En invitant les dirigeants du monde entier à Paris, Emmanuel Macron a voulu leur faire partager solennellement les leçons qu’il tire de la Grande Guerre et le projet politique mondialiste, et en même temps se poser en Bibi roi aux yeux des Français qui l’attendent au tournant le 17 novembre.
Bibi roi est courageux mais pas téméraire. Quand on lui parle du prix des carburants, il répond : « Le gazole ce n’est pas Bibi ». Il craint la claque du 17 novembre. Même prudence pour le 11 et les leçons de 14-18. Il était parti un moment sur la pédagogie de l’histoire et la réconciliation nationale, en distinguant la première guerre mondiale de la seconde et le rôle de Philippe Pétain dans l’une et l’autre, et puis les habituels lobbies ont joué, et il n’a pas opposé de résistance.
Le tralala du 11 novembre : une leçon d’hier pour demain
C’est que son seul souci est la politique aujourd’hui. Le grand tralala autour du 11 novembre n’est qu’un moyen de la cadrer, une leçon d’hier contraignante pour les citoyens d’aujourd’hui. L’idée générale de la semaine n’était pas de célébrer nos aïeux mais de dissuader à tout prix leurs arrière-neveux d’imiter leur exemple. La grande guerre, plus jamais ça.
Cette leçon n’est pas sans mérite si elle est bien entendue. Les systèmes d’alliance imbéciles, la jactance, la raideur, l’orgueil, puis, une fois les opérations engagées, le sacrifice de tant d’hommes dans la bataille furent en effet des exemples à ne pas suivre.
La leçon de Macron : le monde d’hier était mauvais
Cette leçon aurait été utile, et même méritoire, voilà un peu plus de cent ans. En 1914, pendant que Poincaré et Bethmann-Hollweg s’emmêlaient les pinceaux avec leurs alliés respectifs. Ou pendant les offensives de 15, 16, et le refus de paix séparée en 17. Mais aujourd’hui, elle me semble à la fois un peu courte et politiquement orientée. Hémiplégique en quelque sorte. La guerre, comme toute activité humaine, est en effet plurivalente. Dans tous les ordres, courage, solidarité, foi, on peut aussi en tirer des leçons excellentes. Macron, les chefs d’Etats et de gouvernements qu’il avait invités, les médias, les écoles, ont à mon sens péché par pessimisme, par une sorte de dénigrement exemplaire du passé. Sans être grande théologienne, il me semble qu’incarner le mal dans qui ou quoi que ce soit, fût-ce la guerre, est du manichéisme : il y a des possédés, il n’y a pas d’incarnation du mal.
Trump à Paris : le mauvais élève du 11 novembre
Macron a intégré pourtant 14-18 au pôle noir de l’humanité qui est ordinairement représenté par 39-45. A partir de là il en a tiré les leçons qu’un lauréat au concours général d’instruction civique modèle 36 rectifié 2018 ne pouvait manquer de formuler. La guerre nourrit naturellement un forum de la paix où devaient briller en priorité l’ancien ennemi de 14, i.e. l’Allemagne, représentée par sa chancelière, Angela Merkel, avec qui Macron à Douaumont n’avait pas manqué de se frotter le museau, et l’Organisation des Nations unies, représentée par son secrétaire général, Antonio Gutteres. Ces excellentes personnes nous ont dit que leur devoir et le nôtre était de préserver la paix, et qu’à cette fin le multi-latéralisme était la bonne méthode. Pendant ce temps-là Trump vaquait à ses occupations. On le montra du doigt. Il ne faisait pourtant qu’imiter Bush et Colin Powell qui, dans la guerre d’Irak en 2003, avaient envoyé promener le multi-latéralisme. Ainsi font les Etats-Unis, rois du monde, quand ça les arrange.
