Le jeune Karl Marx est un drame historique, au titre explicite, qui montre les jeunes années du philosophe matérialiste et socialiste allemand. Il met en image son invention du communisme, qu’il définit de manière rigoureuse. Il fait du communisme une doctrine et une pratique de la guerre sociale totale, dressant pauvres contre riches, ou en la langue qu’il invente pour l’occasion « Prolétariat » contre « bourgeoisie ». Il a forcé la séparation radicale du communisme, révolutionnaire, violent, athée, d’un socialisme beaucoup plus ouvert, cherchant progrès social et société harmonieuse, s’inspirant de philanthropie maçonnique, voire, pour certains, explicitement des commandements évangéliques. Force est de constater que Marx a réussi à chasser de l’Histoire tous ces « socialistes utopiques ». Le film permet d’ailleurs de les redécouvrir un peu, et l’on s’étonne de si mal les connaître.
Le jeune Karl Marx : le diable porte pierre
Ce drame historique illustre en effet un moment fondamental de l’Histoire humaine dans l’ambiance révolutionnaire en Europe de 1848, la naissance du marxisme. L’influence indéniable d’Engels, jeune bourgeois révolté contre son milieu, dans l’élaboration de la pensée de Marx, est aussi fidèlement reconstituée. La part de cette influence semble justement dosée, nette, donnant une dimension économique – ou du moins une prétention économique – à une pensée de Marx relevant alors avant tout de la philosophie matérialiste. Par contre, non, Engels n’a pas soufflé le marxisme à Marx, qui l’a inventé lui-même. On regrettera dans cette genèse intellectuelle l’absence totale de l’objection intellectuelle évidente : tout en s’opposant à un spiritualisme certes fondamental, Marx reprend dans sa philosophie de l’Histoire un modèle nettement inspiré de Hegel.
Par contre, on reprochera bien des faiblesses historiques au jeune Karl Marx dans la présentation du contexte historique général, sans parler a fortiori des détails. Non, à l’hiver 1847-8, l’Europe n’est pas sous le régime de « monarchies absolues » à l’imitation de Louis XIV ou de sa caricature. Le roi des Français Louis-Philippe ne peut rien faire sans la chambre des députés, oligarchique et non démocratique, soit, mais il est loin de posséder les pouvoirs de son ancêtre (par les femmes). La reine Victoria de Grande-Bretagne est déjà une souveraine passive. Ni les empereurs de Russie ou d’Autriche, ou le roi de Prusse, ne font non plus dans les faits tout ce qu’ils veulent. En outre, le ton du jeune Karl Marx relève de l’hagiographie pure et simple. Après les plus de cent millions de morts du communisme, cette approche est pour le moins pénible. Il n’empêche que le film démontre sans ambiguïté possible toute la violence initiale du communisme, qui aura hélas tout lieu de s’exprimer par la suite. Parfois, le diable porte pierre et aussi avons-nous trouvé malgré tout le jeune Karl Marx intéressant.