
La vidéo a fait le tour d’internet en Italie : à la fin de sa messe du dimanche de Pâques, l’archevêque de Chieti-Vasto, Mgr Bruno Forte, a publiquement réprimandé les quelques paroissiens ayant refusé de communier dans la main. Tout mitré d’or, il a pris à témoin l’ensemble de l’assistance pour humilier trois fidèles en déclarant :
« Permettez-moi de faire la clarté sur un point. Il y a eu trois personnes qui n’ont pas voulu recevoir la communion dans la main. »
Un problème puisque recevoir la communion sur la langue, selon l’usage traditionnel, est autorisé dans toute l’Eglise sauf à Chieti. Voici sa clarification personnelle :
« Alors, avant toute chose, dans le Nouveau Testament, Jésus dit : labete [λάβετε]. Le verbe lambano [λαμβάνω] en grec signifie “prendre dans la main”. Pendant des siècles, l’Eglise a toujours pris la communion dans la main. Ce n’est qu’au cours de quelques siècles obscurs, par crainte du manque d’hygiène, que ce geste a été remplacé par celui de la prendre dans la bouche, mais grâce à Dieu, aujourd’hui, nous sommes tous adultes, nous nous lavons les mains, et la communion se prend donc dans la main, par le geste humble de tendre la main et de la recevoir. Ceux qui ne le font pas commettent un acte d’orgueil, ils se croient plus sages et plus experts que le pape et les évêques qui ont décidé que la communion se prend dans la main. S’il vous plaît, soyez humbles et obéissants à l’Eglise, au moins au moment où vous communiez ; recevez Jésus en faisant sa volonté qui est celle exprimée dans l’Eglise, par le pape et les évêques. »
On notera d’emblée cette idée du chrétien « adulte » qui aurait enfin tout compris : c’est une manière de confirmer que la communion dans la main est à la racine un geste émancipé – propre à ceux qui ont enfin appris à se laver et les mains avant de passer à table ?
La communion sur la langue est insupportable à Mgr Forte
L’affaire ne se comprend pas sans la crise du covid qui avait amené de nombreux évêques (mais pas tous !) à imposer la communion dans la main dans leurs diocèses. Sans doute s’agissait-il d’un nouvel épisode « obscur » pour qu’on ait changé ainsi les disciplines locales. Il semble que l’archidiocèse de Chieti-Vasto n’ait pas changé son décret en ce sens après la sortie de la crise du covid, dont La Nuova Bussola Quotidiana rappelle qu’elle a été officiellement constatée par la Conférence des évêques d’Italie à deux reprises, le 1er avril 2022 et le 8 mai 2023. Ce serait donc l’un des diocèses du monde où la communion sur la langue reste « interdite » (si jamais elle l’a été en droit, ce qui se discute sérieusement).
En tout cas, l’admonestation publique de Bruno Forte s’éloigne totalement des préoccupations sanitaires qui sont absentes du communiqué de l’archidiocèse daté du 12 avril 2024 rétablissant l’utilisation des bénitiers à l’entrée des églises, mais imposant la réception de la communion dans la main.
Ainsi les prétendues exigences sanitaires ont-elles été employées pour interdire une pratique multi-séculaire mise en place par l’Eglise pour éviter les abus et sauvegarder la révérence à l’égard du Saint-Sacrement, sachant qu’aux temps anciens où la communion pouvait ne pas être donnée directement dans la bouche, sa réception était entourée d’exigences de respect qui ont disparu.
La communion sur la langue : un droit, et la loi de l’Eglise
Après le Concile Vatican 2, la distribution de la communion dans la main s’est d’abord répandue de manière illégale, au mépris des dispositions canoniques en vigueur ; elle n’a ensuite été autorisée que par exception, et encore à un rythme très divers selon les pays, sous la forme d’une « désobéissance légitimée » comme l’a appelé Mgr Nicola Bux. L’abus s’est ensuite répandu jusqu’à finir par ressembler à la « norme », mais aucune norme de l’Eglise catholique n’interdit la communion sur la langue, quoi qu’en dise Mgr Forte. Si bien que certains diocèses n’autorisent plus la communion dans la main.
Au contraire, les textes pontificaux affirment le droit du fidèle de recevoir la communion sur la langue. En 2004, Redemptionis Sacramentum rappelait les dispositions en vigueur (et qui le sont toujours) :
« Tout fidèle a toujours le droit de recevoir, selon son choix, la sainte communion dans la bouche. Si un communiant désire recevoir le Sacrement dans la main, dans les régions où la Conférence des Evêques le permet, avec la confirmation du Siège Apostolique, on peut lui donner la sainte hostie. Cependant, il faut veiller attentivement dans ce cas à ce que l’hostie soit consommée aussitôt par le communiant devant le ministre, pour que personne ne s’éloigne avec les espèces eucharistiques dans la main. S’il y a un risque de profanation, la sainte Communion ne doit pas être donnée dans la main des fidèles. »
Prétendre le contraire est un mensonge.
