Jean-Gabriel Pardi, familier du Morbihan a été nourri de l’histoire du débarquement de Quiberon. Il en tire aujourd’hui un roman, 1795, les Fossés de Penthièvre, qui nous plonge dans le soulèvement des campagnes de l’Ouest, autour de « Monsieur Georges » alias Cadoudal… S’appuyant sur les récits d’historiens confirmés tels que Patrick Guéniffey, Anne Bernet ou Jean-François Chiappe, il emprunte à Giono le souffle de la chevauchée d’Angelo Pardi – d’où, d’ailleurs, son : « dans mon roman, c’est la violence révolutionnaire qui tient la place du choléra. » Mais Montaigne y tout autant sa place, dont les Essais accompagnent le paquetage du héros et émaillent le texte…
Dans les fossés de Penthièvre, à l’été 1795
Les princes en émigration à Londres envoient à la fin juin, en soutien de l’insurrection chouanne, cinq régiments qui débarquent sur les plages de Carnac. Dans ce Grand Corps de la Marine Royale, figure le vicomte Tanguy de Kervarec, héros de l’aventure. Simple enseigne de marine, c’est dans cette épopée de Quiberon qu’il va faire ses armes et approfondir son analyse de la Révolution, parmi ces « jeux de l’ombre », dans cette vie clandestine où l’on s’échappe de manoir en masure, de cellier en arbre creux.. Plouay, Hennebont, Pontcallec, Auray, Plouharnel ! On entend hululer la chouette et rouler le Scorff, la nuit, sous les dolmens. Et les coups du maréchal forgeron qui ré-emmanche verticalement les faux et aiguise leur coupant…
Pardi tient à redire l’Histoire. Elle n’y est pas qu’une base nécessaire à l’imaginaire plus prégnant d’une intrigue. Elle est le véritable sujet de ce roman qui mérite encore davantage, comme le suggère d’ailleurs l’auteur, le terme de « chronique ». Lui-même est là, tout près, dans l’ombre de son héros, joli prétexte à raconter ces graves et sombres années, les hauts faits comme les errements. On entend à nouveau, par la bouche du Marquis de Pontcallec, la notification au Roi Louis XVI de sa condamnation à mort par la Convention. On ré-évoque le martyre des seize carmélites de Compiègne. Beaucoup de personnages-clés sont cités, du plus grand au plus abject. Et même ce pauvre rhinocéros de la Ménagerie Royale, ramené avec peine des Indes, que les révolutionnaires haineux massacrèrent au sabre parce qu’il avait eu le tort de divertir les enfants royaux…
Quiberon : « les quatre composantes de l’opposition au régime républicain » (Pardi)
Mais « l’affaire de Quiberon » prend toute la place qui lui revient. Événement emblématique qui concentre « les quatre composantes de l’opposition au régime républicain, tel qu’il est devenu par radicalisations successives : la révolte des campagnes, la dissidence du clergé dit « réfractaire », l’intervention militaire de régiments d’émigrés, le soutien d’une puissance étrangère. » Pardi met chez Tanguy toute la conscience qu’il aurait fallu avoir de ce grand mouvement mal ajusté, fait de bonne volonté paysanne, d’indigence militaire et aussi d’opportunisme personnel… Il en dit la raison d’être, à travers cette paysannerie « agressée dans ses modes de vie ancestraux » ; l’échec, dû en partie à la mésentente des généraux de son commandement ; et le désastre : des milliers de personnes, officiers et chouans, arrêtées, près de huit-cent passées « officiellement » par les armes – en témoigne encore le « champ des martyrs » de Brech, près d’Auray.
Par-delà, c’est le procès de toute la Terreur et de sa « sinistre mécanique », de Carrier à Westermann. Quelle était cette Révolution sinon « …une fermentation parmi les boutiquiers aisés, la bourgeoisie lettrée, la basoche bavarde et quelques aristocrates inconscients, le tout agité, propagé, orchestré par ces sociétés de pensée résolument hostiles à la religion… » ? Pour Tanguy, c’est « une coterie ultra-minoritaire, parfaitement ignorante des réalités et des souhaits de la société française dans sa diversité ».
Il ne comprend pas le processus de radicalisation qui s’est effectué, l’escalade de la violence qui a renoué, à travers la peur, avec « la sauvagerie primitive »… Car sa condamnation n’est pas uniforme. Il accepte et justifie le travail de la Constituante de 89 et de 90. L’abolition des privilèges, cette fameuse nuit du 4 août 89, ne le choque pas plus qu’elle ne choque le jeune prêtre réfractaire du roman. Il y revient à plusieurs reprises, en parlant de cet « absolutisme chronique » et « désuet », qu’il était bon de remettre en cause. Mais les germes de la Terreur, où faut-il aller les chercher ? La peur ne suffit sans doute pas à tout expliquer.
Marie Piloquet
•1795 – Les Fossés de Penthièvre, Jean Gabriel-Pardi, éditions Atelier Fol’fer, 364 p.
MC 1795, les Fossés de Penthièvre, Jean-Gabriel Pardi