Les Tauros font revivre les Aurochs – et le réensauvagement (« rewilding ») bat son plein

 

Anne Dolhein parlait, ici même, en 2016, de ce qui n’était qu’un simple projet. Le rêve fou de l’opération Tauros va devenir réalité, une décennie plus tard. Un troupeau de ces énormes bovins sauvages va être relâché dans les Highlands pour renouer avec les temps anciens où les lourds Aurochs piétinaient ces terres écossaises. Les immenses cornes vont à nouveau entailler les sols pauvres des landes et les épais sabots perturber l’eau claire des lochs profonds…

Depuis les années 2000, un nombre croissant d’initiatives se réclamant du concept de réensauvagement (« rewilding » selon le mot américain d’origine) visent à créer en Europe de vastes espaces dédiés à la vie sauvage, où toute forme d’exploitation humaine est interdite. Entre le laisser-faire, la sauvegarde de la flore ou la réintroduction d’espèces protégées, les modèles sont multiples. Mais les enjeux le sont aussi, des considérations scientifiques aux controverses politiques et sociales. Car on parle moins, en réalité de réconciliation avec la nature que de victoire de la nature. Le « rewilding » veut lui redonner toute sa force, retrouver la prime origine – pourquoi pas au détriment de l’homme.

 

Le réensauvagement des Highlands avec les Tauros

C’est un petit troupeau de moins de 15 spécimens qui sera relâché, en 2026, dans les Highlands écossaises, nous apprend The Guardian, au sein d’un domaine de 4.000 hectares près du Loch Ness. L’association de réensauvagement Trees for Life opérera ainsi la première introduction au Royaume-Uni d’une race de bovins sauvages géants, que des scientifiques néerlandais ont mis près de 20 ans à obtenir, après moult opérations de croisement et de sélection – le premier séquençage complet de l’aurochs date de 2011.

Le dernier aurochs est mort en 1627, dans la forêt polonaise de Jaktorow, mais il avait déjà quitté l’actuel Royaume-Uni pendant l’âge de fer. Pendant des millénaires, ils ont participé au façonnage des paysages européens – on se souvient de leurs profils dessinés sur les murs de la grotte de Lascaux.

Musclés et dotés de longues cornes, les tauros sont presque aussi gros que leurs ancêtres (de la lignée desquels sont issus tous les bovins d’aujourd’hui) qui ont été parmi les plus grands mammifères terrestres d’Europe. Bien qu’ils soient classés comme des bovins domestiques, les tauros peuvent atteindre jusqu’à 180 cm de hauteur au garrot, contre 120 cm pour un taureau des Highlands.

 

Reproduire le rôle écologique de l’aurochs sauvage

Alors, pour Trees for Life, il y a le côté vitrine scientifique : retrouver ceux qui peuplèrent ces landes il y a très très longtemps… Mais il y a surtout la question écologique car les tauros reproduisent les mêmes comportements que leurs ancêtres sauvages. Plus grands et plus actifs que les bovins de race récente, les tauros ont, de fait, une action différente sur le milieu où ils vivent.

Ils se déplacent en groupes sociaux, broutant naturellement certaines zones de manière intensive tout en laissant d’autres intactes, permettant ainsi des processus naturels comme la colonisation des plantes par la perturbation du sol et le cycle des nutriments par leurs excréments.

Et ils créent ce qu’on appelle des « bullpits » – des cuvettes creusées dans la terre par les taureaux en rut à l’aide de leurs cornes et de leurs sabots, ou en frappant leur tête contre l’un des côtés d’une fosse. Les bullpits forment des micro-habitats qui abritent des invertébrés, des petits mammifères et des oiseaux, et permettent aux espèces végétales pionnières de s’établir. Sans compter qu’ils dispersent les graines et pollens dans leur fourrure. Tout cela stimulerait la diversité des espèces et absorberait le dioxyde de carbone.

 

Le « rewilding » : le Sauvage comme objectif

Soit… mais refaçonner des milieux terrestres entiers, avec des animaux reconstitués ? Qu’on se permette des doutes. Surtout lorsqu’on lit les envolées spéculatives de Trees for Life sur le fait que ces paysages deviendraient ainsi « plus résilients aux défis environnementaux futurs ».

Que maîtrise vraiment l’homme ? Ni le climat, en réalité, ni a fortiori la concordance de ces bêtes avec ce dernier, des bêtes qui ne sont même pas de vrais aurochs, mais le produit d’une expérimentation somme toute très humaine. Ce faisant, l’homme interfère, avec, semble-t-il, beaucoup de prétention et de certitude.

Qu’on se rappelle l’expérience du « réensauvageur » britannique Derek Gow qui, lui aussi, était un amoureux des aurochs. En 2009, il a importé d’Allemagne un troupeau d’aurochs de Heck, une espèce recréée par les allemands Lutz et Heinz Heck, biologistes respectivement directeurs des zoos de Munich et de Berlin dans les années 1920 (l’aurochs sera d’ailleurs utilisé comme symbole par la propagande nazie, en raison de sa force brute et primitive !). Il a fini par se débarrasser du troupeau tant les animaux étaient agressifs et incontrôlables. Et la presse britannique s’était régalée de cette histoire de vache nazies finissant en saucisses…

Le « rewilding » dont toutes les idées ne sont pas mauvaises, a ce défaut de vouloir tourner uniquement à l’avantage de la nature et d’imposer à l’homme cette vision, lui montrant qu’il n’est qu’un habitant toléré de cette planète, tout juste bon à servir le règne animal et végétal. D’ailleurs, l’aspect « écotourisme » et « éducation du public » est très appuyé : il faut reconnecter les gens avec la terre, nous dit-on, et les impliquer dans le réensauvagement, en toute sécurité bien sûr pour les animaux (on parle moins de celle de l’homme). Ces opérations sont toujours de véritables mises en scène avec moult battage médiatique qui laissent, pour le moins, dubitatifs.

 

Clémentine Jallais