L’autre explication de la course vers l’indépendance de la Catalogne : la fin du secret bancaire à Andorre au 1er janvier 2018

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On a peu parlé hors d’Espagne d’un aspect pourtant essentiel de la soudaine accélération de la course vers l’indépendance de la Catalogne : la levée du secret bancaire à Andorre à partir du 1er janvier 2018. Les élections régionales anticipées de 2015 avaient donné une majorité relative au parlement catalan à la coalition indépendantiste Junts pel Sí (Ensemble pour le Oui, JxSí) intégrée par le parti de centre-droit CDC (Convergence démocratique de Catalogne) du président de la Généralité de Catalogne de l’époque, Artur Mas. C’était un an après la consultation populaire sur l’indépendance (déjà interdite par le Tribunal constitutionnel espagnol) organisée par le président Mas. En s’alliant au parlement à la CUP, parti indépendantiste d’extrême gauche, en échange du retrait d’Artur Mas, JxSí a pu former un gouvernement sous la direction de Carles Puigdemont, avec une feuille de route tablant sur une indépendance à la mi-2017, délai ensuite repoussé de quelques mois. Les mauvaises langues prétendent donc que le choix de la date n’est pas dû au hasard : à partir du 1er janvier 2018, en vertu d’un accord signé en février 2016 avec l’Union européenne pour l’échange automatique d’informations fiscales, la Principauté d’Andorre lèvera le secret bancaire couvrant jusqu’ici les comptes détenus par les étrangers. Les données sur les fonds appartenant aux citoyens des pays de l’Union européenne seront divulguées aux administrations fiscales concernées.
 

L’indépendance de la Catalogne pour fuir la justice espagnole avant la levée du secret bancaire à Andorre

 
Cet accord signé en 2016 était l’aboutissement de plusieurs années de négociations pour mettre fin aux paradis fiscaux en Europe. Or il semblerait que plusieurs figures historiques du mouvement nationaliste catalan qui se sont radicalisées ces dernières années pourraient avoir beaucoup à craindre de cette levée du secret bancaire, Andorre ayant été pendant plusieurs décennies une destination de choix pour l’argent de la corruption des élites catalanes.
 
Les affaires de corruption, qui avaient conduit à une première vague d’arrestations en 2015, affectent en premier lieu la CDC, devenue PDeCat (Parti démocrate européen catalan) en 2016. Il est notamment avéré que des édiles municipaux et régionaux de ce parti percevaient entre 3 et 4 % sur chaque appel d’offres et qu’une partie de cet argent alimentait une caisse noire de la CDC tandis qu’une autre partie servait à leur enrichissement personnel. On a appelé cela « l’affaire des 3 % ». Cette affaire a éclaté en 2005 sur dénonciation des socialistes catalans, mais l’enquête n’a commencé à inquiéter les politiciens liés à la CDC qu’à partir de 2012, c’est-à-dire après la fin du deuxième gouvernement Zapatero qui avait besoin du soutien de ce parti (encore fédéré à l’époque avec le parti chrétien-démocrate UDC au sein de la CiU – Convergence et Union) au parlement de Madrid. Or le tournant ouvertement indépendantiste de la CDC date de la période 2010-2012, avec une accélération en 2015 (qui a conduit à l’éclatement de la CiU), quand se profilait à l’horizon l’accord de l’UE avec la Principauté d’Andorre.
 

Un système de corruption généralisée mis en place par la CDC de Jordi Pujol, Artur Mas et Carles Puigdemont

 
Une violation du secret bancaire a déjà affecté la famille Pujol. Jordi Pujol, le fondateur de la CDC, était président de Catalogne de 1978 à 2004. L’affaire Pujol a éclaté en 2014. Pujol aurait amassé, avec sa femme et ses sept enfants, plus de 70 millions d’euros en 30 ans. Des millions qui avaient été emportés en Andorre dans des valises. Deux fils de Pujol (Jordi Junior et Oriol) sont aujourd’hui en prison pour leur rôle dans le système de corruption mis en place par la CDC et Jordi Pujol a été privé de ses privilèges d’ancien président. Le 1er octobre dernier, il a été pris en photo alors qu’il votait dans le cadre du référendum d’indépendance illégal. La levée du secret bancaire pourrait dévoiler d’autres fortunes amassées illégalement par les élites politiques et économiques catalanes proches de la CDC.
 
C’est pourquoi il existe en Espagne une thèse tout à fait sérieuse sur les raisons de la crise actuelle : inquiets pour leur avenir, les dirigeants de la CDC auraient choisi de se radicaliser et d’accepter les conditions imposées par la gauche et l’extrême gauche indépendantistes afin de se mettre hors de portée de la justice espagnole, dans une République de Catalogne indépendante, avant le 1er janvier 2018. Les anticapitalistes de la CUP, qui éprouvaient jusqu’ici un profond mépris pour les libéraux de la CDC, auraient profité de la situation délicate de ces derniers pour imposer leur programme révolutionnaire en Catalogne.
 

Olivier Bault