Mois après mois, le sujet revient, et l’incertitude demeure : l’Intelligence Artificielle (IA) sera-t-elle à l’origine de la plus grande destruction d’emplois, grâce à ses capacités d’automatisation et de traitement des données ? Assistera-t-on à une révolution qui verra de nouveaux millions de gens au chômage ou l’IA générera-telle un redimensionnement du travail avec l’apparition de nouveaux postes ? Pourrait-elle encore être à l’origine de l’avènement d’un revenu élevé universel comme l’a noté dernièrement Elon Musk et d’autres avant lui, ou creusera-telle les inégalités comme jamais ?
Greg Isenberg, entrepreneur et expert en entreprises d’IA, « influenceur » maître des réseaux, a lâché ces derniers jours quelques réflexions intéressantes sur ce nouveau Graal dont les meilleurs connaisseurs ou les plus grands adeptes ont toujours, c’est à souligner, une vision à la fois fascinée et terrifiée.
« ChatGPT complète mes pensées… »
Sur X, le 18 décembre dernier, dans son post habituel de 13h, Greg Isenberg raconte qu’il vient de déjeuner avec un jeune diplômé de Stanford de 22 ans, intelligent, au CV parfait. « Mais quelque chose clochait. Il n’arrêtait pas de faire des pauses au milieu d’une phrase, à la recherche de mots. Pas de mots complexes, mais de mots rudimentaires. Comme si son cerveau était en train de faire une mise en mémoire tampon. »
Intrigué, Isenberg finit par lui demander le pourquoi de cette façon de s’exprimer. Et le jeune brillant de lui répondre : « Parfois, j’oublie des mots maintenant. Je suis tellement habitué à ce que ChatGPT complète mes pensées que quand il n’est pas là, mon cerveau semble… plus lent. »
Isenberg écrit :
« Il utilisait l’IA pour tout. Ecrire, penser, communiquer. C’était devenu son cerveau externe. Désormais, son cerveau interne s’affaiblissait. (…) Nous menons la première expérience à grande échelle sur la cognition humaine. Que se passe-t-il lorsqu’une génération entière externalise sa réflexion ? Ne vous méprenez pas, je suis plus qu’enthousiaste quant à ce que l’IA et les agents IA feront pour les gens, de la même manière que j’étais enthousiasmé en 2009 lors du lancement de l’App Store. Mais en y réfléchissant à voix haute, on peut penser que ce type que j’ai rencontré n’est pas le seul à dépendre entièrement de l’IA. »
Des dizaines de milliers d’emplois déjà détruits chez les GAFA
Greg Isenberg est à cent lieues d’être un sévère critique de l’IA ou un fondateur qui aurait pris ses distances avec la créature qu’il voyait lui échapper… Dans son dernier post, il disait même regretter qu’il n’y ait pas encore de CES (Consumer Electronics Show, le plus grand salon mondial de la technologie) spécialement consacré à l’IA, ce qui donnerait une gigantesque « expérience interactive époustouflante… » Seulement, il n’hésite pas à dire ce qu’il appréhende, au sens littéral du terme, de ses conséquences potentielles.
Ce 3 janvier, toujours sur X, il s’est honnêtement posé la question de savoir si l’IA allait détruire 90 % des emplois technologiques :
« Je me souviens avoir regardé Twitter fin 2022. Elon a viré 80 % de l’équipe au cours de ses premiers mois. Je pensais que c’était insensé. J’avais complètement tort. Non seulement Twitter a continué à fonctionner, mais la vitesse de ses produits a en fait augmenté. Ils ont livré plus de fonctionnalités avec 1.500 personnes qu’avec 7.500.
« Meta et Amazon y ont prêté attention. Tous deux ont procédé à des coupes sombres en 2023. Meta a licencié 21.000 personnes. Amazon en a licencié 27.000. Tout le monde pensait qu’ils avaient cassé leurs entreprises. Les critiques avaient encore tort. La valeur des leurs actions a doublé. Toutes deux ont connu des années record. Twitter a prouvé qu’il ne faut que 20 % des personnes pour gérer un réseau social. Meta a prouvé que vous pouvez multiplier votre action par deux en réduisant de moitié vos effectifs.
« Entrez en 2025. L’année des agents IA. Nous voyons l’IA automatiser 95 % des tâches professionnelles. Et ces LLM deviennent deux fois plus intelligents tous les 6 à 12 mois. Tous les PDG viennent d’apprendre qu’ils peuvent gérer leurs affaires de manière allégée et gagner. »
L’horizon n’est pas difficile à dessiner. C’est celui du « grand remplacement » de l’homme, celui de l’homme devenu superflu : voilà une « intelligence » dont la marque, véritablement infernale, est de précipiter la fin de l’homme, déjà si bien entamée avec la culture de mort – contraception, avortement, euthanasie, hiver démographique, déshumanisation…
Jusqu’où ira la destruction ou la restructuration du tissu professionnel ?
Tous les secteurs ne sont pas concernés de la sorte, assurent d’autres observateurs. Mais leurs prévisions n’engagent personne…
« Pour l’OCDE, ce n’est qu’un tiers des emplois qui seront profondément transformés par le développement de l’intelligence artificielle au cours des 20 prochaines années. Et selon l’économiste du Massachussetts Institute of Technology (MIT) Daron Acemoglu, qui a publié en mai 2024 une étude approfondie, seulement 4 ou 5 % des tâches pourraient être entièrement automatisées » ont assuré les auteurs du tout dernier rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST).
Cependant, les parlementaires notent que les professions les plus qualifiées pourraient être davantage touchées que lors des révolutions technologiques précédentes. Et puis, nombre de paramètres nous échappent, la vitesse du phénomène prenant de court ses propres concepteurs, on l’a vu avec les craintes de Geoffrey Hinton. Le FMI estime, lui, que jusqu’à 60 % des emplois pourraient être affectés par l’IA dans les pays économiquement avancés.
Et la peur gagne : 70 % des Marocains, par exemple, s’inquiètent pour leur emploi, selon un sondage Ipsos, paru début janvier. Car la course est de plus en plus rapide. Et il est fort à parier malheureusement que la Chine mène bientôt la danse : elle s’est emparée de la troisième place dans le classement mondial de la densité de robots industriels en 2023, selon un rapport publié en novembre par la Fédération internationale de robotique (IFR), après avoir doublé son chiffre en l’espace de seulement cinq ans.