Une fin tristement prosaïque pour la Gaité lyrique

 

Le théâtre de la Gaîté lyrique, appartenant à la ville de Paris est une des plus anciennes salles de la capitale, actuellement située rue Papin dans le troisième arrondissement. Faute de public, d’argent et d’entretien, il a fermé en 1963 avant de rouvrir épisodiquement, accueillant dans les années 70 le Carré Sylvia Monfort. Malgré l’aide de la mairie de Paris sous Jacques Chirac, les travaux nécessaires n’ont jamais eu lieu. Une portion de la grande salle sera bétonnée pour empêcher le dôme de s’effondrer. Malgré son classement aux monuments historiques, il est transformé en parc d’attraction, Planète magique, alors que la salle à l’italienne est détruite. En 2001, le maire socialiste Bertrand Delanoë y lance des travaux qui déboucheront en 2011 sur l’inauguration d’un centre culturel consacré « aux arts numériques et aux musiques actuelles ». Avec un budget de fonctionnement constitué à moitié par la subvention municipale, le projet échoue rapidement. En 2022, un appel à candidatures lancé par la municipalité d’Anne Hidalgo débouche sur le projet La Fabrique d’une époque, présenté par un consortium de personnes morales gauchistes, l’association culturelle Arty Farty (qui organise le festival de musique électronique Nuits sonores à Lyon), le collectif Makesense (qui veut « promouvoir l’entreprenariat social »), l’ONG Singa (dont l’objet est « d’intégrer les personnes réfugiées et migrantes », Singa voulant dire « lien » en bantou), Arte France et les éditions Actes Sud.

Voici comment la Gaîté lyrique annonçait son week-end d’inauguration, du 12 au 14 mai 2023 : « Ensemble, et pour les 5 années à venir, nous imaginons un lieu de vie, de création et d’engagement qui incarne les grands enjeux de notre temps et impulse le passage de l’idée à l’action, du récit à l’impact : une Fabrique de l’époque. Pour ce week-end d’inauguration, nous ouvrons cette Fabrique, encore en chantier, comme un premier rendez-vous avec les valeurs qui traversent ce nouveau projet. Nous évoquerons la condition des femmes à travers le monde avec le collectif Dysturb. Nous parlerons climat, réfugiés, bunkers, fake news, révolution et pop culture. (…) Bref, nous vivrons heureux jusqu’à la fin du monde, pour reprendre les mots de Delphine Saltel et de sa série de podcasts à laquelle nous tendrons l’oreille. »

Depuis, la patronne de l’entreprise, Juliette Donnadieu, ancienne employée d’un « tiers-lieu parisien », a parlé à tous le « langage de la culture et du vivre ensemble », sans rien produire qui soit resté dans les annales. En décembre 2024, 400 clandestins déboutés du droit d’asile occupaient la Gaîté, que la direction, étant donné son idéologie refusait d’expulser. Trois mois plus tard, la « SAS Gaité lyrique » qui gérait la chose au nom du consortium cité plus haut s’avouait officiellement incapable de gérer, entretenir et exploiter le bâtiment, informant la Ville de Paris qu’elle voulait suspendre le mandat de concession. Le 18 mars 2025, le préfet de police de Paris expulsait les 400 migrants et Juliette Donnadieu rentrait en possession des locaux qu’elle constatait « abîmés par une suroccupation », tout en annonçant une nouvelle programmation dans « les semaines à venir ».

Mais tout a une fin. Même le conseil municipal de Paris, même Hidalgo, en ont eu assez de payer pour rien. Il refuse de casquer pour les trois millions de perte d’exploitation liés aux mois de fermeture pour cause d’occupation. C’est pour La Fabrique de l’époque une « douche froide », comme elle l’écrit dans un communiqué publié le 14 mai, qui déplore un « revirement » qui « met en cause 80 emplois » et appelle à une « mobilisation » pour faire face à un « enjeu démocratique majeur ». Derrière tous ces mots, cette éternelle plainte moralisatrice se cache une réalité : celle de professionnels du spectacle qui sont plus des professionnels de l’idéologie, mélangeant de vieilles nostalgies d’un savoir-faire qu’ils n’ont plus, rêvant sur un discours frelaté, à la recherche d’un « art » impossible, sans public, donc sans autres moyens que l’argent public et celui des mécènes. Soixante ans d’illusions auront mené immanquablement à la fin sordide de ce qui fut un grand théâtre.