Quelle théologie chez François Ier ? (seconde partie)
Dans le domaine de l’indissolubilité du mariage, on dénombre trois actions concertées autour du pape François Ier dont l’une paraît lourde de signification.
Tout le monde se rappelle d’abord le consistoire sur la famille du 20 février ou le cardinal Kasper a exposé une sorte de nouvel « Évangile de la famille ». Le cardinal a constaté qu’entre la doctrine de l’Église sur le mariage et la pratique des chrétiens, « il s’est créé un abîme ». En effet on connaît les nombreuses entorses en matière de transmission de la vie et d’éducation chez les catholiques. Quoiqu’elles soient de tous les temps, depuis un demi-siècle surtout les désobéissances aux lois de l’Église sont devenues communes. Le cardinal a insisté sur le divorce, le plus grave des péchés contre la famille car il touche à son existence même qui est l’union indissoluble des époux.
Après divorce, un grand nombre de catholiques se remet en concubinage installé avec un deuxième conjoint – ou plus… Souvent des enfants de plusieurs lits s’ajoutent pour recomposer des « familles ». Dans une telle situation, impossible aux conjoints d’accéder aux sacrements.
Solutions pastorales proposées par le cardinal
Le cardinal a cherché des solutions pour ces « divorcés-remariés ». Tout d’abord il propose un « généreux élargissement de la procédure de nullité du mariage » : c’est-à-dire de déclarer nuls plus facilement les mariages contractés devant le prêtre. Au lieu des deux jugements d’annulation demandés aux tribunaux de l’évêché – avec la longue procédure nécessaire pour ne pas se prononcer à la légère en une matière regardant et le bien des époux et celui des enfants – le cardinal propose qu’un prêtre spécialisé dans la « pastorale » des époux se prononce unilatéralement. Ainsi, ce ne serait plus l’institution du mariage, mais le point de vue humain des époux qui passerait en premier ; un bien particulier avant le bien de la famille. Grave entorse à la morale conjugale.
Ensuite, le cardinal propose d’ouvrir la fréquentation des sacrements aux « divorcés-remariés » qui donnent quelques garanties de piété, de foi, de repentance pour leurs fautes passées et un grand désir de communier. Le cardinal assure cependant que la doctrine de l’indissolubilité du mariage demeurerait, mais en fait, la nouvelle pratique revient à annuler les mariages sacramentels valides, « ratifiés et consommés » (ratum et consummatum, dit la théologie morale) puisque le divorce serait à l’avenir quasiment sans peine canonique.
Cette nouveauté inouïe a été repoussée par les cardinaux du consistoire et une quinzaine se sont déclarées publiquement contre. François Ier, lui, s’est dit « en grande harmonie » avec le propos de Mgr Kaper et l’a qualifié de « serein, profond » et à méditer « à genoux ».
Première réflexion
Si la communion eucharistique est accordée à des « divorcés-remariés » de « bonne volonté », on ne voit pas pourquoi on la refusera à des concubins qui n’ont jamais été mariés, ou même à ceux qui mènent double vie, voire même à des ménages homosexuels et – pourquoi pas ? – à des ecclésiastiques, religieux et religieuses en concubinage installé.
