Richelieu, l’aigle et la colombe : cardinal et homme d’Etat, un catholique avant tout

Richelieu aigle colombe Arnaud Teyssier Livre
 
Le cardinal de Richelieu (1585-1642) fait partie des plus illustres méconnus de notre Histoire nationale. Le personnage est encombré de légendes favorables ou hostiles, d’époque ou postérieures, et il est difficile, même pour l’historien, ou a fortiori l’honnête homme, de sortir d’une multitude de clichés contradictoires. Aussi, écrire une énième biographie de Richelieu ne relève pas de l’exercice inutile.
 

« Richelieu, l’aigle et la colombe » : l’apport de la biographie d’Arnaud Teyssier

 
Arnaud Teyssier est un historien professionnel, qui a fait l’effort de relire la masse énorme de documents favorables ou hostiles et d’essais historiques antérieurs, traitant de Richelieu. Il possède une bonne compréhension de l’époque et de son atmosphère, atouts essentiels et indispensables pour bien appréhender le personnage, tout comme, ce qui ne va plus de soi hélas, du catholicisme et de ses modes d’expression en cette première moitié du XVIIème siècle.
 
Sa thèse majeure, et à notre sens juste, consiste à insister sur le fait qu’en toutes choses, Richelieu a constamment cherché à agir en bon catholique. Cet examen de conscience constant est attesté par la correspondance du cardinal, dont il n’y a pas à douter de la sincérité. En effet, un hypocrite n’aurait certes pas provoqué gratuitement la morale du temps, aurait peut-être affiché des formules pieuses, convenues, mais n’aurait pas pour autant multiplié les preuves de questionnement de conscience permanents, qui plus est dans des documents qui n’étaient destinés ni à la publication ni à la diffusion. Ce catholicisme imprègne ses quelques années pendant lesquelles il eut la charge de l’évêché de Luçon (1607-1624), sa vie personnelle, mais aussi ses décisions politiques, y compris les plus contestées à l’époque par beaucoup de catholiques, comme le maintien de la tolérance envers les protestants ou une politique extérieure d’alliance avec des Etats protestants contre des Etats catholiques. On ne suivra pas forcément l’auteur de la biographie dans toutes les justifications qu’il avance, même s’il se montre un avocat convaincant.
 
On regrettera seulement une tendance générale à l’hagiographie, néanmoins intelligente, ou, bien pire, en de rares occasions, des comparaisons totalement anachroniques et des plus discutables, tenant par exemple à voir une continuité dans le sens de l’Etat entre Richelieu et de Gaulle. Si la comparaison n’était impropre, voire ridicule, elle porterait alors à charge contre Richelieu. L’ensemble de la réflexion demeure nonobstant de qualité.
 

Les premières années de Richelieu

 
On sait peu de choses des premières années de Richelieu, jeune homme de moyenne noblesse provinciale, suivant de bonnes études à Paris dans des collèges destinés à la noblesse. Sans être certes spécifiquement religieux durant son adolescence, cet enseignement comprend une forte dimension catholique, avec des cours intégrés aux horaires et des conférences extérieures. La question de la vocation de Richelieu ne saurait trouver de réponse définitive ; mais elle a pu émerger à 18 ans, lorsque sa famille le pousse vers une carrière ecclésiastique. Il n’y a pas à douter de son sérieux, ni de sa sincérité. Il y a encore moins à en faire un apprenti-mousquetaire contraint à se faire évêque, suivant des légendes hostiles reprises par des écrivains romantiques –mais non par le plus connu, Alexandre Dumas, plus respectueux et juste que beaucoup d’autres. Toutes les accusations de vie légère, dans sa jeunesse ou a fortiori ultérieurement, avec moult maîtresses, ne tiennent pas et relèvent souvent de l’invention malveillante tardive. En outre Louis XIII, sincèrement pieux et consciencieux, n’aurait jamais accepté les services d’un homme d’Eglise de moralité douteuse. A contrario, Richelieu veillera toujours à maintenir la moralité et la science chrétienne, parfois variable, du clergé catholique en France.
 
Richelieu est en effet imprégné de l’atmosphère de la Réforme Catholique, souvent dite Contre-Réforme pour insister sur sa dimension de réaction face au protestantisme, « Réforme » autoproclamée. Le début du XVIIème siècle est fortement influencé par le concile de Trente (1542-1563), discuté en France du fait de sa dimension ultramontaine. Richelieu tient à reprendre le meilleur de ce concile, en particulier dans la formation des prêtres et la noblesse de la liturgie, sans entrer dans les controverses terribles entre ultramontains et gallicans. Il serait plutôt un ultramontain modéré, manifestant cette sensibilité lors de ses discours de délégué du clergé lors des états généraux de 1614.
 
