“Bossuet, Conscience de l’Église de France” : Aimé Richardt

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Nous devions déjà à Aimé Richardt un Fénelon couronné par l’Académie française. Il tourne ici ses regards vers son contemporain, Bossuet, dit l’Aigle de Meaux – la tradition donne à l’aigle seul le pouvoir de regarder le soleil en face, ce que fit Bossuet face à Louis XIV. Personnage éminemment religieux, mais aussi politique, il fut celui qui fustigea la cour et offrit de brillants garde-fous contre le protestantisme, le jansénisme ou le quiétisme. Bossuet fut aussi et surtout le chef de file du gallicanisme triomphant de ce XVIIe siècle français. Aimé Richardt y voit une « conscience de l’Église de France » – une prise de conscience plutôt, dirons-nous, qui n’était pas sans écueils.
 
Né en 1627, Jacques-Bénigne Bossuet vit clair en sa vocation tout en reconnaissant son indéniable valeur intellectuelle. Sa réputation d’orateur sacré de la cathédrale de Metz l’appela très vite à Paris, où il fit la conquête de la Reine-mère, puis de Marie-Thérèse, épouse du Roi-Soleil. Bossuet allait pénétrer le monde libertin et futile de cette cour royale dont il connaissait déjà les ressorts, tout en en refusant les modes de vie. Et y régner sans pourtant qu’on lui obéisse.
 

« Nul soupir, nulle complaisance que pour Jésus-Christ et par Jésus-Christ » Bossuet

 
Il y prêche les Carêmes. Les Avents. Pointant sans fard l’orgueil et la soif de plaisir des riches, le vice des libertins et le scandale des amours « déshonnêtes » incarnées par le duc d’Orléans et ses « gibiers de bravache ». « Personne n’a parlé à la Cour avec cette hardiesse évangélique, toute pleine des enseignements de saint Vincent de Paul » écrit son grand biographe Jean Calvet. « Buvez, pécheurs, que trouvez-vous au fond ? Pécheurs sans scrupule, vous buvez un long oubli de Dieu… Vous attendez la vieillesse ? Mais l’habitude vous retiendra dans le vice. Vous aurez la honte de la vieillesse de Salomon. Vous n’aurez plus que des regrets qui renouvellent tous les crimes » les harangue-t-il. Son style est direct et ne s’embarrasse pas de compromis sur la question de la morale.
 
Ce qui n’empêche pas Louis XIV de le nommer orateur sacré titulaire de la Cour. Siècle paradoxal qui, si ses délires ressemblaient à ceux d’aujourd’hui, offrait néanmoins la tribune à celui qui savait les vilipender… Bossuet, subtil, savait aussi ménager ses traits politiques pour garder cette influence spirituelle. Ses oraisons funèbres sont des bijoux d’éloquence, de celle de la Princesse Palatine à celle du Grand Condé. Grand amoureux de Saint Augustin, il s’occupera avec soin des moniales de son diocèse de Meaux, leur offrant les Méditations sur l’Évangile puis les Élévations sur les Mystères, ses plus beaux ouvrages, de l’avis de l’auteur.
 

Un siècle de « fermentation religieuse » (Aimé Richardt)
Les Protestants

 
La Réforme avait fait son œuvre. La quasi-totalité des catholiques « faisaient leurs Pâques ». Et malgré le relâchement de certains monastères, le clergé se montrait plus instruit et plus fervent. Mais les courants étaient pluriels et les rivalités âpres – l’auteur parle d’un siècle de « fermentation religieuse ».
 
Le Bossuet controversiste y prit sa part, et large, en tentant d’éclairer le million de Protestants français du début du règne de Louis XIV. De sa Réfutation du catéchisme de Paul Ferryà son Exposition de la Doctrine de l’Église catholique, presque vingt ans plus tard, Bossuet approuve la révocation de l’Édit de Nantes de 1685, tout en reconnaissant son « insuccès presque général » et « la différence profonde qui existe entre les anciens catholiques et les anciens convertis »… Les moyens furent en effet de tout ordre, de la pression militaire à l’amadouement fiscal. « La douceur ramène plus d’âmes à Dieu » concède Bossuet, tout en soutenant l’action royale.
 
