Le pape François à Marseille : ouverture aux migrants et confusion du spirituel et du temporel

pape François Marseille migrants
 

Face à l’arrivée des clandestins, il faut donc, foi de Jorge Bergoglio, assurer « un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable de la part du continent européen ». Venu à Marseille – et non en France, avait-il bizarrement averti – pour parler précisément de la question des « migrants », le pape François a développé la pensée qui fut toujours la sienne en tant que père jésuite, évêque et cardinal, centrée sur l’« ouverture », l’« accueil », les « ports », les « ponts », la « fraternité »… Il y eut au cours de sa visite de nombreuses injonctions aux responsables politiques, au nom de l’humanité. En quelques discours, il a rendu plus tangible que jamais sa confusion du temporel et du spirituel, faisant la leçon aux pays riches du pourtour méditerranéen mais passant totalement à côté des besoins spirituels des immigrés dont l’Eglise a spécifiquement la charge : besoin de connaître le Christ et d’être convertis à lui.

Emmanuel Macron, qui eut une rencontre d’un peu plus d’une demi-heure avec le souverain pontife, déclara dimanche soir au cours d’un debriefing télévisé de sa folle semaine que « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». Faisant écho aux paroles jadis prononcées par Michel Rocard, un œil sur sa cote de popularité, l’autre sur le nouveau discours de l’Union européenne qui lâche un peu de lest aux peuples en regrettant les excès des arrivées clandestines, le Président faisait presque un peu figure de réaliste. C’était nouveau.

 

A Marseille, le pape François prêche l’accueil inconditionnel

C’est toujours bon à prendre et des épisodes similaires par le passé – on pense à Angela Merkel qui s’insurgeait soudain contre le « multi-kulti » précédemment adulé – ont démontré qu’il ne fallait pas prendre ces protestations trop au sérieux. Les centaines de milliers de migrants accueillis en Allemagne en 2015 et 2016 montrent que les convictions de ces politiques sont bien souvent adaptables aux variations saisonnières.

Le pape, lui, n’a jamais tenu un autre discours que celui de l’accueil quasiment sans conditions, s’agissant de l’Europe occidentale du moins. Il ne prêche pas le déferlement en Russie, en Chine qui pourtant manquent déjà de bras, ou dans bien des pays du Golfe qui aiment à faire appel à des pauvres gens venus du bout du monde chrétien pour y assurer les tâches les plus ingrates.

Certes, on comprend que le pape François souligne avec horreur la situation de migrants africains qui trouvent en mer Méditerranée non un passage d’espoir mais une « mer de la mort » : « Trop de personnes, fuyant les conflits, la pauvreté et les catastrophes environnementales, trouvent dans les flots de la Méditerranée le rejet définitif de leur quête d’un avenir meilleur. C’est ainsi que cette mer magnifique est devenue un immense cimetière où de nombreux frères et sœurs se trouvent même privés du droit à une tombe, et où seule est ensevelie la dignité humaine », dit-il en se recueillant devant le mémorial dédié aux marins et aux migrants disparus en mer.

Mais faut-il parler sans nuances d’un « fanatisme de l’indifférence » à l’égard de ces gens dont la misère est d’abord exploitée par des trafiquants pour en faire peut-être des noyés, mais bien plus sûrement des clandestins et des déracinés ? Et trop souvent, des mendiants des systèmes d’aides, parfois des délinquants, des violeurs et à l’occasion des terroristes ?

 

Temporel et spirituel : la charité est un devoir, mais le devoir du politique concerne son pays

Le devoir du politique est de protéger d’abord les siens, ceux dont il a temporellement la charge. C’est cela que nie le pape, alors même qu’il n’existe pas de grande œuvre d’évangélisation de ces mêmes pauvres gens qui ont certes plus besoin de vérité que d’aide matérielle, même si dans le temps il faut souvent commencer par celle-ci.

« La mare nostrum crie justice, avec ses rivages où, d’un côté, règnent l’opulence, le consumérisme et le gaspillage et, de l’autre, la pauvreté et la précarité. Là encore, la Méditerranée est un reflet du monde : le Sud qui se tourne vers le Nord, avec beaucoup de pays en développement, en proie à l’instabilité, aux régimes, aux guerres et à la désertification, qui regardent les plus aisés, dans un monde globalisé où nous sommes tous connectés mais où les fossés n’ont jamais été aussi profonds », a déclaré le pape lors de la session conclusive des Rencontres méditerranéennes qui ont justifié sa venue.

Le discours est pleinement politique, et non de l’ordre de la charité. Là où le prêtre peut exhorter son paroissien ou son dirigé à la générosité (y compris avec les pauvres et les précaires français, dont le nombre augmente tragiquement à la faveur des décisions politiques), le clerc n’a pas pour prérogative d’inciter à une dépense systématique des deniers publics, y compris au détriment de ceux qui sont chez eux.

D’ailleurs s’il s’agit de sauver les gens des mauvaises pratiques de certains, les pays européens savent que cela ne sera pas toujours inscrit en positif au bilan de l’histoire : il en va ainsi de la France dont la colonisation de l’Algérie en 1830 avait été notamment dictée par la volonté de sauver les populations locales victimes des rezzous des barbaresques.

 

Migrants : l’intégration plutôt que l’assimilation, vraiment ?

