A Bougival, les représentants de l’Etat dirigés par Manuel Valls, ministre des Outre-mer, des Kanaks et des loyalistes, ont signé le 12 juillet un accord qui, selon Actu-Juridique.fr, « marque une étape décisive dans le processus de décolonisation et d’émancipation de la Nouvelle-Calédonie ». La presse dans son ensemble y voit un « accord sans précédent » et un « pari sur la confiance ». Si nous le disons « furtif », c’est que, comme les avions furtifs, il est passé en dessous des radars : il a été peu annoncé et, par exemple, ne figurait pas dans notre revue Google quotidienne. Le projecteur médiatique était dirigé vers le week-end de la fête nationale et le défilé militaire. L’attention des Français ayant été ainsi détournée, cet accord crée, dans la torpeur de l’été, un « Etat de Nouvelle-Calédonie » : c’est plus qu’une révolution de nos institutions, c’est la fin de l’unité nationale. Car, une fois admis l’Etat de Nouvelle-Calédonie, qui empêchera l’Etat de Corse (déjà esquissé), l’Etat d’Alsace, de Bretagne, du Pays basque, ou l’Etat autonome du Neuf cube ?
La Nouvelle-Calédonie sous pression nationale et internationale
Le début de cet été a déjà vu deux menaces mortelles se manifester contre la France. La première est la prolifération de ce qu’on nomme improprement des « incivilités », à l’occasion d’événement sportifs, de la fête nationale ou dans des lieux de détente : cela prend officiellement forme de guérilla communautaire et résulte de décennies de cécité volontaire devant l’invasion, et d’organisation tout aussi volontaire d’un vivre ensemble qui ne fonctionne pas. La deuxième menace est proprement géopolitique, diplomatique et militaire : c’est la décision prise par Macron et le Premier ministre britannique Starmer de mettre fin à la souveraineté nucléaire française. La troisième menace est le bouleversement institutionnel qui crée un Etat de Nouvelle-Calédonie. C’est l’aboutissement d’un processus sous une double pression. Pression extérieure d’abord : la Nouvelle-Calédonie figure, avec la Polynésie française, sur la liste des 17 territoires « non autonomes » que l’ONU entend faire émanciper. Cette « émancipation » est attendue avec gourmandise par deux puissances locales au moins, la Chine et l’Australie. Pression interne ensuite : depuis Mitterrand et son délégué spécial Edgar Pisani, Paris a décidé de se débarrasser de la patate chaude néo-calédonienne et multiplie les processus pour y parvenir.
Violence kanake et calculs parisiens contre l’unité de la Nouvelle-Calédonie
On se souvient notamment des accords de Matignon forcés par le Premier ministre socialiste Michel Rocard le 26 juin 1988, puis des trois referendum proposés à la Nouvelle-Calédonie, qui, malgré ce qu’attendaient les élites parisiennes, ont choisi le maintien dans la France. Et cela, malgré une loi électorale qui exclut du vote fonctionnaires, militaires, et Français trop récemment implantés sur le Caillou. La gauche, l’extrême gauche et le centre, qui, en métropole, tempêtent contre la notion de Français de souche et prétendent ouvrir le droit de vote à l’immigré fraîchement débarqué, pratiquent là-bas une « préférence racisée » sans complexe, et préconisent le droit du premier occupant : c’est tout le problème politique de la Nouvelle Calédonie, car, si l’on prenait en compte la population totale de l’île, elle voterait massivement pour le maintien dans la France. Quoi qu’il en soit, les marches et contremarches de Paris ont provoqué les violences des Kanaks l’an dernier, l’arrêt de l’économie de la Nouvelle-Calédonie (coût : 15 % du PIB de l’île) et la fuite de nombreux blancs. Et, par contre-coup, l’accord furtif qui vient d’être signé, voulu par Macron et préparé par le ministre d’Etat Valls, qui entra au cabinet de Rocard au moment des accords de Matignon.
Ce que prévoit l’accord furtif
Le FLNKS (rappelons que cela signifie Front de Libération national Kanak et Socialiste) a publié le 14 juillet un communiqué. Il voit dans le texte signé à Bougival « un projet d’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie », et un « accord de principe pour avancer sur la trajectoire vers la souveraineté ». Il énumère les éléments constitutifs de cette souveraineté en construction. 1 : « La création d’un Etat de Nouvelle-Calédonie reconnu au plan international bien que maintenu dans la constitution de la puissance administrante. » Mutatis mutandis, c »est un peu le Vietnam de 1948 dans le cadre de l’Union française. 2 : « Le transfert immédiat de la compétence régalienne des relations extérieures. » Le mot important est « immédiat » : tout de suite, la France perd la haute main sur la première souveraineté, celle des Affaires étrangères. L’Australie et la Chine doivent s’en frotter les mains. 3 : « La création de la nationalité calédonienne préservant le socle du corps électoral citoyen du nouvel Etat. » Ce jargon n’est pas ambigu, il signifie que les Kanaks ont obtenu satisfaction en tant que « premiers occupants ». 4 : « La création d’une loi fondamentale, future Constitution du pays, permettant l’auto-organisation de la Nouvelle-Calédonie. » C’est en quelque sorte la clef de voûte institutionnelle d’un Etat indépendant. Même si bien sûr, à regarder de près, tout cela reste nimbé de flou et de « consultations ».
Union française contre Unité de la Nation
Le terme union française, qui avait été imaginé après la seconde guerre mondiale pour désigner la communauté des Etats décolonisés associés à la France s’applique parfaitement. Il s’oppose au mot, et à la chose, unité, unité de la France, unité de la Nation, unité de la République, prévue par la Constitution de 58 (« La France est une République une et indivisible »). On se souvient que le parti qui s’opposa le plus fermement à la sécession algérienne en 1962 avait pour nom Unité de la République, et que le général De Gaulle dût multiplier les referendums pour résoudre la question de l’unité de la République : ici, Macron et Valls la résolvent un douze juillet sans bruit, par un accord furtif signé en pleine canicule.
Des accords ambigus, une nation en danger
De façon surprenante, des représentants « loyalistes » se sont félicités d’une « solution pérenne ». Si les Kanaks se prennent un peu pour l’Afrique de 1960 et visent l’indépendance, les Caldoches voient les moyens qui leurs sont offerts d’y échapper : à l’assemblée de Nouvelle-Calédonie, la province du Sud, peuplée de loyalistes, va gagner cinq sièges, et pouvoir bloquer ainsi les transferts de souveraineté. Ils espèrent de ce fait que « cet accord s’oriente plus vers la construction d’un pays que vers l’indépendance ». On verra bien ce qui sortira de toutes ces finasseries, peut-être simplement un nouveau pourrissement, mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est ce nouveau coup, aussi fort que furtif, contre l’unité de la nation française, et contre l’idée même de Nation. Dans un monde soumis aux empires (Chine, Russie, USA, UE), la France illustrait et incarnait depuis plus de mille ans un modèle de nation souveraine : voilà qui va devenir un souvenir.