Retenons néanmoins, face aux protestants, ce bel argument bossuétien qui ne devrait pas avoir vieilli : « Toujours unis à la chaire de Saint Pierre, où, dès l’origine du christianisme, on a reconnu la tige de l’unité ecclésiastique, nous n’avons jamais condamné nos prédécesseurs, et nous laissons la foi des Églises telles que nous l’avons trouvée. Nous pouvons dire sans crainte d’être repris que jamais on ne montrera dans l’Église catholique aucun changement que dans des choses de cérémonie et de discipline, qui, dès les premiers siècles, ont été tenues pour indifférentes. »
 

Contre les Jansénistes, les Jésuites et les Quiétistes : « comme une plaie à son flanc »

 
Pour Richardt, Bossuet a tenu le milieu entre les Jésuites, dont les « accommodements avec le Ciel » servaient la vie dépravée de la Cour (cf la doctrine du « probabilisme ») et les Jansénistes « qui privaient la plus grande partie des hommes de l’espérance du salut ». Il attaqua les premiers, tenta, sans grand succès, de convaincre les seconds. Mais remporta la bataille théologique qui l’opposa au quiétisme – et à Fénelon, son hardi défenseur. Cette pensée issue des réflexions d’un théologien espagnol professait que l’âme, parvenue à la contemplation absolue de Dieu, ne pouvait plus redouter les peines de l’Enfer, et ne devait plus s’inquiéter sur cette terre, de son Salut…
 
Cependant, Bossuet est lié plus que tout au gallicanisme. Les relations entre Rome et le Vatican n’étaient pas, en effet, au beau fixe, comme le démontrèrent l’affaire du droit de Régale, qui posa la question de la suprématie du pape et des évêques sur les décisions du Roi. Bossuet tempéra d’abord son soutien au pouvoir royal, puis céda sous ses instances et rédigea en 1682 les fameux Quatre Articles de la Déclaration du Clergé de France sur la puissance ecclésiastique. L’hérésie pouvait survenir – le pape réagit avec force. Et, si malgré tout le ton s’apaisa avec les années, c’est la raison pour laquelle Bossuet, malgré son prestige – le prélat est entré à l’Académie en 1671 – ne devint jamais cardinal….
 

Bossuet, « conscience de l’Église de France » ?

 
Bossuet, « conscience de l’Église de France » ? La querelle entre le Roi de France et le Prince du Vatican était tout à la fois politique et religieuse. Bossuet a pris fait et cause pour une tendance qui, répandue dans le clergé français, permettra au final, un siècle plus tard, l’adoption sans trop de heurts de la Constitution Civile du Clergé. Ambiguë conscience donc… dans une affaire qui frôla le schisme. Bossuet ne souhaitait aucune séparation d’avec Rome. Mais peut-être encore moins d’avec Louis XIV. Il défendra le gallicanisme toute sa vie.
 
Ses doutes, il les réserva à sa fonction au sein de la cour. A tenter de persuader un roi de son devoir d’exemple, à essayer de former un jeune prince, le Dauphin, qui n’entendait rien à rien, à admonester un parterre d’irrésolus, n’était-ce pas d’une certaine façon une caution bien involontaire de cette cour dépravée ? Ses interrogations à la fin de sa vie vont en ce sens. De la cour, il ne voyait plus que le manteau d’hypocrisie qui la recouvrait – l’amertume rôdait. Mme de Maintenon l’avait déjà écrit : « Il a beaucoup d’esprit, mais il n’a pas l’esprit de la cour ». La lutte fut sûrement trop longue.
 
Bossuet meurt le 12 avril 1704, fort d’un œuvre écrit recouvrant 43 volumes dans l’édition de Versailles de 1819. C’est pourtant à l’unique appui de Dieu qu’il recourt dans sa longue agonie : « Non, mon Dieu, je ne puis croire que vous m’ayez inutilement cette confiance en votre bonté, mon salut est infiniment mieux entre vos mains que dans les miennes, et je veux m’y abandonner sans retour sur moi-même ; car on ne peut se voir sans vous, ô mon Dieu, qu’on ne tombe dans une espèce de désespoir ».
 
Marie Piloquet
 
Bossuet, Conscience de l’Église de France : Aimé Richardt, éditions François-Xavier de Guibert 363 p.