Analyse. Le discours d’Emmanuel Macron aux Bernardins : opération séduction en direction d’une Eglise catholique qui se rapproche

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Beaucoup de catholiques bon teint se sont réjouis ces dernières heures de la teneur du discours d’Emmanuel Macron au Collège des Bernardins où il était invité par la hiérarchie catholique de l’Eglise en France. Un président de la République qui ne se dresse pas dans l’opposition systématique à l’égard des croyants et qui tient même un langage de transcendance, voilà qui a plu et qui montre la réussite de cette opération de séduction. Mais le discours du Président mérite analyse sur plusieurs points – les « trois points » sur lesquels il attend l’Eglise et qui forment l’architecture de son propos. « Sagesse, engagement, liberté » : le trio n’est pas si mal trouvé, il évite de se montrer trop identique à celui, maçonnique, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Mais surtout, ce discours d’un Macron qui se pique de philosophie arrive un moment où plus que jamais, l’Eglise semble prête à s’en rapprocher.
 

Aux Bernardins, Emmanuel Macron s’exerce à la séduction vis-à-vis de l’Eglise catholique

 
De ce discours, nous avons retenu quelques extraits qui méritent qu’on s’y arrête.
 
L’actualité tragique de la mort du colonel Arnauld Beltrame, tué par un islamiste après s’être substitué volontairement à son otage, a servi d’entrée en matière. Voici ce qu’en dit Macron :
 
« Les uns y ont vu l’acceptation du sacrifice ancrée dans sa vocation militaire.
 
« Les autres y ont vu la manifestation d’une fidélité républicaine nourrie par son parcours maçonnique.
 
« D’autres enfin, et notamment son épouse, ont interprété son acte comme la traduction de sa foi catholique ardente, prête à l’épreuve suprême de la mort.
 
« Ces dimensions en réalité sont tellement entrelacées qu’il est impossible de les démêler, et c’est même inutile, car cette conduite héroïque c’est la vérité d’un homme dans toute sa complexité qui s’est livrée. »

 
C’est la parfaite confusion des valeurs. Du pain bénit pour la République. Mais il faut préciser ceci : Arnaud Beltrame, dont les qualités naturelles le portaient si évidemment au don de soi, était un converti d’assez fraîche date, à la formation encore lacunaire. Savait-il l’incompatibilité entre la franc-maçonnerie et la religion catholique, dont il est si peu question ordinairement aujourd’hui ? Ne côtoyait-il pas des catholiques pratiquants en loge ? Il semble acquis en tout cas qu’il n’avait pas parlé de cela à ceux qui auraient pu le mettre en garde.
 
Emmanuel Macron a poursuivi en affirmant : « La part du citoyen et la part du catholique brûlent, chez le croyant véritable, d’une même flamme. » Le choix du mot « citoyen » est manifestement délibéré. Ce n’est pas le Français ou le patriote qu’il désigne, mais de manière tout à fait classique depuis la Révolution, celui qui adhère à la République.
 
Faut-il se réjouir de ce que le président de la République ait affirmé ceci ?
 
« Je considère que la laïcité n’a certainement pas pour fonction de nier le spirituel au nom du temporel, ni de déraciner de nos sociétés la part sacrée qui nourrit tant de nos concitoyens. »
 
Pour répondre, il faut écouter la suite immédiate :
 
« Je suis, comme chef de l’Etat, garant de la liberté de croire et de ne pas croire, mais je ne suis ni l’inventeur ni le promoteur d’une religion d’Etat substituant à la transcendance divine un credo républicain. M’aveugler volontairement sur la dimension spirituelle que les catholiques investissent dans leur vie morale, intellectuelle, familiale, professionnelle, sociale, ce serait me condamner à n’avoir de la France qu’une vue partielle ; ce serait méconnaître le pays, son histoire, ses citoyens ; et affectant l’indifférence, je dérogerais à ma mission.
 
« Et cette même indifférence je ne l’ai pas davantage à l’égard de toutes les confessions qui aujourd’hui habitent notre pays. »

 
La transcendance qu’évoque le président Macron n’est pas celle du Dieu vrai, Un et Trine. C’est la spiritualité en tant que telle, qui met toutes les religions sur le même plan et qui n’accepte pas que l’une ou l’autre soit ou se dise supérieure du fait de sa véracité. Cette spiritualité est au fond, et bien plus qu’on ne le pense, conforme à la laïcité moderne. C’est celle qui fait que les ateliers de méditation font aujourd’hui partie du paysage des réunions mondialistes.
 
Très intéressants sont les propos d’Emmanuel Macron sur les racines chrétiennes de l’Europe et de la France.
 
