« Nous tissons les liens humains de demain » : le slogan de Meta a quelque chose de grandiloquent et de prétentieux, car pour la plupart, les liens entre les hommes se tissent tout seuls, par le biais de la famille, des rencontres, du travail. Mais le propriétaire de Facebook, Instagram et autres YouTube se voit comme le démiurge qui connecte les hommes dans le monde virtuel. Il est vrai que la famille est éclatée et dénaturée, que les rencontres peuvent être interdites d’un trait de plume de « gestion du covid » (ou toute autre urgence sanitaire à définir) et que le travail est en train de disparaître entre les griffes de l’intelligence artificielle et des robots. La grande marche vers les emplois automatisés a commencé.
« Nous tissons les liens humains de demain » ? Tant qu’il y aura des hommes, a-t-on envie de rétorquer.
Le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, vient précisément de faire savoir à la division de gestion des risques de sa société que les emplois humains y seront éliminés, les avancées de la tech permettant la multiplication des emplois automatisés. L’information vient d’un mémorandum interne auquel Business Insider affirme avoir eu accès.
Le média apporte des précisions. Selon lui, Michael Protti, responsable de la conformité chez Meta a fait savoir mercredi à ses employés spécialisés dans la gestion des risques que la société s’oriente vers un processus automatisé dans ce domaine : « En conséquence, nous n’avons plus besoin d’autant de postes dans certains domaines que jadis. » Il a déclaré que Meta a fait « des progrès significatifs » dans la mise en place de « contrôles technologiques globaux ».
Meta met en place des robots pour gérer les risques
Les « risques », dans une société comme Meta, sont ceux qui représentent une menace sur le chiffre d’affaires d’une société ou sur ses opérations, tels les problèmes de cybersécurité ou d’atteinte à sa réputation.
Protti poursuivait sur le ton du communiqué qui noie le poisson (tel l’inévitable « La sécurité de nos clients est notre première préoccupation » lorsqu’un accident se produit) : « Cette standardisation signifie que de nombreuses décisions courantes peuvent désormais être traitées efficacement par la technologie, ce qui permet à nos équipes de se concentrer sur les défis les plus complexes et les plus importants. »
On a envie de répondre : peut-être, tant que les défis les plus complexes et les plus importants ne seront pas gérés par une intelligence artificielle de plus en plus performante. Et il y a tout lieu de croire qu’elle le sera, même si aujourd’hui, elle se montre encore volontiers décevante. En tout cas, Zuckerberg a l’air d’y croire.
Même air et même chanson chez Amazon. Cela fait déjà des années que le géant de la vente en ligne a automatisé ses entrepôts à l’aide de robots qui sont déjà au nombre de plus d’un million, contre 1,56 million d’êtres humains employés par la société. Aujourd’hui, les robots y sont en passe de devenir plus nombreux que les employés humains.
Jeff Bezos assure que cela permettra d’améliorer la productivité et l’efficacité tout en permettant la création d’emplois mieux payés. Côté manutentionnaires, on se félicite de voir les robots exécuter des tâches répétitives et éreintantes – sans imaginer la suite logique : la plupart des travailleurs se trouveront vite à la rue, remplacés là encore par les robots qui étaient supposés les aider.
Amazon va remplacer 600.000 emplois humains par des robots
Cela est loin d’être invraisemblable. Selon le New York Times, des interviews et des documents fuités révèlent déjà que Amazon a l’intention de remplacer plus de 600.000 emplois humains par des robots. Le but étant d’automatiser 75 % de la totalité des opérations, pour une économie d’environ 30 centimes de dollars sur chaque objet livré. Sachant qu’Amazon est le deuxième employeur privé aux Etats-Unis, les répercussions seront lourdes et immédiates, sans compter l’exemple donné à d’autres sociétés, attirées par l’appât du gain.
