A Davos, le Forum économique mondial lance l’alerte sur la démographie

Davos lance alerte démographie
Niall Ferguson (© World Economic Forum)

 

Le Forum économique mondial 2025 est donc lancé à Davos, et il a donné lieu cette année à une présentation sur la démographie globale. L’hiver démographie est là et les « sachants » du World Economic Forum semblent découvrir l’eau chaude – ou plutôt les perspectives glaçantes d’un avenir où l’humanité vieillissante marche vers sa spectaculaire contraction. Des démographes français comme Alfred Sauvy, Pierre Chaunu, Gérard-François Dumont avaient beau lancer l’alerte depuis des décennies, on a l’impression d’assister à un réveil dans les milieux du pouvoir. Pour en parler, le Forum a invité Niall Ferguson, à qui a été confiée mardi martin l’animation du premier atelier de la session 2025 sous le titre : « Démographie : que va-t-il arriver ? »

On ne s’attend pas a priori à l’approche qui a été la sienne dans un tel cadre. Mais en faisant son constat, Ferguson n’a pas suggéré des solutions, il a mis en évidence des problèmes réels. Et la réponse à ces problèmes – ou leur utilisation, voire leur instrumentalisation – est au fond ce qui importe.

Un mot au sujet de Sir Niall Campbell Ferguson, historien de renom, réputé homme de droite, auteur de livres à thèse controversés et pourtant bien vu de l’establishment : il a même été fait chevalier l’an dernier par le roi Charles III d’Angleterre. Il fait partie de ceux qui considèrent le protestantisme comme la cause du progrès humain, face à l’islam… mais aussi au catholicisme. Cela fait peut-être partie des raisons qui en font une persona grata à Davos, chroniqueur à l’occasion pour le Forum économique mondial, et ce d’autant qu’il ne récuse pas le discours officiel sur des thèmes tels le réchauffement climatique et les restrictions anti-covid.

 

Un historien de « droite » au Forum de Davos

Divorcé en 2011, il s’est remarié la même année avec Ayaan Hirsi Ali, cette Néerlando-Américaine d’origine somalienne très critique de l’islam (elle collabora au film Soumission de Theo van Gogh qui fut assassiné par un musulman par la suite). Ayaan Hirsi Ali, ancien député néerlandais vivant désormais aux Etats-Unis, a annoncé en 2023, après une période d’athéisme, sa conversion au christianisme.

La présentation de Ferguson à Davos, face à une assistance étique, mérite qu’on s’y arrête.

Il a démarré sa mini-conférence avec ce constat de la récente augmentation spectaculaire de la population mondiale principalement au XXe siècle : « L’histoire de la population humaine est remarquable, car pendant la plus grande partie de l’histoire, nous n’étions pas très nombreux. Il a fallu 123 ans pour que la population mondiale double, passant de 1 à 2 milliards, puis 33 ans pour passer de 2 à 3 milliards, 15 ans pour passer de 3 à 4 milliards, et nous avons ajouté un milliard tous les 12 ans environ. »

Et de présenter un graphique publié l’an dernier dans le New York Times faisant valoir qui si le taux de fécondité du monde était le même que celui des Etats-Unis aujourd’hui, la population mondiale, après un pic d’environ 10 milliards, chuterait presque aussi vite qu’elle a monté, à moins de 2 milliards environ 300 ans plus tard.

 

L’alerte démographie fait presque pâlir le réchauffement climatique

Ferguson ajoutait qu’Elon Musk pourrait bien avoir raison en affirmant que l’effondrement de la population dû au faible taux de natalité est un risque bien plus important pour la civilisation que le réchauffement climatique. « A-t-il raison ? », se demande Ferguson : « Les démographes sont de plus en plus nombreux à admettre que la population humaine atteindra probablement son maximum plus tôt qu’on ne le pensait… Selon la projection de base des Nations unies, la population mondiale atteindra 10,3 milliards d’habitants dans les années 2080. Mais il existe d’autres scénarios selon lesquels la population atteindra son maximum plus tôt, peut-être dans les années 2060. L’Institute for Health Metrics and Evaluation projette que la population pourrait diminuer à partir de 2064 pour atteindre quelque chose comme 8 milliards d’ici à 2100. » Et il existe des projections prévoyant un déclin encore plus rapide.