Le pape François est allé plus loin, en prenant résolument parti pour l’« intégration » des communautés venues d’ailleurs, telles qu’elles sont et avec leurs façons de vivre. Toujours au cours de cette session conclusive, il a dit :

« Alors que les générations futures nous remercieront pour avoir su créer les conditions d’une intégration indispensable, elles nous accuseront pour n’avoir favorisé que des assimilations stériles. L’intégration, même des migrants, est difficile, mais clairvoyante : elle prépare l’avenir qui, qu’on le veuille ou non, se fera ensemble ou ne sera pas ; l’assimilation, qui ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, fait prévaloir l’idée sur la réalité et compromet l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance. »

Dire que la réalité est supérieure à l’idée fait partie des fameux « quatre principes » du pape empruntés au péronisme. On comprend bien de quoi il s’agit dans la tête du pape : récuser les principes qui permettent de réfléchir au bien objectif dans une situation donnée, pour ne retenir que ce que dictent ou semblent dicter les faits du jour. L’assimilation cherche à rendre les immigrés « comme nous » ; l’intégration consiste à les inscrire comme tels dans le tissu social, façon patchwork, sans leur demander d’adopter le mode de vie du pays d’accueil.

 

Le pape François dénonce les idées et prêche pour des réalités… idéologiques

Bien sûr, la vraie idéologie est celle qui dicte cette juxtaposition et qui, dans les faits, dans trop de faits divers, a ses limites. Et bien sûr, c’est l’intégration qui aboutit aux ghettos communautaires, comme le montrent les regroupements ethniques autour des grandes villes françaises. Assimiler, c’est véritablement accueillir, en considérant l’étranger qui s’établit comme un frère potentiel, aimé par Dieu, capable de recevoir la foi et de s’accorder avec le génie du pays qui le reçoit en y faisant souche. Tout le contraire de ce qui se fait.

De la même manière, le pape a cité saint Charles de Foucauld, « le frère universel », à contre-temps – car ledit saint brûlait d’amener les populations musulmanes au Christ et mettait en garde contre ce qui arriverait si cela ne se fait pas : « Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens. » Alors que le pape demande au contraire que les migrants restent ce qu’ils sont…

A plusieurs reprises, et c’est tant mieux, le pape a évoqué lors de sa visite à Marseille la question de l’avortement de l’euthanasie.

« En effet, le véritable mal social n’est pas tant l’augmentation des problèmes que le déclin de la prise en charge. Qui aujourd’hui est proche des jeunes livrés à eux-mêmes, proies faciles de la délinquance et de la prostitution ? Qui les prend en charge ? Qui est proche des personnes asservies par un travail qui devrait les rendre plus libres ? Qui s’occupe des familles effrayées, qui ont peur de l’avenir et de mettre au monde de nouvelles créatures ? Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d’être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d’une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ? Qui pense aux enfants à naître, rejetés au nom d’un faux droit au progrès, qui est au contraire une régression de l’individu ? », dit-il aux Rencontres méditerranéennes.

Lors de la messe au stade Vélodrome – concélébrée par un millier de prêtres, hélas, le pape a renchéri :

« L’expérience de foi provoque avant tout un tressaillement devant la vie. Tressaillir c’est être “touché à l’intérieur”, avoir un frémissement intérieur, sentir que quelque chose bouge dans notre cœur. C’est le contraire d’un cœur plat, froid, installé dans la vie tranquille, qui se blinde dans l’indifférence et devient imperméable, qui s’endurcit, insensible à toute chose et à tout le monde, même au tragique rejet de la vie humaine qui est aujourd’hui refusée à nombre de personnes qui émigrent, à nombre d’enfants qui ne sont pas encore nés, et à nombre de personnes âgées abandonnées. »

 

Avortement, euthanasie, migration, même combat ?

Ces dénonciations bienvenues étaient toutefois noyées dans des contextes qui en réduisent la portée. Défendre la vie, le pape le dit depuis le début de son pontificat pour mieux dénoncer les militants pro-vie, suppose de s’ouvrir aux migrants et d’aider les pauvres. Or il y a une différence de degré, de registre. La charité personnelle est une belle chose, elle est essentielle dans la vie du chrétien, elle vient en aide à celui qui souffre concrètement. Et même au migrant qui a pris le risque de la clandestinité pour trouver un avenir meilleur.

Organiser publiquement la mise à mort légale de l’innocent à naître ou du malade ou du vieillard qui n’en peut plus n’a rien à voir ; c’est prendre par le truchement d’individus mais néanmoins au nom de l’Etat, un droit de vie et de mort sur un être humain. Et c’est plus grave, comme le génocide pensé et mis en œuvre par le législateur est plus grave qu’un massacre de circonstance.

Une nouvelle fois, dans l’avion qui le ramenait à Rome samedi soir, le pape a invité au cours de sa conférence de presse à lire Le Maître de la Terre, ce roman d’anticipation écrit en 1907 par Robert Hugh Benson, prêtre anglican devenu prêtre catholique en 1904, qu’il aime à citer. A propos de l’auteur, le pape François a déclaré : « Il montre comment les choses seront à la fin. Tout est… on supprime les différences, toutes ; et on supprime les douleurs, toutes ; et l’euthanasie est l’une de ces choses : la mort douce ; et la sélection avant la naissance… Cela nous montre comment cet homme avait vu d’avance les conflits actuels. »

Le Maître de la Terre met en scène le promoteur de la fraternité universelle et de la religion de l’humanisme face aux derniers catholiques fidèles, à Rome qui se dresse contre ce monde sans Dieu. On est pris de vertige en voyant le pape recommander – une nouvelle fois, il l’avait déjà fait peu de jours après son élection – ce roman qui à bien des égards est aux antipodes de son discours. Pied de nez délibéré ? Signe d’un tiraillement profond ? Ce « pape de la confusion » a décidément besoin des prières de ce qu’il reste de chrétienté.

 

Jeanne Smits