Deux mois sans Premier ministre ourlés de consultations sans fin, trois sondages témoignant de l’inquiétude de la société française, des oppositions grognant de plus en plus : la cinquième République, qui passa pour un modèle de stabilité, paraît désormais, même aux yeux de l’étranger, un régime en crise. Quant aux émeutes anglaises, réprimées avec une sévérité sans commune mesure avec les faits, elles témoignent de l’incapacité des élites politiques à écouter et comprendre la colère du peuple. Et le vote massif de la Thuringe, qui propulse l’AFD, le parti nationaliste, en tête, est un coup de tonnerre dans le paysage politique allemand : il montre la même incompréhension des élites allemandes, ou la même volonté de ne pas entendre ce que signifie l’élection. On assiste à travers toute l’Europe à une révolte têtue des peuples, révolte volontairement incomprise que les institutions et les élus se sont dans l’ensemble donné pour mission de juguler.
La droite française regrette son vote, qui a provoqué la crise
A tout Seigneur, tout honneur, Macron. J’ignore si, quand cet article sera mis en ligne, la fumée arc-en-ciel sera sortie des cheminées de l’Elysée pour désigner, parmi les pantins politiquement corrects, un nouveau Premier ministre. Ce qui est certain toutefois, c’est que, passable à la rigueur du point de vue constitutionnel, la façon de faire de Macron lasse tout le monde. Selon un sondage IPSOS paru dans Le Monde, 51 % des Français seraient favorables à la démission du président, qui l’a exclue. La France insoumise en profite pour pousser ses diverses procédures, qui n’ont aucune chance d’aboutir et n’ont pas de base juridique bien solide : mais il s’agit de faire parler de soi, afin de faire oublier deux autres sondages. Le premier est une enquête d’Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne. Elle constate un regret massif des électeurs de droite d’avoir choisi au second tour des élections législatives le 7 juillet d’avoir fait barrage au RN, entraînant l’inextricable situation où se trouve la France.
Révolte française contre le vote insoumis
Plus précisément 62 % des électeurs de droite (Républicains et divers droite) qui ont choisi un candidat NFP contre le RN, répondant à l’appel conjoint de Mélenchon, Roussel, Panot, Tondelier, Macron, Wauquiez, regrettent ce choix. Et 44 % expriment ce même regret quand ils ont fait élire un candidat macroniste d’Ensemble. C’est donc le choix de l’ensemble des élites au pouvoir que récuse aujourd’hui une majorité de la droite modérée. Or l’étude IPSOS pour Le Monde comporte un autre volet tout aussi intéressant, qui mesure la descente aux enfers de LFI : 74 % des sondés estiment qu’il s’agit d’un parti d’extrême gauche, 72 % qu’elle « attise la violence », 69 % qu’’elle est dangereuse pour la démocratie, alors que seuls 26 % la jugent proche de leurs préoccupations, 22 % capable de gouverner le pays, et 22 % qu’elle propose une société dans laquelle ils aimeraient vivre. Bref, l’agitation à laquelle le NFP s’emploie depuis deux mois ne lui profite pas, et ses prises de positions tranchées contre Israël sur Gaza lui nuisent grandement. On voit que les soucis des Français n’ont rien à voir avec les questions institutionnelles, ou le ballet des prétendants à Matignon, tous plus ridicules et inconsistants (et d’ailleurs nocifs) les uns que les autres, Castets, Cazeneuve, Bertrand, Beaudet, etc.
Ailleurs en Europe : les émeutes anglaises incomprises
En d’autres termes, le cirque politicien et institutionnel auquel se livrent Macron et ses opposants ne les intéresse pas : ce qu’ils expriment, à travers trois études différentes mais convergentes, c’est l’exaspération, c’est que le désir de changement exprimé par le peuple aux Européennes et au premier tour des législatives n’aient abouti qu’à sa négation par les élites : la preuve en est la bonne tenue du RN. La situation est exactement la même au Royaume-Uni. Notons tout d’abord qu’en termes de voix et de pourcentage, le parti travailliste emmené par Keir Starmer le 4 juillet 2024 a obtenu un résultat analogue à celui de Bardella au premier tour du 30 juin, mais, par la grâce du mode de scrutin britannique (uninominal à un tour) il a obtenu « un raz de marée » en termes de sièges. Depuis, il se trouve face à une situation ingérable qu’il n’a pas créée, un pays profondément envahi, avec ce que cela suppose d’insécurité et de chômage, et divisé entre communautés irréconciliables. Tout en « durcissant » les règles de l’immigration en paroles, il ne prend aucune décision de fond et réprime avec une férocité aveugle la révolte identitaire anglaise, discréditée sous le terme impropre d’émeutes : un mois après les faits, il vient encore d’arrêter 14 personnes supplémentaires à Middlesbrough, dont un enfant de onze ans !
Le vote à l’Est montre le grand malaise allemand
Une même révolte secoue toute l’Europe. Et si les Pays-Bas ont décidé d’en tenir compte en confiant le pouvoir à Geert Wilders au sein d’une coalition complexe, rejoignant l’Italie où Giorgia Meloni semble bien accrochée maintenant, les principales puissances s’y refusent nettement. Le chancelier allemand Olaf Scholz a reçu une claque gigantesque avec les élections régionales qui redessinent en quelque sorte la carte de l’ancienne Allemagne de l’Est, avec notamment la percée de l’AfD (nationaliste) en Saxe, et surtout dans le Land de Thuringe, qu’elle remporte. Là-bas aussi le message populaire est clair : halte à l’invasion. C’est d’autant plus certain qu’aux 30 % récoltés par l’AFD s’ajoutent les 10 % de Sahra Wagenknecht, ancienne figure gauchiste de Die Linke, qui, depuis qu’elle a formé son propre parti pour préconiser un anti-immigrationnisme de gauche, a connu le succès au moment même où ses anciens amis s’effondraient : c’est une sorte de Mélenchon anti-invasion.
Les élites vent debout contre la révolte incomprise des peuples
Mais quelle conclusion a été tirée par l’établissement allemand de résultats aussi clairs ? Le chancelier Olaf Scholz a préconisé des « coalitions sans l’extrême droite », et même la CDU, qui aurait pu profiter de la défaite de la gauche au pouvoir, a donné dans le wauquiezo-macronisme : pas d’alliance avec « l’extrême-droite ». L’ensemble des élites d’Europe s’entendent pour garder incomprise la révolte des peuples et exclure ceux-ci du pouvoir sous l’étiquette extrême-droite. C’est cela le problème, non tel ou tel détail institutionnel et politicien, qui ne sont que des moyens de le masquer.