Bibi roi philosophe sur le nationalisme et le patriotisme
Macron, au-delà de la méthode, montra l’objectif. Les dirigeants du monde doivent lutter contre « les passions mauvaises » (racisme, xénophobie, nationalisme, etc.). Quant à la dernière de ces passions mauvaises citées, Bibi philosophe a eu cette phrase : « Le patriotisme, c’est l’exact inverse du nationalisme ». D’éminents confrères se sont jetés sur leur dictionnaire étymologique, la patrie c’est la chose des pères, la nation, c’est la chose des gens nés ensemble, donc, quelque part, ça se ressemble, au lieu de s’opposer. Je crois qu’ils commettent l’erreur de répondre sérieusement à un pur exercice de verbalisme polémique.
La leçon des poilus selon Macron : un monde sans frontières
Autrement dit, Macron ne s’intéresse pas aux choses, nationalisme et patriotisme, mais aux mots, et à l’utilité politique qu’il en tire. Il noircit le nationalisme pour noircir les gens qui s’opposent aujourd’hui à lui-même et au projet mondialiste.
Autrement dit, ses petites dissertes, en particulier celle sur le patriotisme et le nationalisme, n’ont d’autre intention que de discréditer, mieux, de diaboliser, les populistes qui expriment la colère du peuple et entendent défendre les frontières de l’invasion en cours. Cela mène à un joli paradoxe ce roi de l’arnaque qu’est Macron : la leçon qu’il tire de la Grande Guerre, c’est qu’il est mal de défendre ses frontières.
Les Africains, rois de la fête du 11 novembre
Le choix d’Angélique Kidjo pour célébrer en langue fon les poilus par sa chanson Blewu est à cet égard un véritable coup de génie.
Par ce qu’il évite. Pas de musique militaire. Pas de compétition entre l’anglais, le français, l’allemand. Pas de référence chrétienne, musulmane ou juive, donc exclusive.
Par ce qu’il dit. L’hommage à ceux qu’on appelait jadis les « tirailleurs sénégalais », c’est-à-dire aux combattants d’Afrique noire, sacrés pour l’occasion sauveurs de la patrie, quand ils ne furent qu’une goutte de sang dans l’hémorragie française. Et surtout, à travers eux, l’accueil de la France de demain, la France sans frontières, multi-culturelle et multi-ethnique.
Angélique marquise du monde
Angélique Kidjo , 58 ans aux mangues, classée dans les cent femmes les plus influentes au monde par le Guardian, née béninoise à Ouidah, anciennement Ajuda, comptoir portugais qui pratiqua la traite transatlantique, installée à Paris en 1983 puis à New York en 1998, n’est pas seulement, ses récompenses internationales le disent, la reine de la World Music en cinq langues dont trois africaines, mais son parcours en fait une « bonne personne » selon les canons du mondialisme. Ambassadrice de l’UNICEF depuis 2002, elle s’est aussi engagée dans la campagne de Barack Obama et aux côtés de l’ONG Oxfam pour le commerce équitable. Elle est à elle toute seule la figure du monde que Macron promeut, elle l’a exprimé dans l’autobiographie qu’elle a écrite, sa voix, c’est une âme. L’âme du peuple mondial en formation.
Un Américain à Paris, et Macron l’anti De Gaulle
On a beaucoup potiné sur Trump et Macron, les caresses de celui-ci, la tête de baudroie constipée de celui-là, ses rogues provocations. Chacun son rôle, gentil maître Jacques du mondialisme ou Rapetout de la diplomatie ordinaire : Trump a profité de Paris pour voir Poutine et pour parasiter le forum de la paix en reportant d’un jour une visite au cimetière.
Macron, envoyant les épouses à Versailles, a prétendu prendre une pose gaullienne, mais il n’est le roi que de l’inversion. Car le gaulliste en l’espèce était Trump, et lui, Macron, a figuré un parfait anti De Gaulle : le général mit des limites au fédéralisme de Bruxelles par le compromis de Luxembourg, combattit la CED (communauté européenne de défense), et méprisait l’ONU sous le nom de « machin » : c’est à l’ombre du machin que Macron cultive le multi-latéralisme, et à celle de Bruxelles qu’il prône « l’armée européenne ». Et il s’est servi pour cela du 11 novembre. Quelle belle leçon !