Mais il y en a un autre, plus subtil, dans le mot accusateur prononcé par l’archevêque au cours de la Messe : c’est son explication du mot λάβετε. Le verbe grec correspondant signifie bien « prendre », mais il a aussi le sens de « recevoir » ou « accueillir », rappelle La Nuova Bussola, et c’est ainsi qu’il a été traduit en latin (par exemple : « accipite » dans le récit de l’institution de l’Eucharistie comme dans le texte de la messe traditionnelle latine).
Y a-t-il eu des préoccupations d’hygiène conduisant à infantiliser les fidèles, comme le suggère encore Mgr Forte, pour imposer la communion dans la bouche dans des siècles obscurs ? Justement, l’instruction Memoriale Domini de 1969 évoque la raison pour laquelle l’Eglise universelle a adopté la discipline de la communion sur la langue, distribuée exclusivement par les ministres ordonnés : « Par la suite, lorsque la vérité et l’efficacité du mystère eucharistique, ainsi que la présence du Christ en lui, ont été plus approfondies, on a mieux ressenti le respect dû à ce Très Saint Sacrement et l’humilité avec laquelle il doit être reçu, et la coutume s’est établie que ce soit le ministre lui-même qui dépose sur la langue du communiant une parcelle de Pain consacré. »
Mgr Bruno Forte et la foi prétendument « adulte »
Ce sont bien des considérations théologiques nées de la contemplation du mystère qui sont en cause. Rejeter la pratique ne revient-il dès lors pas à un appauvrissement de cette connaissance ? Une forme de retombée en enfance comme en vivent ces vieillards qui commencent à perdre la tête ?
Bruno Forte n’est pourtant pas si vieux… Mais c’est un homme qui travaille au service d’une pensée, la sienne. Quitte à contredire la loi de l’Eglise. Puisque nous en sommes aux adages enfantins, on pourra même répondre au sujet de l’« acte d’orgueil » qu’il impute aux malheureux communiants qu’il a tancés, et en public : « C’est celui qui dit qui est. »
Notez qu’il n’est pas original, ce faisant. En décembre 2023, Mgr Galis, évêque de Žilina en Slovaquie publiait une lettre pastorale où il dénonçait pareillement la communion dans la bouche comme un choix orgueilleux : « Disons-le franchement : il s’agit souvent d’une manifestation d’orgueil, d’un sentiment… de supériorité spirituelle par rapport aux autres. »
Mgr Bruno Forte s’est déjà fait remarquer en plusieurs occasions. Lors du synode pour la famille en 2014, c’est lui qui « était responsable des sections sur l’homosexualité dans le document intérimaire controversé du premier Synode sur la famille en 2014 qui a tenté d’ouvrir la porte à l’acceptation des relations homosexuelles dans l’Eglise. Il a été au nombre des personnalités de premier plan qui ont plaidé pour plus d’inclusion et de respect de l’homosexualité et des droits des homosexuels au sein de l’Eglise », comme l’écrivait Edward Pentin le jour où le prélat a été nommé membre du Dicastère pour la Doctrine de la foi en juin dernier.
Bruno Forte a favorisé la communion pour les divorcés remariés
En 2016, écrivions-nous sur RITV, on en apprenait davantage sur l’implication de Forte dans l’affaire de la communion pour les divorcés-« remariés ». On lui attribuait alors ces propos : « Le Pape m’a dit d’éviter de parler “clairement” de la communion aux divorcés remariés. » Le pape lui aurait dit : « Si nous parlons explicitement de la communion donnée aux divorcés remariés, on ne sait pas quelle pagaille on va déclencher. Alors, évitons d’en parler clairement, contentez-vous d’en rédiger les prémisses, et j’en tirerai les conclusions. » « C’est typique du jésuite », aurait plaisanté Mgr Forte. Ce qui est sûr, c’est que François avait imposé Bruno Forte comme secrétaire général des deux synodes sur la famille, même après le rapport d’étape dont il avait chapeauté la rédaction, dénoncé par de nombreux prélats comme une « manipulation » qui ne rendait pas compte de ce qui avait réellement été dit au cours des réunions.
Se faire gourmander en public par un tel personnage pourrait bien être un honneur.