Pour l’heure, Amazon peut se contenter de ralentir fortement les embauches, alors même que la société espère vendre deux fois plus de produits qu’aujourd’hui d’ici à 2033. Il se dit aussi qu’Amazon compte sur des départs volontaires dans certains de ses entrepôts. Au terme de ce processus, certains d’entre eux pourraient quasiment se passer de la présence d’êtres humains. A l’entrepôt de Shreveport en Louisiane, mille robots s’activent. Dès lors qu’un objet est emballé, rapporte le New York Times, c’est à peine si un être humain aura encore l’occasion de le toucher. Actuellement, cet entrepôt emploie à peu près 25 % d’êtres humains de moins que s’il n’était pas automatisé.
On se demande quand même si Amazon pourra continuer de faire exploser ses ventes, si la tendance générale dans de nombreux métiers dont le vendeur en ligne n’est qu’un exemple est au renvoi des collaborateurs humains et donc au chômage démultiplié.
Meta et Amazon embrigadent les employés contre eux-mêmes
Quant à Amazon, la société communique prudemment sur ces nouvelles tendances, même en interne. On peut voir dans les documents fuités que les mots « automatisation » et « IA » ont tendance à ne pas être employés quand il est question de robotique. On parle plutôt de technologies avancées, voire de « cobots », terme qui suggère la coopération entre les robots et les humains. La société a plutôt tendance à s’acheter une conduite en participant à des événements communautaires pour avoir une bonne image sociale « corporate ». Tout pour faire oublier qu’elle serait sur le point de remplacer plus du tiers de ses employés par une « armée de robots », comme le dit Futurism (pas forcément humanoïdes, il faut le préciser).
Amazon a bénéficié démesurément, en se constituant une chalandise gigantesque, des retombées de la gestion du covid où des millions de gens claquemurés chez eux n’avaient d’autre choix que de commander en ligne, tout en communiquant sur le nombre d’emplois créés. Ceux-ci sont maintenant plus que précaires. Amazon est en passe de devenir un destructeur net d’emplois, comme l’a commenté Daron Acemoglu, professeur au MIT et lauréat du prix Nobel de science économique au titre de ses travaux sur l’automatisation.
Autre « grand » de l’IA et de la robotique, Elon Musk. Lui, il parle carrément de son « armée de robots », tout en réclamant à ses actionnaires de lui attribuer une part de 25 % dans Tesla (contre 13 % actuellement) si elle parvient à vendre 20 millions de véhicules, un million de robotaxis… et un million de robots humanoïdes Optimus. « Si nous construisons cette armée de robots, aurai-je au moins une forte influence sur elle ? », a-t-il demandé aux investisseurs. « Pas le contrôle, mais une forte influence… Je ne me sens pas à l’aise à l’idée de construire cette armée de robots si je n’ai pas une forte influence sur elle. »
L’« armée de robots » d’Elon Musk
Alors quoi… Elon Musk a-t-il en tête un usage militaire de son « armée de robots » ? Ou la craint-il et veut-il en quelque sorte garder la main sur cette force de toute façon redoutable ? Ce qui est clair, c’est que des sociétés produisent déjà ce type d’engin sans se soucier des retombées pour l’humanité, et même, le cas échéant, quand elles paraissent néfastes.
Comme dans toutes les révolutions, il suffit d’une poignée de « meneurs » – ici, le petit nombre de très grosses, très riches sociétés capables de produire de l’IA et de l’intégrer dans des robots – pour mettre en place des nouveautés capables de nuire au plus grand nombre qui n’a pas son mot à dire.
Peut-être – si la course folle vers la robotisation absolue n’est pas interrompue – instaurera-t-on un jour un « label bio » pour les usines et les marques, réservé à celles qui utilisent un certain pourcentage minimum d’êtres humains pour leur production, et que le public aura la possibilité de soutenir en choisissant de payer un peu plus cher que des produits fabriqués en automatisation complète.
On peut toujours rêver – mais les empêcheurs de tourner en rond n’ont jamais eu la vie facile. Et puis quel fantastique nouveau variant de la lutte des classes : l’espèce humaine contre les robots ! C’est le genre de bonne crise qu’il ne faut pas « gaspiller », d’autant que les dés sont pipés contre les hommes…











