« Police prédictive » en Chine : un succès à venir ?

Police prédictive Chine
Fan Youshan, directeur général de la société China Electronics Technology Group, présent à la deuxième Conférence mondiale d’internet dans la ville antique de Wuzhen (Chine), le 17 décembre 2015.

 
Connaissez-vous la série américaine « Person of Interest » ? Bien qu’elle ait commencé à être diffusée en 2011, son prétexte narratif serait en passe de devenir réalité… l’existence d’une machine-programme, destinée à prédire les crimes dans la société. Rien d’aussi avancé en Chine, en réalité. Néanmoins, ce qu’on appelle « la police prédictive », née aux Etats-Unis et déjà partiellement mise en œuvre, serait en passe d’être le nouveau joujou chinois, via une gigantesque plate-forme de Big Data.
 
Et, dans un pays communiste, ça peut devenir nettement gênant…
 

Un nouvel « environnement unifié d’information » : le Big Data

 
Tout est une question de données. De Big Data. Et la Chine, pas vraiment attentionnée à la préservation de la vie privée de ses citoyens, possède déjà une somme colossale de ces données collectées à un rythme effrayant depuis plusieurs années. Elle va la systématiser, la centraliser sur une plate-forme, par l’intermédiaire d’une entreprise étatique « China Electronics Technology Group ». Et aboutir ainsi à une « mise en profil » de tout un chacun.
 
Sa biographie, ses transactions financières, ses déclarations sur les réseaux sociaux, ses déplacements géographiques, ses loisirs, ses appels à l’étranger alors qu’il est sans parents à l’extérieur du pays… Tout ce qui est espionnable via l’Internet, les organismes administratifs, les caméras de surveillance etc…
 
Elle compte ensuite combiner ces données avec le développement de l’apprentissage machine, de la reconnaissance faciale, de l’intelligence artificielle, pour être capable de fournir des capacités prédictives novatrices.
 

Police prédictive : la « rupture de norme »

 
Et après ? Sur le papier, les autorités seront à l’affût de toute « rupture de norme », de tout comportement suspect qui pourrait être un indicateur potentiel de « terrorisme ». Mais reste à savoir quelle est la définition chinoise du terrorisme…
 
Évidemment, il y a le type « attaque de campus ». Mais qu’on se garde de penser que l’intérêt gouvernemental ne sera qu’altruiste… Il est bien plutôt radicalement intéressé ! Prédire l’instabilité… Gérer les minorités en tension… Contrôler les dissidents… Avertir des manifestations… Prévenir les grèves… Menacer en temps et en heure.
 
On objectera que les pays dits développés n’ont pas attendu la Chine pour organiser leur propre police prédictive et pouvoir contredire au mieux les événements nocifs au pouvoir et aux idéologies en place – la Manif Pour Tous a été un superbe exemple. Seulement la Chine, avec le caractère confucéen, profondément non individualiste de sa population habituée à courber l’échine, l’idéologie éminemment communiste de ses dirigeants et l’absence d’adversaires politiques internes, donnera quelque chose de bien plus totalitaire et ne s’embarrassera surtout pas de paravents – il n’y aura pas de bataille de vitrine Apple/FBI.
 

Chine : investissement massif sur la sécurité intérieure et des lois pour « encadrer »

 
C’est un fait, la Chine a énormément renforcé ses capacités de surveillance au cours des cinq dernières années, ainsi que ses dépenses sur la « sécurité intérieure et la stabilité » qui ont d’ailleurs dépassé le budget de la défense (13% supplémentaires). Cette année, le gouvernement chinois a même contraint 650 villes à améliorer leur capacité de surveiller les espaces publics par des caméras de surveillance et autres appareillages…
 
Le pays représente ainsi, aujourd’hui, le plus grand marché mondial de la technologie en ce domaine. Et les entreprises occidentales se ruent sur ce gâteau tout trouvé, d’une valeur prévisionnelle de 132 milliards de dollars pour 2022.
 
De plus, les lois anti-terrorisme, passées en décembre, ont donné au gouvernement davantage de pouvoirs pour surveiller la population d’encore plus près. A toute entreprise, il peut demander de fournir des moyens d’accès aux informations sur des appareils et des services utilisés par les internautes – y compris les clés de chiffrement. Elle n’obtempère pas ? Elle quitte le territoire…
 

Victoire du logiciel de Google au jeu de Go

 
C’est un créneau que la Chine ne compte pas lâcher. Il suffit de voir les discussions générées parmi les députés par la victoire de l’ordinateur contre l’homme, mercredi…
 
Les paris n’étaient pourtant pas unanimes. Le go est le dernier jeu « classique » dans lequel les logiciels peinent encore contre un cerveau humain. Et le « bébé » de Google, Alphago, a été confronté à l’un des meilleurs joueurs au monde, le sud-coréen Lee Sedol, numéro trois au classement mondial. N’empêche : ce dernier a été écrasé dès la deuxième manche, par un adversaire au jeu qualifié de « créatif » – ce qui est révolutionnaire –, fort de « l’expérience » de 30 millions de parties…
 
Pour le président de l’Alliance de l’industrie robotique de Chine, cette nouvelle victoire de la machine pointe « un changement fondamental dans l’industrie de l’Intelligence Artificielle,car le logiciel a été capable de juger, de réfléchir et d’apprendre comme un être humain ». « L’application massive de l’Intelligence Artificielle aura lieu dans seulement trois à cinq ans … La Chine doit saisir ce moment ».
 
Les signaux sont de toute façon favorables : la Chine a inclus le développement de terminaux Intelligence Artificielle et robots industriels dans son projet de 13e plan quinquennal, qui cartographie le développement social et économique de la Chine pour la période 2016-2020. Clairement, elle veut être à la pointe. Non seulement pour moderniser son secteur manufacturier et remédier à la pénurie de main-d’œuvre, dans le domaine de la robotique d’industrie, mais aussi dans ce fascinant secteur de la surveillance, comme on l’a vu, où la concurrence est déjà mondiale.
 

Clémentine Jallais