L’autre inauguration : le Forum économique mondial 2025 s’est ouvert à Davos

 

Tous les yeux étaient braqués sur Donald Trump le lundi 20 janvier pour son inauguration, mais une sorte de contre-inauguration se déroulait le même jour à Davos en Suisse, où le Forum économique mondial ouvrait ses portes pour sa réunion annuelle. Le titre dit tout : « Collaboration à l’ère de l’intelligence » (Collaboration for the Intelligent Age). Les temps passés n’étaient pas intelligents. Les penseurs de jadis, ceux qui ont cherché la vérité, l’adéquation de l’intellect avec le réel, n’étaient sûrement que des nains sur le chemin de l’évolution vers les géants d’aujourd’hui, ceux qui seront « augmentés » par l’intelligence artificielle. Oui, c’est bien d’elle qu’il est question, le tout arrosé à la sauce écologiste et woke qui recherche la révolution des mœurs, de la morale et des modes de vie. Ce n’est pas un hasard si l’un des événements de cette succession de chat-shows – interminables parlotes sur des plateaux auxquels assistent le plus souvent une poignée de personnes – sera un « Forum ouvert » sur la « protection des vies LGBTQI+ ».

 

La Chine toujours à l’honneur au Forum économique mondial 2025

Ce n’est pas un hasard, non plus, si, à la suite des cérémonies d’ouverture très convenues, le premier leader mondial – après Ursula von der Leyen – à bénéficier d’un temps de parole spécial a été, mardi matin, Ding XueXiang, vice-Premier ministre de la Chine. Il a été présenté comme tel par Klaus Schwab (toujours très présent même si les rênes du Forum sont désormais entre les mains de l’ancien Premier ministre de Norvège, Børge Brende), mais non sans avoir d’abord été salué comme membre du comité permanant du bureau politique du Parti communiste chinois. Ça, c’est Davos. Schwab a parlé du « rôle critique » joué par la Chine dans la « construction de notre avenir commun » ; il a évoqué l’engagement « impressionnant » de la Chine en faveur du « développement durable » et de « l’économie verte ». On a le droit de rire.

Mais c’est ce que ne feront pas les quelque 3.000 participants forcément distingués de plus 130 pays qui ont convergé vers Davos au mépris de leur « bilan carbone », parmi lesquels 350 hauts dirigeants gouvernementaux et 60 chefs d’Etats et des grandes régions mondiales, présents ès-qualités. Il y a ceux qui imposent les souffrances, la paupérisation, la pénurie de logement et l’« éco-angoisse » à leurs populations en toute connaissance de cause. Et il y a ceux qui en bénéficient : les pays « en développement » qui réclament leur « livre de chair » aux pays généralement chrétiens et occidentaux tenus pour responsables des catastrophes climatiques réelles ou imaginaires ; les pays comme la Chine qui profitent de la distorsion de la concurrence créée par les dispositifs anti-CO2 auxquels ils se plieront demain – quand on rasera gratis.

 

Le Forum économique de Davos, l’idéologie anti-Trump

Davos, c’est en quelque sorte le mur du refus face à l’investiture en fanfare de Donald Trump, dont Pauline Mille détaille ici quelques-unes des premières mesures de détricotage de la « révolution arc-en-ciel ». Trump, justement, ne se déplacera pas en Suisse. Mais il interviendra par satellite lors d’une allocution spéciale jeudi. N’étant pas adepte des rondeurs diplomatiques, il pourrait bousculer quelques idées reçues chez les puissants de Davos.

Le pape François interviendra également, comme il l’avait fait déjà en 2014, une première pour un pape. En 2025, c’est le cardinal Turkson qui lira son message. Gageons qu’il parlera de « fraternité humaine » et de la « maison commune ». A Davos, on est sans cesse confronté à un vocabulaire prévisible et convenu, qui parle de « défis » et de « réponses globales », de « reconstruire la confiance », de « dialogue » et d’« inclusivité », de « nouveaux méchanismes », d’« empowering », de « problèmes systémiques » et de « parties prenantes » – les fameux stakeholders, les pouvoirs publics et les grands acteurs du privé. Il pourrait être utile de créer un pipotron dédié.

Sachez qu’au cours des jours qui viennent, tous ces grands esprits interviendront sur des sujets variés. J’en ai retenu quelques-uns, qui à défaut de fournir une vue d’ensemble sont symboliques de Davos. Ainsi une session spéciale s’intéressera à « la manière dont nous voyagerons » en se demandant comment éviter que quiconque « soit relégué au siège du milieu ». Le « débat » mettra à l’honneur le Centre for Urban Transformation, car après la « ville du quart d’heure » dont nous tâtons les joyeusetés à Paris, que tout le monde fuit, on arrive doucement à la BauKultur qui veut rénover les villes et l’architecture pour les rendre plus humains. Pour voir des exemples (genre bunker) de constructions contemporaines que cette nouvelle alliance admire, suivre ce lien.

 

Le Forum économique de Davos : toujours les mêmes marottes

Une autre séance propose de « réimaginer la vie urbaine pour les gens et pour la planète » : voici les « Yes Cities », les « villes oui » dont San Francisco est la ville pionnière – d’autres sont attendues qui « s’aligneront sur les plans locaux d’action pour le climat et pour la stratégie économique » en vue d’un « avenir durable et inclusif ».

A Davos, on parlera de l’évolution des médias, de la démographie mondiale qui déprime, de « l’aube de l’intelligence artificielle générale » qui « pourrait devenir assez versatile pour raisonner, apprendre et innover quelle que soit la tâche », et on se demandera si elle constituera « une force de progrès ou une menace pour la trame même de l’humanité ». Mais de toute façon, Davos croit en « l’augmentation » qu’apportera l’IA, à réguler certes mais capable de « créer de nouveaux emplois et de réduire les inégalités », comme le résume le compte-rendu de la session qui a eu lieu mardi matin.

 

Un concert New Age pour l’inauguration du Forum économique mondial 2025

Comme tous les ans, le Forum économique mondial s’est ouvert avec un concert : mélange de mélodies planantes, très New Age, qui caractérisent les vidéos du « World Economic Forum » et de dysharmonies inquiétantes, de sonorités tribales et de « musiques du monde », le tout illustré par des images de la nature et des « œuvres d’art générées par l’IA » chères à Davos… Le concert s’intitulait cette année Gardiens des glaciers, avec en vedette des chanteurs aux habits multicolores couverts de verroterie ou de rubans à friser arc-en-ciel.

On retiendra la prestation de Jeremy Dutcher, dont la cape tressée aux couleurs enfantines aurait pu être réalisée par des élèves de maternelle. De formation classique, ce ténor est un Canadien autochtone d’origine Wolastoqey, de la Première Nation Tobique dont il a mis la langue à l’honneur dans les chants qu’il a interprétés. Il se dit « bispirituel », « être aux deux esprits » relevant du « troisième genre » dans certains peuples premiers. On l’a vu tapant sur son tambour tribal portable, dont Dutcher a dit un jour, parlant de la musique « mi-“mystique”, mi-“mystérieuse” » : « Les anciens disent que ce mystère vit à l’intérieur du tambour, entre le bord de l’instrument et la peau. Et quand on frappe le tambour, c’est son esprit qui s’éveille et s’exprime. »

Un Davos sans appel des esprits, cela ne se conçoit même plus.

 

Jeanne Smits