Emmanuel, Charles, François : la dialectique arc-en-ciel

Emmanuel Charles François Arc-en-ciel
 

La semaine dernière aura été chargée pour le diplomate qu’est Emmanuel Macron, qu’elle soit mondaine ou religieuse. Mercredi soir il recevait à Versailles le roi d’Angleterre Charles III, entouré d’un caravansérail bigarré où figuraient Hugh Grant, Mike Jagger et Charlotte Gainsbourg, samedi il rencontrait à Marseille le pape François et assistait à sa messe. La presse s’est posée à ces deux occasions bien des questions : Combien a coûté le dîner ? Qu’ont pu se dire Gérard Larcher et Mick Jagger ? Un président a-t-il le droit d’aller à la messe ? Mais elle n’a pas vu un phénomène pourtant aussi évident qu’un éléphant à trois mètres dans un couloir : chacun à sa manière, les trois hommes mettent le poids que leur donne l’institution qu’ils représentent au service d’une même cause, un monde ouvert, sans frontière aucune, régi par les valeurs de l’arc-en-ciel, l’inclusion et la sauvegarde du climat.

 

François sans frontières

Revenons d’abord brièvement sur le pape, en marge de l’excellent papier qu’y a consacré Jeanne Smits hier. Sous couleur de combattre la « culture de l’indifférence », François a recommandé à l’Europe de n’avoir « pas peur » de la Méditerranée et de s’ouvrir sans limite aux migrants, de même que, de peur de donner dans le péché « d’indiétrisme », il ordonne aux catholiques de s’ouvrir totalement au monde, ses pratiques, ses nouveauté, ou à l’Eglise, sous prétexte de synodalité, de mêler clercs et laïques : avec lui, tout est dans tout et réciproquement, c’est le pape sans frontière par excellence, naguère complaisamment pris en photo une croix arc-en-ciel au cou, où certains voyaient un symbole LGBT mais qui en fait marquait sa dilection pour l’Amazonie.

 

Une dialectique antifrançaise

Il a bien pris soin pour ce voyage-ci de préciser qu’il rendait visite non à la France mais à Marseille, « en Méditerranée », pour les rencontres méditerranéennes. De même, en 2014, avait-il passé quelques jours à Strasbourg pour y prononcer un discours devant le parlement européen. Il s’est adressé à ces deux occasions à l’Europe, à la Méditerranée, ne posant que brièvement le pied en France – cette fille aînée de l’Eglise qu’il aura boudée durant tout son pontificat. Alors que jusqu’à Paul VI le français était la langue officielle du Vatican et que Jean-Paul II et Benoît XVI le parlaient couramment, il a été incapable de prononcer son discours marseillais en français, ânonnant seulement, avec un épouvantable accent espagnol, un court message dans la langue de Voltaire. C’est un pape anti-français. Chacun a relevé sa charge frontale, violente, contre le modèle français : « L’intégration, même des migrants, est difficile, mais clairvoyante : elle prépare l’avenir qui, qu’on le veuille ou non, se fera ensemble ou ne sera pas ; l’assimilation, qui ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, fait prévaloir l’idée sur la réalité et compromet l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance. »

 

Le silence arc-en-ciel de Mélenchon

Jeanne Smits a fort bien rappelé que cette analyse, purement politique, est fausse, et que c’est au contraire l’échec de l’assimilation à la française qui pose chez nous problème, le modèle d’intégration à l’américaine engendrant ailleurs injustice et violence. J’ajouterai deux points. A travers l’attaque contre l’assimilation, n’est-ce pas aussi la laïcité qu’il vise ? Pourquoi pas ? Ce curieux pape est un jésuite à méandres. Le deuxième, le plus évident, est l’époustouflant silence de Mélenchon, Rousseau, Faure, Roussel, de tous les socialistes, radicaux, de gauche, du centre et de droite : voilà quelques décennies, les loges auraient fait donner le grand orchestre contre cette voix venue d’outremonts sur le territoire même de la République critiquer la politique de celle-ci. Mais là, c’est le silence des agneaux maçons, et pour une bonne raison : le pape a le droit de se mêler de ce qui ne le regarde pas puisqu’il dit ce que la maçonnerie a envie d’entendre. Mélenchon se tait parce que François lui chipe son texte.