« Je sais que l’on a débattu comme du sexe des anges des racines chrétiennes de l’Europe. Et que cette dénomination a été écartée par les parlementaires européens. Mais après tout, l’évidence historique se passe parfois de symboles. Et surtout, ce ne sont pas les racines qui nous importent, car elles peuvent aussi bien être mortes. Ce qui importe, c’est la sève. Et je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation. »
 
Tout jardinier qui se respecte esclaffera en entendant dire que des racines peuvent être mortes tandis que la sève vit et vivifie. Mais le symbole absurde semble avoir un sens bien précis. Ces racines qui « peuvent aussi bien être mortes » sonnent comme un enterrement de première classe du catholicisme en tant que religion vivante et vraie. Tout au plus est-on prêt à en recueillir des aspects intéressants pour la vie contemporaine. Pour les besoins de la cause. Le rapprochement de Macron avec la religion catholique, c’est cela, exactement.
 

Un discours qui montre l’attachement de Macron à la transcendance – mais laquelle ?

 
D’ailleurs, son choix de références est en lui-même éloquent.
 
« L’urgence de notre politique contemporaine, c’est de retrouver son enracinement dans la question de l’homme ou, pour parler avec Mounier, de la personne. »
 
Emmanuel Mounier, fondateur du personnalisme, est aujourd’hui présenté comme ayant inventé « idéal et un système de valeurs (…) très proches de ceux qui inspirent et animent la Franc-maçonnerie ». On n’est pas loin de l’humanisme en effet, et Mounier lui-même rêvait ces rencontres entre « chrétiens, musulmans, agnostiques, juifs et incroyants » pour penser le monde. Un monde en progrès… Il est moins mal vu par l’Eglise qu’il ne le fut alors pour son œcuménisme et c’est cela aussi qui peut expliquer le discours détendu de Macron vis-à-vis des catholiques. Macron qui affirme :
 
« Nous ne pouvons plus, dans le monde tel qu’il va, nous satisfaire d’un progrès économique ou scientifique qui ne s’interroge pas sur son impact sur l’humanité et sur le monde. C’est ce que je suis allé dire à la tribune des Nations unies à New York, mais aussi à Davos ou encore au Collège de France il y a quelques jours lorsque j’y ai parlé d’intelligence artificielle : nous avons besoin de donner un cap à notre action, et ce cap, c’est l’homme. »
 
Donner l’homme comme cap à toute action est très différent de la recherche de la justice et de la distinction du bien et du mal.
 
Emmanuel Macron répondait aux Bernardins au discours de Mgr Pontier qui, à l’instar du pape François, a rapproché le devoir de respect de la vie de celui du respect des migrants, mis sur le même plan. Et on a assisté à ce paradoxe à vrai dire hypocrite : le Président expliquant à la hiérarchie catholique française qu’il faut bien encadrer l’immigration. Hypocrite parce qu’au fond, l’action du gouvernement n’est pas véritablement hostile à l’afflux des migrants. Mais aussi cocasse parce que voir la République reprocher discrètement leur excès d’ouverture à des évêques français ne manque pas de sel :
 
« Sur les migrants, on nous reproche parfois de ne pas accueillir avec assez de générosité ni de douceur. De laisser s’installer des cas préoccupants dans les centres de rétention ou de refouler les mineurs isolés. On nous accuse même de laisser prospérer des violences policières.
 
« Mais à dire vrai, que sommes-nous en train de faire ? Nous tentons dans l’urgence de mettre un terme à des situations dont nous avons parfois hérité et qui se développent à cause de l’absence de règles, de leur mauvaise application, ou de leur mauvaise qualité – et je pense ici aux délais de traitement administratifs mais aussi aux conditions d’octroi de titres de réfugiés. »

 
Emmanuel Macron s’est d’ailleurs offert le luxe d’invoquer le discours fluctuant du pape François en la matière pour poursuivre :
 
« C’est la conciliation du droit et de l’humanité que nous tentons. Le pape François a donné un nom à cet équilibre, il l’a appelé “prudence”, faisant de cette vertu aristotélicienne celle du gouvernant, confronté bien sûr à la nécessité humaine d’accueillir mais également à celle politique et juridique d’héberger et d’intégrer. C’est le cap de cet humanisme réaliste que j’ai fixé. »
 
Humanisme, toujours…
 
Un humanisme de type maçonnique qui transparaît parfaitement dans l’insistance d’Emmanuel Macron sur l’idée que l’Eglise puisse énoncer des principes vrais : cela est contraire à la position anti-dogmatique des libres-penseurs maçons. Ecoutons-le :
 
« C’est pourquoi, en écoutant l’Eglise sur ces sujets, nous ne haussons pas les épaules. Nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme. Nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtres nombre de ses points. Mais cette voix de l’Eglise, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. »
 
Derrière le sabir, il y a des idées très claires, celles qui acceptent les religions pourvu qu’elles se modernisent et s’adaptent au relativisme philosophique moderne, qu’elles existent dans leur coin et au besoin se fassent entendre dans le concert public, et au besoin semblent entendues. Mais surtout sans qu’on n’aille plus loin. Ainsi l’exprime Macron :
 
« C’est cela, si vous m’y autorisez, la part catholique de la France. C’est cette part qui dans l’horizon séculier instille tout de même la question intranquille du salut, que chacun, qu’il croie ou ne croie pas, interprétera à sa manière, mais dont chacun pressent qu’elle met en jeu sa vie entière, le sens de cette vie, la portée qu’on lui donne et la trace qu’elle laissera.
 
