La Chine fabrique des « icônes » virtuelles pour la jeunesse, comme la chanteuse Luo Tianyi, pour apprendre la pensée correcte aux « Millenials »

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Chine assume sa volonté de répandre la parole communiste – et surtout celle de Xi Jinping désormais gravée dans le marbre de la constitution – puisque c’est sa presse elle-même qui explique comment elle apprend la « pensée correcte » à sa jeunesse. Sans l’ombre d’une critique, le chroniqueur Xie Wenting du Global Times, organe anglophone du dispositif médiatique contrôlé par le parti communiste, explique comment des artistes virtuelles ont été créées pour servir d’« icônes » aux nouvelles générations. Voici la chanteuse Luo Tianyi, « vocaloïde » ou hologramme programmé pour dispenser la bonne parole.
 
Luo Tianyi est une chanteuse, capable de remplir les stades comme elle l’a fait à Shanghai en juin. Celle qui déplace les foules et compte un fan-club qui rassemble des millions d’individus n’est pourtant qu’un évanescent hologramme créé par ordinateur, parfaitement contrôlable par ses « maîtres ». La Ligue de la jeunesse communiste chinoise (CYLC), séduite par le personnage virtuel, l’a officiellement recruté à l’instar d’autres organisations gouvernementales qui ont toutes le souci d’« essayer d’instiller la pensée correcte dans la jeune génération grâce à ses chansons », comme le dit sobrement The Global Times.
 

Les « Millenials » chinois ont une idole virtuelle : la chanteuse « vocaloïde » Luo Tianyi

 
Figure bidimensionnelle ou « erciyuan » – un acronyme qui désigne l’animation, les bandes dessinées et les jeux – Luo Tianyi prône l’amour des institutions communistes. Le CYLC lui-même est vanté dans une chanson qu’elle interprète avec un partenaire humain. Un duo sirupeux où l’on entend notamment les mots : « Bien que le CYLC ait 95 ans, notre cœur est toujours avec vous, les jeunes. »
 
Pour créer Luo Tianyi il a fallu l’expertise de la société japonaise Yamaha Corporation et le la compagnie chinoise Thstars, spécialisée dans la création d’idoles virtuelles. Le directeur de cette dernière, Cao Pu, vient d’ailleurs d’annoncer que la coopération va se renforcer avec la Ligue de la jeunesse communiste chinoise en même temps que Luo doit servir toujours davantage comme ambassadrice pour promouvoir la culture chinoise et les productions « Made in China ».
 
Pour voir un échantillon, c’est par là : c’est de « l’art » totalement synthétique, entièrement déshumanisé.
 
Comme l’explique Cao Pu, ses chansons permettent de s’exprimer sur des sujets sociétaux brûlants et d’instiller des « valeurs positives » dans les jeunes générations. De son côté, CYLC affirme que la Ligue est « heureuse de voir le développement de toutes sortes de sous-cultures pourvu qu’elles ne fassent pas de mal aux adolescents ». L’avantage des « icônes » virtuelles est évident : pas de risque d’abus de stupéfiants, de comportements sexuels débridés, de « fautes éthiques »…
 

La Ligue de la jeunesse communiste a embauché Luo Tianyi pour répandre la pensée correcte

 
D’ailleurs les chansons de Luo sont le fruit de compositions participatives : les internautes peuvent télécharger un programme d’édition musicale et une banque son pour créer des morceaux qu’ils peuvent ensuite télécharger vers un « sanctuaire Web » de Luo : reste alors à attendre si le titre va être sélectionné pour être interprété en concert et diffusé dans un album de la « chanteuse ». Les mauvais plaisantins qui mettent en ligne des chansons plus discutables savent qu’elles ne tiendront pas longtemps face à une censure constante et tatillonne.
 
Au siège de la société qui gère l’artiste virtuelle, c’est un flot incessant de cadeaux envoyés par les fans : des fleurs, des gâteaux, des lettres. Luo Tianyi, « adolescente de 15 ans », n’est-elle pas « un ange descendu sur Terre pour lui apporter la musique » ?
 
Ren Li, un ancien de Thstars qui a fondé sa propre société de création d’idoles virtuelles, Shanghai Wwangcheng, détaille les avantages des popstars virtuelles avec beaucoup de candeur. « Elles sont beaucoup plus faciles à gérer, à la différence des stars réelles qui prennent leurs propres décisions et font les choses comme elles l’entendent, ce qui est difficile à contrôler. Les idoles virtuelles peuvent être modelées pour être comme vous le souhaitez, vous. Elles ne montrent que ce que vous y instillez », se réjouit-il.
 
En Chine, les icônes virtuelles sont créées à partir des « big data » pour mieux diffuser les idées communistes
 
Au fond, c’est le rêve communiste exprimé dans le virtuel : changer l’homme et diriger ses moindres actions et pensées, qui doivent tout être conformes à la pensée unique. Mais cela est fait habilement : ainsi, les idoles virtuelles sont conçues à partir des « big data », des innombrables données informatiques recueillies sur ce que les jeunes aiment et apprécient.
 
C’est aussi une histoire de gros sous : au dernier concert de Luo à Shanghai en juin dernier, il fallait débourser l’équivalent de 193 dollars pour avoir une place. Plus de 1.000 jeunes ont rempli ce jour-là la Mercedes-Benz Arena, et les places « VIP » s’étaient vendues en trois minutes. Commentaire d’une jeune étudiante de 20 ans, Zhang Ying, qui a raconté son émotion lors de ce concert au Global Times : « Je serai très fière de mon idole si elle peut également être une représentante des valeurs de notre pays » en chantant davantage de « chansons rouges ».
 
Pourquoi se priver, puisque ça marche ?
 

Anne Dolhein