Parmi les derniers pays à pénaliser l’avortement volontaire en toute circonstance, le Chili est sous le feu du lobby de la mort. La présidente socialiste récemment réélue, Michelle Bachelet, a annoncé un projet de légalisation de l’avortement dans les « cas limites ». La manipulation est en marche. Mais les Chiliens, et la hiérarchie catholique, résistent.
Des milliers de personnes ont manifesté lundi soir devant le palais présidentiel la Moneda, dans la capitale chilienne, pour protester contre le projet de dépénalisation de l’avortement porté par la socialiste Michelle Bachelet. On savait que l’ancienne présidente du Chili, battue en 2010 après un premier mandat de quatre ans, tenait à revenir à la charge sur ce chapitre. Le projet fait désormais figure de priorité, Mme Bachelet l’ayant officialisé dès le 21 mai, deux mois après sa nouvelle entrée en fonctions, lors de son discours de politique générale devant le Congrès national. Avec la « Nueva Mayoria » (Nouvelle majorité) qui l’a portée au pouvoir, elle y dispose d’une confortable majorité allant des communistes aux démocrates-chrétiens.
Si la riposte populaire s’est organisée aussi rapidement, c’est sans doute parce que le Chili, l’un des cinq derniers Etats au monde à pénaliser l’avortement dans tous les cas, sans exception, a l’habitude de ces manœuvres. Depuis la fin de l’ère Pinochet, en 1990, près de vingt propositions de légalisation ont été déposées, sans succès.
Contourner la Constitution
Michelle Bachelet et son exécutif ont choisi cette fois l’option la moins radicale : un toilettage du code pénal, sujet à un vote parlementaire à la majorité simple. En énumérant quelques cas exceptionnels où le délit d’avortement – actuellement passible de trois à cinq ans de prison – serait dispensé de peine, ils espèrent visiblement contourner la Constitution de 1980 qui affirme : « La loi protège la vie de celui qui va naître ».
On braque donc les projecteurs sur les « cas-limites » : la non-viabilité du fœtus, le viol et le danger pour la vie de la mère. Ce faisant, l’ancienne directrice d’ONU-Femmes – Michelle Bachelet était à la tête de cette officine mondialiste de 2010 à 2013 – ne fait qu’appliquer une tactique maintes fois éprouvée par le lobby de l’avortement. En légiférant sur des situations qui provoquent, à juste titre, la compassion ou la peur, on crée l’impression de n’intervenir qu’à la marge. Mais loin de confirmer la règle, l’exception crée la règle inverse en se généralisant peu à peu. C’est ainsi que les nations présentées comme les plus avancées évoquent désormais le « droit à l’avortement », dont diverses agences onusiennes réclament la reconnaissance à titre de droit universel.
Exceptions… ou masques ?
Les trois « exceptions » méritent d’être examinées de plus près. Celle de la non-viabilité du fœtus ne permet-elle pas simplement d’anticiper sur une mort certaine en évitant à la mère de porter un enfant sans espoir de vie ? Peut-être ; mais au prix d’un acte homicide porteur de souffrance bien plus grave, y compris pour celle qui l’accepte et le pose. Sans compter que cette exception-là devient vite un outil eugénique, dérive que de nombreux pays ont connue et qui s’accentue du fait que le constat médical de non-viabilité n’est jamais qu’une prédiction, et non une certitude.
Le cas du viol est particulièrement poignant. Pourtant l’enfant conçu n’est pas responsable des circonstances de sa conception. C’est en somme ce que scandaient les manifestants de lundi soir en dénonçant la « peine de mort pour les innocents ». Tuer n’est pas la solution…
Pour ce qui est du danger pour la vie de la mère, il faut bien sûr distinguer les situations. L’ex-président du Chili, Sebastian Piñera, tweetait le 21 mai : « Il est légitime de tenter de sauver la vie de la mère, même si, comme effet non désiré, on met en péril la vie de l’enfant à naître » : classique distinction. Dans la pratique la nécessité du recours à l’avortement direct pour sauver la vie de la mère ne se présente guère.
Comment sauver les mères
Mieux : le Chili affiche un des taux de mortalité maternelle les plus bas des Amériques, une belle part de ses progrès s’étant accomplie, justement, depuis la repénalisation de l’avortement en 1989 : elle est passée de 55 morts pour 100.000 naissances en 1990 à 22 pour 100.000 en 2013. Selon le chercheur Elard Koch, le risque pour une femme de 15 à 49 ans de mourir à l’occasion d’un avortement est de 1 pour 4 millions.
L’Eglise catholique s’est élevée contre le projet de légalisation de l’avortement par la voix du cardinal Ricardo Ezratti, archevêque de Santiago : il a rappelé à la présidente qui venait de présenter un plan de protection des animaux de compagnie que « la vie humaine vaut bien plus ».