La notion tant crainte de la Patrie, « Heimat », revient chez les Allemands, à cause de la mondialisation et de l’immigration

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C’est un article de l’agence Reuters qui le souligne à juste titre. Les Allemands développent un intérêt croissant pour une notion que l’histoire de leur XXe siècle (et leurs gouvernants) les avait poussés à évacuer, voire à nier, tant elle était jugée « dangereuse » : l’idée de « patrie », « Heimat ». On en devine les causes, par-delà la fatigue de décennies de repentance méthodique : cet afflux considérable de migrants « accueillis » récemment par le pays et de manière plus lointaine, la mondialisation globale (dont fait partie l’immigration) qui noie peu à peu les spécificités nationales.
Les politiques tentent d’ores et déjà de récupérer un phénomène sur lequel s’est construit, notamment, le très récent succès du parti étiqueté d’extrême droite, l’AfD, l’Alternative pour l’Allemagne.
 

Difficulté pour les Allemands, que ce sentiment national…

 
Pays réunifié depuis moins d’un quart de siècle, pays qui abrita le national-socialisme et chez qui se joua « l’innommable »… l’Allemagne a beaucoup de mal avec son identité et le sentiment national y était depuis longtemps quelque chose de décrié, voire de discrédité. Même Angela Merkel préfère parler des Allemands comme « des gens qui vivent déjà ici depuis longtemps ». Et le drapeau, vision encore gênante, ne subsiste quasiment que dans les manifestations d’« extrême droite » – seule la victoire de la Coupe du monde en 2006 lui redonna quelques lettres de noblesse.
L’idée que le patriotisme mène à la guerre demeure fortement enracinée. Et la repentance est un point essentiel dans la reconstruction de cette nation qui continue à vouloir s’ignorer comme telle.
 
Un certain nombre de jeunes préfèrent d’ailleurs se dire « citoyens européens ».
 
La pédagogie méthodique des manuels scolaires y a contribué : il faut se sentir « concerné » par l’histoire de la Shoah et « engagé » contre. Dans ces pages d’histoire, on ne nomme pas la nation allemande. Inéluctablement, elle demeurait encore jusque-là un tabou. Seulement, les vagues migratoires spectaculaires semblent avoir fait naître, en réaction, une réappropriation pressante et inquiète de ce concept de patrie.
 

« La valeur de la patrie », a titré le quotidien Der Tagesspiegel

 
« Je suis fier d’être Allemand, et j’aimerais pouvoir le dire sans être traité de nazi » confiait un lycéen. Cette revendication, encore inconcevable il y a peu, s’exprime dans la vie de tous les jours par des petits faits révélateurs, en particulier les phénomènes d’« achats-terroir » : les « dirndls », ces robes alpines traditionnelles portées dans le sud de l’Allemagne, se vendent de plus en plus, tout comme les horloges à coucou, ou encore les « romans de mystères » dont l’histoire se passe en Allemagne…
 
Pour le directeur général de la maison d’édition Droste Verlag, « Heimat » est en vogue ». Plus d’une douzaine de livres publiés au cours de cette année, explorent cette identité allemande et le concept de patrie.
 
Le problème est bien de la trouver, maintenant, à force de l’avoir refoulée… Pour Christian Schuele, auteur de Heimat : A Phantom Pain, le sentiment de perte d’identité nationale s’est levé à mesure que l’immigration a augmenté, en particulier pour ceux dans les villes, où les populations autochtones se sont effondrées et où les traditions se sont éteintes. L’Allemagne a toujours refusé de se voir comme un pays d’immigration. Aujourd’hui, à vouloir jouer la mère des migrants, elle voit se méfier ses propres enfants.
 

Fausse récupération politique de l’« Heimat » face aux nationalistes et à l’immigration

 
Et le président Frank-Walter Steinmeier ne l’a pas négligé, dans son discours du 27ème anniversaire de la réunification allemande, mardi dernier. Par dix-huit fois, il a répété ce mot qui doit redevenir magique, « Heimat » et qu’il faut surtout reprendre à n’importe quel prix à « l’extrême droite » qui a engrangé 13 % des voix le 24 septembre, sur des thèmes en partie nationalistes et anti-immigrés (« en partie », car l’AfD a aussi ses petits penchants mondialistes).
 
« Il y a un désir de patrie qui ne devrait pas être laissé aux nationalistes » a déclaré Frank-Walter Steinmeier, ces nationalistes qui ont construit des murs « moins visibles, sans fil de fer barbelé, ni morts », mais qui alimentent une « méfiance profonde (…) contre la démocratie et ses représentants ».
 
Il a déclaré vouloir prendre en compte « la réalité du monde et les possibilités de notre pays », dire « de combien et de quelle immigration nous voulons et avons besoin », dans un débat « honnête et ouvert ». La loi fondamentale allemande qui garantit la protection contre la persécution politique ne peut s’appliquer à tous : il faut une loi d’immigration appropriée pour différencier les réfugiés politiques et les migrants économiques.
 
Même le co-leader des Verts, Cem Ozdemir, a applaudi…. c’est dire. C’est dire ce que la tentative recèle de contradiction et d’hypocrisie. Dans les faits, il ne dit toujours pas non à l’immigration, et se veut inclusif. Son « Heimat » à lui relève davantage de la « maison commune » de Gorbatchev, d’une « vision commune » globaliste que d’un sentiment véritablement national – les désirs du peuple sont, eux, éconduits.
 

Clémentine Jallais