« Cet horizon du salut a certes totalement disparu de l’ordinaire des sociétés contemporaines, mais c’est un tort, et l’on voit à bien à des signes qu’il demeure enfoui. Chacun a sa manière de la nommer, de le transformer, de le porter. Mais c’est tout à la fois la question du sens et de l’absolu dans nos sociétés. Que l’incertitude du salut apporte à toutes les vies, même les plus résolument matérielles, comme un tremblé, au sens pictural du terme est une évidence. »

 
Il ne s’agit nullement du salut tel que le comprend le chrétien, et on est saisi de le voir présenté bien plus comme une incertitude qu’en tant qu’espérance pour celui qui croit en la miséricorde divine. Dans ce contexte, l’Eglise n’a plus le dépôt de la foi, elle est l’entité qui déstabilise :
 
« Ainsi, l’Eglise n’est pas à mes yeux cette instance que trop souvent on caricature en gardienne des bonnes mœurs. Elle est cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas. »
 
Ce qui importe n’est plus de trouver, mais de chercher : là aussi, on est plus près de la maçonnerie que de la foi.
 

Cette Eglise catholique compatible avec la République macronienne

 
C’est là le point de vue de Macron, et non celui de l’Eglise, bien sûr, mais on comprend l’intérêt que peut avoir celle-ci pour le projet prométhéen moderne dès lors que son discours renforce certains thèmes chers au Président et au globalisme dont il se montre si volontiers proche. Il a ainsi appelé l’Eglise à être un exemple de liberté, notamment pour promouvoir la sauvegarde de la planète qui est le code moral de la nouvelle transcendance :
 
Cette liberté de parole, dans une époque où les droits font florès, présente souvent la particularité de rappeler les devoirs de l’homme. Envers soi-même, son prochain, ou envers notre planète.
 
Et un peu plus loin :
 
« Dans cette liberté de parole, de regard qui est le leur, nous trouvons une part de ce qui peut éclairer notre société. Et dans cette liberté de parole, je range la volonté de l’Eglise d’initier, d’entretenir et de renforcer le libre dialogue avec l’islam dont le monde a tant besoin, et que vous avez évoqué. (…)
 
« Ces lieux en sont le témoin : le pluralisme religieux est une donnée fondamentale de notre temps. Mgr Lustiger en avait eu l’intuition forte lorsqu’il a voulu faire revivre le Collège des Bernardins pour accueillir tous les dialogues. L’histoire lui a donné raison. Il n’y a pas plus urgent aujourd’hui qu’accroître la connaissance mutuelle des peuples, des cultures, des religions. »

 
C’est bien le dialogue pour le dialogue qui est évoqué ici dans l’esprit du Président, et non le dialogue en vue de la conversion.
 
Emmanuel Macron a achevé son discours par un appel à la reconnaissance de la part spirituelle de l’homme.
 
« Car nous ne sommes pas faits pour un monde qui ne serait traversé que de buts matérialistes. Nos contemporains ont besoin, qu’ils croient ou ne croient pas, d’entendre parler d’une autre perspective sur l’homme que la perspective matérielle. Ils ont besoin d’étancher une autre soif, qui est une soif d’absolu. (…)
 
« Certes, les institutions politiques n’ont pas les promesses de l’éternité ; mais l’Eglise elle-même ne peut risquer avant le temps de faucher à la fois le bon grain et l’ivraie. Et dans cet entre-deux où nous sommes, où nous avons reçu la charge de l’héritage de l’homme et du monde, oui, si nous savons juger les choses avec exactitude, nous pourrons accomplir des grandes choses ensemble.
 
« C’est peut-être assigner là à l’Eglise de France une responsabilité exorbitante, mais elle est à la mesure de notre histoire, et notre rencontre ce soir atteste, je crois, que vous y êtes prêts. »

 
C’est à la fois tout dire et rien, mais cela montre que Macron se veut plus qu’un gestionnaire, plus qu’un manager de l’économie. Cela ne se comprend que si on veut bien reconnaître en Macron l’homme du panthéisme écologique, de la spiritualité globale. Sa spiritualité propre, il l’a dévoilée en tant que candidat à la présidence lors d’un entretien avec le World Wildlife Fund : il croit en une transcendance immanente, et pour en assurer l’avènement, il faudra bien que l’Eglise – une certaine Eglise du moins – consente à rester dans « l’entre-deux » : dans le monde en somme.
 

Jeanne Smits