Le Chili dit non à la maladie de la constitution

Chili Non Maladie Constitution
 

La religion de l’Etat de droit tend à transformer les Constitutions des Etats, qui ne sont à l’origine que des textes organisant les pouvoirs publics, en Tables de la Loi où se trouvent « sanctuarisés », « sacralisés » tous les droits considérés comme indispensables et représentatifs de la morale politique dominante, comme en témoigne le débat, en France, sur l’inscription éventuelle de l’avortement dans la Constitution. Cette maladie politique a saisi le Chili, qui, lancé dans un processus constituant en 2019, a saisi le peuple chilien de deux projets de constitution successifs en deux ans (septembre 2022 et décembre 2023). Deux fois la réponse a été non. Un résultat qui montre à la fois, paradoxalement, la versatilité des électeurs et l’absurdité de faire de la constitution une sorte de Bible.

 

Un premier non à la nouvelle constitution en 2022

Tout commence en 2019 avec les manifestations contre la vie chère et l’augmentation des services publics, qui prennent une ampleur gigantesque et nécessitent l’intervention de l’armée. Le Covid suit l’état d’urgence, et tous les partis s’accordent à juger mauvaise la constitution chilienne qui date de 1980 et de Pinochet. En 2020, un referendum adopte à une majorité écrasante le vœu d’une nouvelle constitution. L’assemblée nouvellement élue est chargée de la rédiger. A l’époque elle est dominée par la gauche, très anti-libérale en manière économique et hyperlibérale en matière de mœurs. Le projet, qui rend intouchables les droits à la santé, à l’éducation, à l’avortement, à l’environnement, au logement, à l’eau, les droits des « groupes marginalisés », des transgenres aux indigènes, ceux du climat, en somme tout le faisceau caractéristique de l’arc-en-ciel, est soumis au referendum en 2022. La réponse est non à plus de 60 %.

 

Le deuxième non du Chili en 2023

Entre temps en effet, l’insécurité particulièrement sensible dans le nord du Chili, a déplacé l’électorat vers la droite – le parti républicain saluant cet échec. Le président Gabriel Boric, qui s’était engagé pour le projet prend acte de son échec, et, fixe, avec la droite et la gauche, au sept mai l’élection d’une nouvelle assemblée constituante, qui rédigera un nouveau projet de constitution, lequel sera soumis à referendum le 17 décembre 2023. Cette fois, c’est la droite qui a le vent en poupe, et, tout en gardant quelques vestiges du premier projet (droit des peuples autochtones, droit à l’eau), la nouvelle mouture de nouvelle constitution prévoit de défendre les droits de l’enfant à naître, celui des parents à choisir l’école de leurs enfants, etc. Cette fois, c’est la gauche qui mène campagne contre le texte, le proclamant « plus réactionnaire que la constitution de Pinochet », et le résultat est encore une fois non, avec une majorité de 55 %.

 

Le président n’en fait pas une maladie

Le président Gabriel Boric qui, cette fois, était resté neutre, s’en lave les mains. Il considère qu’il n’y aura pas de nouvelle constitution sous son mandat. Aucune de celles qu’il a soumises au vote n’a « réussi à représenter ou à unir le Chili dans sa belle diversité ». Il faut donc se tourner vers « d’autres urgences ». Ce jeune homme ambitieux suit le peuple du Chili qui lui a soufflé sa conduite : la crise économique et l’insécurité comptent plus pour le Chilien moyen que le souci d’une nouvelle constitution. Et il a raison.

 

Le Chili préfère la stabilité à une nouvelle constitution

Une constitution définit en effet l’organisation des pouvoirs la plus stable possible à un moment donné dans un pays donné. Seuls les idéologues s’imaginent qu’elle est là pour dire le Bien, pour servir de tabernacle à leurs obsessions maladives. D’ailleurs, quand on considère la versatilité des majorités, on voit bien que la sanctuarisation d’une loi par sa constitutionnalisation est une illusion : ce que les uns font un jour, les autres le déferont demain. Le non du Chili est un gain de temps : les uns et les autres se sont mis d’accord pour ne rien faire. La France devrait en prendre de la graine, qui n’a pas cessé de modifier sa constitution depuis 1962.

 

Pauline Mille