C’est l’avis du journaliste économique Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph de Londres : jamais la Réserve fédérale des Etats-Unis n’a été aussi puissante alors que le dollar US assoit son hégémonie sur le système financier global, au détriment de l’euro. Il suffit de regarder les données publiées par la Banque des Règlements internationaux, la « banque centrale des banques centrales » mieux connue sous son acronyme anglais de BIS. Sur les cinq mille milliards de dollars échangés chaque jour en bourse le dollar est présent désormais, dans le cadre d’une ascension constante, dans 87,6 % de toutes les transactions.
Ce que le journaliste appelle « l’ordre international basé sur le dollar » fait preuve d’une étonnante résistance, malgré les prédictions, il y a dix ans, du déclin de l’emprise financière des Etats-Unis. A l’heure actuelle 60 % environ de l’économie globale se trouve soit dans la zone dollar, soit lui est lié par le rattachement des monnaies nationales à la valeur du dollar ou par le biais des « flottements impurs » ; le taux de la dette émise en dollars en dehors de la juridiction américaine atteinte aujourd’hui des sommets : 9.000 milliards.
La Réserve fédérale des Etats-Unis pèse sur le monde à travers le dollar
Cela fait de la Fed la banque centrale du monde, « que cela lui fasse plaisir ou non » : la Réserve fédérale fixe en pratique les taux d’intérêt pour une grande partie du système mondial, observe le journaliste.
Alors que la part du dollar monte, la proportion des transactions où au moins l’une des parties a recours à l’euro a chuté de son niveau de 37 % en 2007 à 31,3 % aujourd’hui.
Il en va de même pour les réserves de devises des autres banques centrales : le dollar y représente désormais 63,6 %, c’est-à-dire à peu près la proportion observée il y a 10 ans. Au cours des huit dernières années, la part de l’euro a quant à elle chuté de 28 % à 20,4 %, dépassant à peine le niveau du mark allemand au début des années 1990.
Les analystes notent que le dollar a peu de risque d’être supplanté, faute de rivaux crédibles : « La profondeur des marchés financiers des États-Unis, associée à une banque centrale puissante et un cadre juridique sûr » forcent la confiance du reste du monde, estime Eswar Prasad de l’université Cornell.
Le dollar confirme sa première place dans les échanges mondiaux : l’hégémonie
La seule manière d’en sortir, selon lui, est d’en finir avec l’absence d’un Trésor européen unifié : pour que l’euro fonctionne comme monnaie internationale, il faudrait en outre l’émission conjointe d’obligations est une véritable union bancaire capable de soutenir cette devise. Il faudrait un changement de la constitution allemande pour ouvrir la voie à l’union fiscale – impensable dans le climat politique actuel.
Prasad, ancien chef du bureau « Chine » du FMI, souligne qu’au contraire, la part du yuan progresse régulièrement dans le gâteau monétaire global – là encore, au détriment de l’euro. Mais il lui faudra des décennies avant de parvenir à maturation, estime l’universitaire. La Chine est en proie à une bulle de crédit de 27.000 milliards de dollars et son économie dépend encore massivement d’une croissance alimentée aux « stéroïdes », pour reprendre son expression.
Il estime que le système communiste s’est encore rigidifié sous la présidence de Xi Jinping, faisant croître le risque d’un effondrement « subit et dramatique » de l’ordre social et politique en cas de choc économique. La Chine pouvait paraître forte au moment de la crise de la banque Lehman en 2008, mais, souligne Prasad, les États-Unis n’ont jamais été « aussi faibles qu’ils ont pu le paraître ».
Jamais la Fed n’a été aussi puissante
Ce sont des mesures prises par la Fed – taux zéro et assouplissement quantitatif – qui ont permis d’inonder les marchés émergents de liquidités en dollars et d’un boom du crédit qui a souvent abouti à des issues douloureuses. Dans le même temps, les États-Unis ont su tirer profit de la révolution du gaz de schiste et de la renaissance de ses industries fortement demandeuses d’énergie : une grande part du déficit de compte courant a été éliminée. Selon Prasad, les banques américaines, soumises à un contrôle draconien, ont été efficacement « nettoyées » pendant qu’en Europe leur dérive débilitante a duré pendant des années.
Mais la suprématie du dollar rend la tâche de la Fed plus difficile
La suprématie du dollar, qui fait que le monde n’en a jamais autant dépendu, peut être extrêmement douloureuse pour les marchés émergents, note pour sa part Stephen Jen d’Eurison SLJ Capital. Alors que la mondialisation des échanges est en train de créer une économie multipolaire avec de nombreuses étoiles montantes, la globalisation financière tire dans la direction opposée : « Un système très instable. La Fed est beaucoup trop puissante, et elle a peur de se propre puissance. »
C’est ainsi que la moindre évocation d’une remontée des taux d’intérêt provoque des ondes de choc dans les marchés mondiaux : à chaque fois, la Fed a reculé par peur de son « ombre internationale ». « Ils n’osent pas appuyer sur le frein. Ils sont coincés », a-t-il noté.
Cela montre en tout cas à quel point on peut d’un trait de plume peser lourdement sur l’économie mondiale, pour la tirer vers la direction de son choix. C’est en effet beaucoup de pouvoir aux mains d’une banque privée.