Ferguson identifie la chute de la fécondité comme le principal responsable de la situation, les taux de remplacement étant de moins en moins atteints dans un nombre croissant de pays – pas seulement les pays développés. Elle va de pair avec le vieillissement alimenté par l’allongement de la durée de vie : « Ces deux éléments interagissent pour rendre la population humaine beaucoup plus âgée qu’elle ne l’a jamais été historiquement. » Avec toutes les conséquences parfaitement prévisibles que cela entraîne pour les finances publiques et les systèmes de soin.

« Les systèmes de pension, qui ont été conçus pour la plupart à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, lorsque l’espérance de vie était beaucoup plus courte, n’ont pas été mis à jour pour tenir compte du fait que nous vivons tous beaucoup plus longtemps et que nous avons beaucoup moins d’enfants. En matière de finances publiques, l’évolution de la structure de la population entraîne une augmentation des dépenses liées au vieillissement et au service de la dette, car les pays ayant ce type de structure d’âge finissent par accuser des déficits permanents », souligne le conférencier.

 

L’alerte démographie à Davos s’attarde sur le vieillissement sans précédent

Niall Ferguson souligne que cela a des conséquences pour les autres types de dépenses, et présente de tels problèmes pour les régimes de pension notamment que de nombreux pays tentent aujourd’hui d’inverser la tendance – presque invariablement sans y parvenir. Il énumère plusieurs faits constatés : à mesure que les familles s’enrichissent, elles ont moins d’enfants en moyenne, la contraception a permis aux femmes de contrôler leur fertilité, et elles l’ont fait d’autant plus qu’elles sont entrées toujours plus nombreuses sur le marché du travail au XXe siècle, mettant un « coût » sur la parentalité qui interrompt et complique les carrières. « La participation des femmes au marché du travail et les niveaux d’éducation ont donc été les principaux facteurs prédictifs de l’indice synthétique de fécondité d’un pays », observe Ferguson.

Parmi les causes de la dénatalité, qu’on constate partout, « indépendamment de la culture ou de l’histoire », il met aussi en avant le fait religieux : « Le déclin de la foi religieuse semble faire partie de cette histoire. Au XVIIIe siècle, il était frappant de constater que la croissance de la population française commençait à ralentir par rapport à celle de la population anglaise, et les historiens ont souvent avancé que les Français avaient commencé à limiter la taille des familles au XVIIIe siècle parce qu’ils connaissaient les premiers balbutiements de la sécularisation. »

Aucun effort gouvernemental ne semble pouvoir freiner ce déclin.

 

Le Forum économique mondial, ce grand promoteur des robots

Parmi les réponses possibles, Ferguson cite l’automatisation et les robots dans lesquels investissent actuellement le plus les pays comme la Corée du Sud ou le Japon dont la population se contracte déjà. Les pays occidentaux « ont tenté de résoudre le problème par l’immigration », dont il affirme les répercussions civilisationnelles et culturelles accentuées par la distance toujours plus grande entre les populations islamiques, et dans une moindre mesure, catholiques et orthodoxes, et les « protestants blancs ». Le seul bassin d’émigration vigoureux à moyen terme étant l’Afrique subsaharienne : « Cela se traduira par des changements sociaux et culturels continus et très rapides dans les pays qui suivront la voie de l’immigration. Vous pouvez constater le déclin dramatique qui s’est déjà produit dans la part des Britanniques et des Irlandais blancs de la population londonienne au cours de notre propre vie », dit Ferguson.

