Grandes orgues médiatiques pour la mort de Jeanne Moreau, silence pour Claude Rich

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Claude Rich est décédé le 21 juillet dernier et Jeanne Moreau dans la nuit du 30 au 31 juillet.

 
Nous avons tous pu le noter, la mort de Jeanne Moreau a provoqué un concert de louanges médiatiques, alors que celle de Claude Rich s’est accompagnée d’un profond silence. C’est que le système réserve ses grandes orgues à ses adeptes, qui ont partagé ses amours et ses délices.
 
Même le Monde, temple de la poussière, éteignoir entre les éteignoirs, maison mère des culs pincés, a célébré, avec des trémolos de vieillard épiant Suzanne au bain, « la beauté sensuelle, l’inimitable voix grave », de la défunte Jeanne Moreau. Et le président Macron, loué soit son saint nom, a célébré « une artiste qui incarnait le cinéma dans sa complexité, sa mémoire, son exigence ». C’est étonnant ce talent qu’a ce jeune homme de s’exprimer comme le prix d’excellence d’une classe de bras cassés.
 

Distinctions médiatiques jusque dans la mort entre Claude Rich et Jeanne Moreau

 
Je vous la fais courte car tout le monde y a été de son petit compliment, de l’inévitable Jack Lang, ministre de la culture in aeternum, au surprenant Jean-Pierre Mocky. Quant à Claude Rich, vous avez tendu l’oreille, et le silence des espaces médiatiques vous a effrayé à un point tel que beaucoup sur la toile se sont plaints du « deux poids deux mesures » qui caractérise notre système et qui s’applique aujourd’hui même aux acteurs de cinéma.
 
Un bémol toutefois. Claude Rich fut un acteur de talent, il joua dans de nombreux films et pièces honorables, mais ne fut jamais un grand premier rôle au cinéma. Jeanne Moreau, elle, fut une star internationale, une figure tant à Venise qu’à Berlin. Cela justifierait donc une raisonnable inégalité de traitement. Cela n’explique pas ce zéro de souvenir et cet infini de flagornerie.
 

Jean Claude Juncker, du silence aux grandes orgues

 
La raison de la chose est politique. Ou disons mieux spirituelle. Claude Rich eut le défaut d’être chrétien, de l’espèce discrète mais décidée, et pire, attaché aux formes traditionnelles de la religion catholique. Ce sont des péchés que le système n’oublie pas.
 
A l’inverse, Jeanne Moreau fut plus qu’une actrice, elle fut l’incarnation des préférences dudit système. Tout le monde en convient. Jack Lang a délaissé les niqabs de l’institut du monde arabe pour s’émouvoir : « Dans une société corsetée, elle aura montré à toute une génération de femmes le chemin de l’émancipation et de l’affranchissement ». Et Jean-Claude Juncker a quitté la contemplation des exoplanètes où il s’abime d’ordinaire pour produire son commentaire : « Jeanne Moreau a marqué par son talent la culture européenne ». Et d’ajouter que son jeu a « toujours reflété les valeurs de l’Union ». Bon sang, mais c’est bien sûr : je l’avais tout de suite pensé, en regardant Pigalle-Saint-Germain-des-Prés, Dortoir des grandes et Le journal d’une femme de chambre.
 

La bourgeoise Jeanne Moreau et le catholique Claude Rich

 
Grande séductrice, elle eut deux maris et d’innombrables amants, choisis avec soin dans le Tout Paris qui pense, vampant tout ce qui faisait profession de jouer, chanter, écrire et filmer autour du globe, recherchant sans jamais se lasser les trompettes médiatiques avec la finesse d’une nymphe qui fuit pour se faire voir. François Mitterrand pensait à elle en silence tout en écrivant à Anne Pingeot. C’était une pro des Césars, des Oscars, des Festivals, un commandeur de l’ordre du mérite, une diva des cinéphiles, et en même temps une vraie conscience de gauche, bref, une bourgeoise. Tel est le trait caractéristique de sa vie et de son être, de son cinéma. Il suffit de lire sa filmographie et la liste des réalisateurs qui l’ont fait tourner, de Losey à Marguerite Duras. C’était la bourgeoise délurée du système et le système fait donner pour elle ses grandes orgues. Le pauvre Claude Rich, lui, savait jouer Vitrac ou Shakespeare aussi bien qu’un autre, mais il avait eu le tort de donner dans le Barillet et Grédy, l’Yves Robert, l’Alain Chabat ou même le Georges Lautner. Catholique et populaire : il ne faut tout de même pas exagérer !
 

Pauline Mille