Après un faux-départ en 1616-1617, éphémère ministre dans le sillage de l’impopulaire Concini, Richelieu, attaché longtemps à la clientèle de la reine-mère Marie de Médicis, accède durablement aux responsabilités ministérielles à partir de 1622.
 

Un cardinal dirige la France

 
Toujours contrôlé par Louis XIII (1610-1643), souverain très jaloux de son autorité, Richelieu, créé cardinal en 1622, s’impose progressivement, triomphant totalement après la Journée des Dupes (10-11 novembre 1630). Il dirige effectivement le gouvernement de la France jusqu’à sa mort en 1642. Mais il demeure en permanence menacé d’un prompt et subit renvoi par Louis XIII, suite aux innombrables complots aristocratiques contre sa personne.
 
Rétablir l’autorité de l’Etat, priorité bien connue et indiscutable de Richelieu pendant qu’il fut aux affaires, ne s’oppose pas au catholicisme. Il n’entend pas détruire le parti protestant dans une perspective laïque, semblable, avant l’heure, à celle de la IIIème République. Dans une mentalité collective encore largement médiévale, la défaite militaire des protestants est encore considérée comme une forme de jugement de Dieu sur la nature de la vraie Religion, particulièrement lors du très difficile, long et finalement victorieux siège de La Rochelle (1627-1628). Toutefois cette thèse se rencontre principalement chez les catholiques. Pour Richelieu tout particulièrement, la conversion progressive des protestants doit résulter d’une propagande catholique intense mais purement pacifique, qu’il favorise hors de toute violence. Ainsi l’Edit d’Alès de 1629, tolérant encore le culte protestant après la défaite politique du parti protestant, est replacé dans sa perspective véritable. Il permet aussi d’achever les épisodes de guerre civile qui auraient pu se prolonger en cas de volonté affichée de faire disparaître autoritairement le protestantisme. Rappelons que les méthodes dures des dragonnades de Louis XIV, dans les années 1680-1690, ne convertiront pas mieux les protestants, bien au contraire.
 
Un des apports de la biographie d’Arnaud Teyssier est de rappeler le souci constant de Richelieu des affaires de l’Eglise de France. Il écrit aux évêques négligents. Il essaie de lancer une grande réforme des ordres religieux en France, dont une fusion des clunisiens et des cisterciens, bloquée par le Pape – dont il respecte l’opposition.
 

Quelques points discutables

 
La politique étrangère de Richelieu est beaucoup plus discutable, constamment opposée, et de plus en plus franchement, aux deux autres grandes puissances catholiques, l’Espagne et les Etats autrichiens, dont le chef est également le roi de Germanie et Empereur des Romains. L’intervention française dans la Guerre de Trente Ans (1618-1648) assure la victoire du parti protestant, défini comme tel dans l’Empire, malgré toutes les garanties formelles de tolérance du catholicisme arrachées par Richelieu à ses alliés protestants – dont la Suède. Arnaud Teyssier rappelle à juste titre que le Saint-Siège a souvent fait preuve de compréhension, déplorant mezzo voce la domination espagnole constante sur la péninsule italienne. On peut admettre que les territoires des Habsbourg, encerclant en quelque sorte la France, constituaient un danger potentiel.
 
Toutefois la guerre préventive de Richelieu, larvée dès 1624 puis ouverte en 1635, manque plusieurs fois de tourner au désastre total, ponctuée par la défaite militaire de Corbie en 1636, avec menace sur Paris, et la révolte intérieure générale, nobiliaire et paysanne, provoquée par l’accroissement sans précédent des impôts pour financer la guerre. Le sage ministre Michel de Marillac (1560-1632), brusquement disgracié en 1630, partisan d’une réforme intérieure rigoureuse sans aventurisme extérieur, avait probablement raison. Arnaud Teyssier refuse de le voir, attaché à une vision hagiographique qui reprend sans distance des commentaires usés et une téléologie facile : la France a fini par gagner en 1659. La Grandeur de la France, le soutien à ses alliés, l’abaissement de ses ennemis ? Avec de tels discours, et les mêmes arguments, on a eu aussi 1870 et 1940…Ou déjà François Ier à Pavie en 1525, désastre majeur qui restait dans toutes les mémoires un siècle plus tard.
 
De même, on ne peut exonérer Richelieu de quelques mesquineries, ou pire, injustices manifestes, comme la condamnation à mort du maréchal de Marillac (1572-1632), innocent mais dont le frère ministre s’était opposé à Richelieu.
 

Ainsi cette biographie de Richelieu est un excellent livre à lire, pour l’historien comme l’honnête homme, tout en gardant son esprit critique en éveil. Elle possède le mérite majeur de rappeler la dimension catholique essentielle du personnage.

 

Octave Thibault

Richelieu, l’aigle et la colombe, Arnaud Teyssier, ed. Perrin, 2014, broché 24,50 €