 

Emmanuel a fait sa part gentiment

C’est pour cela que nos médias ont bien gentiment autorisé Emmanuel Macron à faire le déplacement à Marseille. Et, directement mis en cause par François, il ne s’est pas férocement défendu. Il ne s’est pas campé sur ses ergots pour s’indigner d’une ingérence manifeste. Il a seulement répondu qu’en matière de migrants la France faisait « sa part », et, répétant Rocard quarante ans après, qu’elle ne pouvait « accueillir toute la misère du monde ». Il faut comprendre comment fonctionne la dialectique arc-en-ciel : chacun a sa place défend sa fonction, ses intérêts, ses convictions. Emmanuel doit maintenir un semblant d’ordre et de prospérité en France, il ne peut donc pas ouvrir celle-ci d’un coup au monde dont rêve François : mais tous deux sont d’accord sur l’objectif arc-en-ciel à terme et y travaillent de concert. Leur opposition, réelle mais secondaire, les sert tous deux : l’un devient le pape de tous, l’autre un président responsable. Même opposition l’autre jour au Medef entre Pouyanné de Totalénergies et Jouzel du GIEC : ils convergent vers le but à atteindre, l’énergie décarbonée, ils diffèrent par le rythme qu’ils préconisent, lequel dépend de leur situation, l’un vit de Total, l’autre du GIEC.

 

François, porte-voix de l’arc-en-ciel

A Marseille, Emmanuel Macron cherchait un bénéfice d’image auprès d’une figure mondialement respectée d’une part, et auprès d’une institution chère encore à beaucoup de Français, l’Eglise catholique. Mais il a signifié aussi son soutien à un nouveau visage de l’Eglise, visage décidément politique, visage mondain. Emmanuel Macron s’affiche proche de cette super ONG gay-friendly, migrants-friendly, et climato-conforme (depuis Laudato Si’) que dirige François. Il a même évité tout heurt sur la question de l’euthanasie, quand François, avec fermeté (il peut être net quand il le souhaite) a rappelé l’attachement de l’Eglise à la vie. On voit ici comment l’arc-en-ciel utilise François : comme porte-voix sur la question des migrants, car il sera écouté, et en sourdine sur la question de l’euthanasie, car on escompte qu’il ne le sera pas.

 

Emmanuel et Charles, conformistes verts

A Versailles, Emmanuel Macron a exploité à son bénéfice une autre tradition, la monarchie britannique. Il a reçu le couple Windsor avec un faste très cordial. Il en a les moyens, le budget de la présidence française s’élevait à 105 millions d’euros en 2019 contre 86,4 millions de livres (97,6 millions d’euros) pour la dotation royale britannique. Avec Charles III, il n’a pas seulement parlé vins de Bordeaux, Rugby et porcelaine de Sèvres, il a communié dans le conformisme écologiste, le souci de l’étranger (Charles est ostensiblement islamophile) et du progrès sociétal.

 

François, Emmanuel et Charles : la tradition au service de l’arc-en-ciel

Louis XIV a dû se retourner dans sa tombe en entendant un monarque britannique de la dynastie des Saxe-Cobourg-Gotha, la maison de ses ennemis usurpateurs du trône des Stuart qu’il avait recueillis à Versailles, festoyer dans sa galerie des glaces. Toutes les traditions exploitées par la politique de ces trois princes que sont François, Emmanuel et Charles sont ainsi ostensiblement subverties. Le prestige de la royauté, l’autorité de l’Eglise et les ors monarchiques de la République sont ouvertement utilisés pour épauler un projet de société ouverte qui nie tranquillement la réalité traditionnelle dont ils se réclament. La Révolution arc-en-ciel utilise le décorum des traditions pour mieux tromper le cœur des foules.

 

Pauline Mille