Shoah – Les critiques d’Israël contre la nouvelle loi contre le révisionnisme votée en Pologne motivée par la question des restitutions ?

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Avec son projet d’amendement à sa loi pénalisant le fait de nier ou minimiser la Shoah, la Pologne a eu la mauvaise surprise de se retrouver sous un feu nourri de critiques internationales sur une question où elle ne s’y attendait pas. Pour une fois, même l’opposition libérale défend le gouvernement sur le principe, à défaut de le soutenir sur la méthode. La principale critique envers le vice-ministre de la justice Patryk Jaki qui a soumis l’amendement au parlement consiste à qualifier d’énorme maladresse le choix de la date de vendredi dernier pour le vote par la Diète de cet amendement étendant le délit de négationnisme et de révisionnisme historique à ceux qui cherchent, en dépit de la vérité historique, à minimiser la responsabilité de l’Allemagne nazie en faisant porter « à la nation polonaise ou à l’Etat polonais la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes nazis commis par le IIIe Reich allemand ». Vendredi, c’était en effet la veille de la commémoration du 73e anniversaire de la libération par les Soviétiques du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Mais une autre question se trouve peut-être à la racine du conflit : celle des restitutions.
 

Les reproches d’Israël contre la nouvelle loi votée en Pologne dénotent une ignorance de son contenu réel

 
Les reproches adressés par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, et par l’ambassadrice d’Israël en Pologne, Anna Azari, ont été rapidement complétés par ceux des auteurs d’un projet de loi déposé à la Knesset en réponse à la loi polonaise. Le texte proposé en Israël étendrait le délit de négationnisme et de révisionnisme, passible de 5 ans de prison, au fait de nier ou de minimiser l’implication des collaborateurs des nazis.
 
Mais on peut se demander quelles sont les vraies motivations derrières la violence des critiques israéliennes et de certaines organisations juives. En effet, ainsi que le rappelait le Jerusalem Post le 29 janvier et ainsi qu’en conviennent aussi M. Netanyahou et Mme Azari, le fait que la Pologne n’ait pas collaboré en tant qu’Etat et en tant que nation au génocide des juifs perpétré par les Allemands en territoire polonais est une vérité historique établie au même titre que la réalité de la Shoah elle-même.
 
La nouvelle loi polonaise ne pénalise pas autre chose que la négation de cette vérité historique, et l’on comprend mal pourquoi M. Netanyahou et Mme Azari, ainsi que d’autres, prétendent que la loi polonaise, adoptée en dernière lecture par le Sénat mercredi soir, interdirait aux témoins survivants de parler de la participation aux crimes nazis d’individus polonais ou de groupes de Polonais. A moins d’admettre qu’ils critiquent l’amendement à la loi polonaise sans l’avoir lu, mais c’est hautement improbable – d’autant que le ministère de la Justice polonais affirme avoir étudié le projet d’amendement avec l’ambassade d’Israël et avec des hauts fonctionnaires israéliens, justement pour éviter tout risque de brouille entre les deux pays qui entretenaient jusqu’ici de très bonnes relations.
 
Le projet d’amendement était d’ailleurs connu depuis février 2016, et l’on peut se demander si les critiques d’Israël ne sont pas plutôt motivées par une autre question : celles des restitutions de biens.
 

L’épineuse question des restitutions derrière les critiques contre la Pologne

 
Cette autre explication possible avancée en Pologne a été indirectement confirmée dans une interview par l’ambassadrice d’Israël, qui a déclaré : « Tout porte à croire que même si le différend sur la loi sur l’Institut de la Mémoire nationale trouve une solution, les relations polono-israéliennes resteront tendues. C’est à cause de la loi sur les reprivatisations. »
 
Les « reprivatisations », c’est en Pologne la question de la restitution des biens confisqués ou nationalisés par les communistes. Aucune loi n’a réglé ce problème complexe après la chute du communisme en Pologne, mais le gouvernement actuel a justement présenté un projet de loi en octobre dernier. Jusqu’ici, les anciens propriétaires ou leurs héritiers pouvaient chercher à récupérer leurs biens devant les tribunaux, mais si le projet de loi gouvernemental est adopté, les restitutions en nature ne seront plus possibles. Au lieu de cela, les anciens propriétaires ou leurs héritiers pourront obtenir une compensation en argent équivalant à 25 % de la valeur de marché actuelle du bien spolié. En outre, seules les personnes ayant la nationalité polonaise pourront demander ces compensations.
 

Pour Israël, la pénalisation du révisionnisme fonctionne dans un seul sens

 
Cette solution, qui devrait coûter l’équivalent de 3 à 4 milliards d’euros à l’Etat polonais, n’est pas du goût de l’Etat d’Israël ni des organisations juives.
 
Du point de vue polonais cependant, les destructions puis les spoliations des biens immobiliers qui appartenaient aussi bien à des juifs polonais qu’à des Polonais non juifs ont été causées par l’Allemagne nazie puis par un régime communiste imposé par la Russie soviétique, et c’est donc vers l’Allemagne et la Russie que les héritiers devraient se tourner pour obtenir compensation. L’argument avancé par les dirigeants polonais face aux organisations juives, c’est aussi que les juifs sont traités exactement comme les autres pour ces questions de restitution. Le projet de loi de reprivatisation ne cause d’ailleurs pas du tort aux seuls juifs. Les Polonais expulsés après la guerre de l’Est de la Pologne d’avant-guerre, sur décision de Staline, n’auront pas plus droit à des compensations que les descendants de juifs polonais qui ne sont plus citoyens polonais aujourd’hui.
 

Transfert des biens des victimes sans héritiers de la Shoah vers des organisations de survivants : un projet américain

 
Un autre problème se profile cependant à l’horizon pour la Pologne : le Sénat américain a adopté en décembre à l’unanimité un projet de loi de « Justice pour les survivants non indemnisés aujourd’hui » (JUST Act). Or ce projet de loi veut obliger le Département d’Etat américain à soutenir les demandes de restitution ou de compensation non seulement des survivants de la Shoah et de leurs héritiers, mais aussi des organisations juives pour les biens de ceux qui n’ont pas laissé d’héritiers. La règle en Pologne comme ailleurs, c’est que si un bien immobilier n’a plus d’héritier, il revient à l’Etat.
 
Si cette loi américaine est adoptée, l’administration américaine devra chercher à imposer un transfert de ces biens en faveur de la World Jewish Restitution Organization. Etant donné que la Pologne d’avant-guerre abritait environ 3,3 millions de juifs (dont quelque 3 millions ont été tués dans le génocide allemand), ce pays sera la première cible de cette loi américaine.
 
Les protestations des dirigeants israéliens et de certaines organisations juives face à la loi polonaise pénalisant les expressions comme « camps d’extermination polonais » pour parler des camps de la mort allemands en Pologne occupée sont donc peut-être simplement un nouvel exemple d’instrumentalisation de la Shoah pour défendre des intérêts concrets : il pourrait s’agir de ternir l’image de la Pologne dans le monde pour l’isoler et la contraindre plus facilement de céder aux revendications des organisations juives américano-israéliennes.
 

Olivier Bault