Sous couleur de lutter contre les activités qui menacent la sécurité nationale, la nouvelle loi antiterroriste adoptée mercredi par la Douma fait peser une menace sur la liberté religieuse en Russie en instituant un contrôle sévère pour éviter tout prosélytisme, notamment de la part des Eglises chrétiennes non orthodoxes. Le texte a été adopté à la quasi unanimité et devrait être rapidement signé par le président Vladimir Poutine. A ce jour, ce sont surtout les protestants et notamment les évangéliques qui ont dénoncé cette loi de « persécution ». Mais il n’y a pas de raison que les catholiques ne soient pas soumis aux mêmes règles, risquant amendes et dénonciations s’ils tentent de convertir des orthodoxes.
La loi antiterroriste institue ainsi les mesures les plus restrictives pour la liberté religieuse depuis l’ère soviétique. Elle régit strictement toute activité « missionnaire » : prêcher, enseigner, et plus largement s’engager dans n’importe quelle activité ayant pour « objectif » de faire adhérer des personnes à un groupe religieux ne sera possible, sous son empire, que dans des sites ouvertement religieux, tels les églises et autres lieux de culte.
Poutine s’apprête à ratifier la loi antiterroriste en Russie
Qui plus est, même dans ces lieux désignés, les croyants ne pourront exercer de telles activités qu’au moyen d’un permis obtenu par le biais d’une organisation religieuse dûment enregistrée auprès des autorités russes.
Tout prosélytisme est par ailleurs strictement interdit, y compris dans l’intimité des foyers, ou en ligne. Autrement dit, il ne peut pas être question de chercher à convaincre un ami (sous-entendu : ethniquement russe et orthodoxe) d’adhérer à une dénomination protestante, mais pas non plus à l’Eglise catholique, dans le cadre privé, ou en l’invitant à venir découvrir une cérémonie religieuse en lui envoyant un courriel.
La loi antiterroriste institue notamment une surveillance extrêmement rapprochée d’Internet, accordant au gouvernement le droit d’obtenir les codes de décryptage des applications protégées.
Elle ne désigne pas clairement les non orthodoxes mais telle est sa portée pratique. Proposée par l’élue Russie Unie Irina Yarovaya, elle définit les activités missionnaires comme toute pratique religieuse visant à diffuser la foi d’un groupe religieux au-delà de ses membres. En Russie, la religion orthodoxe est très largement majoritaire et jouit de la bienveillance du pouvoir, bienveillance que d’ailleurs elle lui rend bien.
La liberté religieuse des Eglises non orthodoxes menacée en Russie
Selon Frank Goble, expert en affaires religieuses et ethniques russes, « si cette loi est interprétée comme on peut s’y attendre par le patriarcat de Moscou, cela reviendra à ce que l’Eglise orthodoxe puisse aller à la conquête des Russes ethniques mais qu’aucune autre Eglise n’en aura de droit ».
Il faut dire que l’Eglise russe orthodoxe fait partie du dispositif « nationaliste » russe, fortement soutenu par Poutine : « Tout ce qui sape cette action constitue une véritable menace, qu’il s’agisse de missionnaires protestants ou de n’importe quoi d’autre » commente David Aikman, professeur d’histoire et spécialiste des affaires étrangères dans les colonnes de Christianity Today.
Tel a d’ailleurs été son rôle historique, y compris au cours de la période soviétique où la persécution se combinait avec le contrôle d’une Eglise orthodoxe habituée à composer avec le pouvoir, voire à le servir.
Le prosélytisme des églises chrétiennes sévèrement encadré et menacé
A ce jour, ce sont surtout les organisations protestantes qui ont publiquement dénoncé la nouvelle loi de contrôle des activités religieuses en Russie. Tout au long du week-end, les protestants russes, estimés à 1 % de la population, ont prié et jeûné pour demander à Dieu le miracle du refus de Poutine de signer le texte. Plusieurs pétitions en ce sens ont été envoyées au président de Russie ces derniers jours.
La loi s’ajoute à celle sur les « agents étrangers » de 2012, qui impose aux organisations étrangères – ONG et entités religieuses – de se faire enregistrer par les autorités pour pouvoir opérer sur le territoire russe. Depuis cette date, selon un prêcheur protestant, le secteur des ONG a fondu d’un tiers et plusieurs missions étrangères se sont vu refuser enregistrement ou prolongation de visas.
La loi contre le prosélytisme, que les protestants n’hésitent pas à appeler « loi contre l’évangélisation », prévoit des amendes allant jusqu’à environ 700 euros pour un individu et 14.000 euros pour une organisation pour toute activité illicite. Quant aux étrangers jugés coupables de l’avoir violée, ils encourront l’expulsion.