Et d’ajouter : « En 2021, moins de 40 % de la population de Londres est blanche (Britanniques et Irlandais). Pew prévoit que d’ici à 2050, près de 12 % de la population britannique sera musulmane. Il s’agit là de changements extraordinaires qui se produisent dans un laps de temps étonnamment court… » Et ayant souligné ce qui apparaît comme des incompatibilités, il affirme : « Certaines parties de l’anglosphère et de l’Europe du Nord et du Nord-Ouest deviennent-elles trop progressistes pour assimiler facilement les immigrants d’autres parties du monde ? L’effondrement de la population constitue-t-il ou non notre avenir ? »

Autrement dit : il va falloir régler la question du vieillissement et de la contraction de la population, avec les frais et les manques de main d’œuvre afférents, en tenant compte des difficultés qu’il y aurait à gérer l’arrivée de personnes culturellement de plus en plus éloignées.

 

Davos : profiter des peurs

On ne sait quelle solution propose Ferguson car il n’en parle pas. En revanche, dans un environnement comme celui du Forum économique mondial, on devine l’intérêt de son discours pour recommander davantage d’accès à la contraception (comme c’est effectivement le cas dans certains ateliers qui se tiennent cette semaine à Davos), davantage de robots (le vrai grand remplacement de l’homme), une autre gestion de la vieillesse et de la fin de vie.

Mais on lui saura gré d’avoir souligné ouvertement que les gouvernements ont « sans aucun doute réagi de manière excessive aux projections de la bombe démographique » : « Cela remonte aux débats des années 1960 et 1970, qui ont donné lieu à des réponses politiques désastreuses. La politique de l’enfant unique en Chine est la plus connue, mais les politiques de stérilisation forcée en Inde ont eu des conséquences terriblement néfastes », a-t-il déclaré.

Il a également dénoncé « notre tendance à avoir un horizon temporel qui s’arrête en 2100 dans nos projections nous a fait complètement oublier le déclin spectaculaire qui se produira ensuite si les taux de fécondité totaux tombent partout en dessous de deux ».

C’est une forme de « myopie » pour Ferguson – mais en est-il totalement exempt, lui qui ne souligne pas explicitement comment ce sont aussi les pouvoirs politiques dans les pays développés qui ont favorisé le refus de la vie à travers la promotion dans le monde entier, mais aussi chez eux, de la contraception et de l’avortement, et dans la création de conditions économiques et sociales qui sont défavorables aux familles nombreuses, sans compter les messages martelés dans les programmes scolaires supervisés par l’Etat, et encore dans les médias et l’industrie du divertissement ?

 

Et toujours le réchauffement climatique…

Sa conclusion est de la même eau : « Nous n’avons pas eu le temps d’aborder la question du changement climatique. Lorsque j’ai pensé pour la première fois au déclin de la population, je me suis dit : “Bien, si la population redescend à 2 milliards d’habitants cela résoudra probablement le problème du changement climatique.” Malheureusement, il est trop tard. Tous les problèmes liés au changement climatique, si les projections du GIEC sont exactes, arriveront à peu près au moment où la population approche de son maximum. Cela signifie que la migration des pays d’Afrique qui seront affectés par le changement climatique se fera à une échelle encore plus grande que si c’était seulement l’économie qui faisait le travail. Le temps nous est compté. »

Ainsi le discours qui dénonce l’empreinte des hommes qui détruisent la planète par le réchauffement climatique dont ils sont supposés responsables, en favorisant la dénatalité, sert en même d’épouvantail qui vient démultiplier les problèmes liés à la dénatalité.

Un serpent qui se mord la queue ? L’image est plus exacte encore qu’on ne pourrait le penser, car il met en évidence ce qui est propre au vieux Serpent de la Genèse : la mort, le mensonge, le déclin, et la désespérance face aux horizons présentés comme inéluctablement fermés.

Le Forum économique mondial est aussi une gigantesque usine à entretenir les peurs, et dans ce domaine il peut faire feu de tout bois.

 

Jeanne Smits