitterrand ont chacun échoué deux fois avant de devenir président, lui espère toujours au quatrième essai, Mitterrand lui a dit un jour (pour plaisanter ?) qu’il irait à l’Élysée. Alors, piété sur le corps encore chaud de François Fillon, il déplore la « situation extrêmement grave » de notre pays, et annonce sa « décision » pour mi-février, en promettant : « Je ferai tout pour que la France s’en sorte ». Sans rire.
Pauline Mille