De plus, la porte ainsi entrouverte, on peut prévoir un effondrement de la fidélité chez les catholiques et un véritable raz-de-marée de divorces-remariages ; comme pour la communion dans la main. Aujourd’hui très largement pratiquée dans la majeure partie de l’Église, elle ne choque plus du tout. Pour en arriver là, il y eut d’abord la pratique sauvage dans des paroisses de-ci, de-là, courant décennie 60. Devant cette situation, la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin demanda leur avis aux évêques le 12 mars 1969. Les réponses furent très négatives : 1.233 évêques refusaient la communion dans la main (567 pour) et 1.215 en refusaient toute expérimentation (contre 751). Rapportant ces chiffres, l’Instruction Memoriale Domini du 29 mai 1969 concluait que la forme traditionnelle de la communion dans la bouche devait être maintenue. Mais elle ajoutait que là où « c’est déjà introduit un usage différent », il serait maintenu et réglé « comme il faut » par les conférences épiscopales. D’où la suite…
Le geste du pape François Ier
Deux mois après le consistoire, la question des « divorcés-remariés » rebondit avec la permission de communier que François Ier accorda à une argentine de Buenos Aires, mariée civilement depuis 19 ans avec un divorcé. En septembre 2013, Jacquelina Lisbona avait écrit au pape pour exposer son désir de l’eucharistie et le refus de son curé. Elle et Julio Zebeta sont « pratiquants » : prière quotidienne, chapelet, messe dominicale. François Ier l’appela au téléphone à la fin avril 2014 et lui permit d’aller communier dans une autre église que sa paroisse, lui disant entre autres : « Il y a des prêtres qui sont plus papistes que le pape. » Évidemment, les médias internationaux se saisirent de l’affaire et, si le Saint-Siège dénonça leurs commentaires comme « source de confusio », le père Lombardi confirma l’information en précisant cependant qu’il s’agissait « de relations personnelles et pastorales » du pape et qu’il ne fallait pas « en tirer de conséquences relativement à l’enseignement de l’Église ». Quel sens donner à ce geste du pape ? Un exemple pour comprendre.
La communion eucharistique donnée aux non-catholiques
Le code de droit canon promulgué en 1983 par Jean-Paul II porte en son canon 844 (§ 3) que les chrétiens non catholiques, mais par ailleurs croyants en la présence réelle eucharistique, pourront recevoir la communion dans les célébrations catholiques ; il s’agit « d’hospitalité eucharistique ». Ceci n’est pas arrivé par hasard. Entre autres, La Documentation Catholique de janvier 1967 signale l’« autorisation exceptionnelle d’une intercommunion accordée par Rome » au profit de la presbytérienne Barbara Olson – pour son mariage le 21 septembre 1966 avec Fortunato Pasqualino – « compte tenu de la bonne conduite et des excellentes dispositions religieuses de Mademoiselle Olson » (elle croit à la présence réelle et dans le pape vicaire du Christ). La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en fait le pape Paul VI, donna l’autorisation. Non seulement car il est le préfet de cette congrégation, mais aussi parce qu’il avait conversé avec la presbytérienne…
On ne peut s’empêcher de constater l’étroite similitude entre le geste de François Ier et celui de Paul VI, ce qui peut laisser augurer un même dénouement. D’autant plus que ces deux papes se fondent sur une même théologie. Car, au-delà des circonstances pastorales, psychologiques ou médiatiques alléguées par le cardinal Kasper, la vraie raison des changements envisagés est à prendre dans le dogme.
La théologie du mariage de François inspirée de la théologie de l’intercommunion
Le Christ est seul Sauveur mais il transmet le salut aux âmes par l’Eglise catholique. Or, Vatican II a reconnu que les autres religions étaient aussi des « moyens de salut », avec leur « signification et valeur dans le mystère du salut » (Unitatis redintégratio, 3-4 et Nostra Aetate, 2), c’est-à-dire qu’elles peuvent donner le salut éternel : il n’y a pas une seule Église hors de laquelle point de salut. Il est vrai que le Concile continue à dire « unique » l’Église du Christ ; mais si le Christ entretient une union – même imparfaite – avec les autres religions pour donner le salut au monde, disparaît en conséquence le lien indissoluble entre Lui et l’Église.
Or justement, saint Paul fait du mariage sacramentel des fidèles l’image de l’union du Christ et de l’Église (Eph. 5, 22-23). Puisque maintenant, à côté de l’Épouse légitime, le Christ a des espèces d’épouses de second rang (!), force est donc de reconnaître que l’indissolubilité du mariage des catholiques devient à son tour très relative… Le discours actuel sur l’œcuménisme donne probablement la clé théologique des propos du cardinal Kasper sur le mariage et de leur acceptation par le pape. Ils apparaissent du coup parfaitement logiques, au contraire des protestations des cardinaux opposés, incohérentes avec l’enseignement conciliaire authentique.
Le synode exceptionnel convoqué par le pape pour octobre 2014 sera consacré à la famille. À la vue des dernières déclarations et actes, on ne peut qu’être inquiet pour l’avenir du mariage dans l’Église catholique.
Cet article fait suite à celui consacré aux canonisations qui se trouve ici.