Voilà plus de deux mois que les médias présentent par le menu, sans nous épargner le moindre détail sordide, l’horrible affaire Pelicot, où Dominique, mari septuagénaire supposé exemplaire, est jugé pour avoir permis à une cinquantaine d’hommes de venir violer son épouse Gisèle « sans son consentement » au cours de ces dix dernières années. A heures de grande écoute, les télévisions et les radios ont évoqué la manière et les circonstances de ces relations sexuelles imposées à une femme droguée à cette fin : en attendant ce qu’en dira le verdict la cour criminelle du Vaucluse à Avignon, plusieurs avocats généraux ont requis de quatre à vingt ans de prison à l’encontre des 51 accusés, la peine maximale ayant été demandée à l’encontre de Dominique Pelicot lui-même. Le procès aura été la triste illustration d’une société à la dérive.
L’affaire des « viols de Mazan » a mobilisé la presse, fait parler dans les chaumières, suscité des projets en matière de prévention et de répression de la « soumission chimique », provoqué la colère et la mobilisation des féministes qui ont leur nouvelle héroïne, Gisèle Pelicot, qui a refusé le huis-clos afin que « la honte change de camp ».
Mais le résultat de cet étalage médiatique aura été d’étaler la perversion. Et de l’étaler sous un regard dont l’innocence devient de plus en plus impossible à préserver : celui des enfants. Mettre fin à la culture du viol ne se fait pas le plus sûrement en imposant son spectacle aux yeux de tous.
Un débat de société centré sur le consentement
Plus gravement, toute l’argumentation, tout le débat a tourné autour du « consentement ». Les hommes jugés pour avoir abusé de Gisèle Pelicot « à son insu » ou « endormie » se sont d’abord vu reprocher non pas leurs actes eux-mêmes, mais le fait que la victime n’était pas consentante.
L’eût-elle été qu’il n’y aurait pas eu de procès, ni de victime, ni de tempête médiatique, ni de journalistes venus de pays étrangers… Rien de tout ça. C’eût été un jeu d’adultes libertins, une manifestation du droit de faire ce que l’on veut avec qui l’on veut, pourvu qu’il ou elle l’ait bien voulu, et pourquoi pas une preuve d’ouverture d’esprit.
Car le mariage fidèle, c’est ringard. Réserver les relations conjugales à la sphère… conjugale, c’est un signe d’étroitesse moralisatrice. C’est la morale étriquée d’une culture chrétienne et patriarcale. Celle qui interdit même les relations homosexuelles, alors pensez… Elle est de facto ridiculisée à longueur de films dont le happy end se devine au plumard (« et ils n’eurent pas d’enfants », conclut en substance le conteur moderne), de publicités suggestives ; elle est contredite par la prétendue « éducation sexuelle » qui apprend aux jeunes que tout est possible, pourvu de se faire plaisir et à condition que tout intervenant soit « consentant ».
On dira que la police des mœurs n’a pas sa place dans les alcôves des adultes majeurs et consentants. Par les temps qui courent, on imagine mal des lois réprimer l’adultère ou pénaliser les relations prémaritales, sans doute.
L’affaire Pelicot, révélateur d’une société qui refuse la morale
Mais en ne s’intéressant plus qu’au seul consentement (et c’est parce qu’ils ne peuvent pas validement consentir que les enfants sont pénalement protégés face aux actes sexuels, et non pas à cause de l’abominable atteinte à leur innocence), la justice et à travers lui le monde politique et médiatique justifient par ricochet tout le reste.
De telle sorte qu’on ne peut même plus, dans le cadre d’actes consentis, parler de dépravation ou de relations contre nature… La morale a été a évacuée, dans un grand nombre de cas son expression est devenue contraire au droit ou du moins à sa logique. Ce qui pouvait être toléré (et encadré comme la prostitution sous saint Louis) est devenu la norme ; voire le tabou auquel on ne touche pas. Chacun établit sa propre norme, chaque adulte devient l’alpha et l’oméga de ses propres désirs qui seuls posent une limite à ceux des autres.
Gisèle Pelicot s’est sentie atrocement trahie, et on la comprend. Mais cette trahison aura été le résultat d’une culture de rejet de la différence entre le bien et le mal, qui passe aussi par le fait de scandaliser les petits. Lorsque les accusés auront été mis sous les barreaux (si c’est ainsi que l’affaire se termine), ce désordre fondamental et cette injustice insondable n’auront pas reçu l’ombre d’un début de réparation.