C’est la question posée par un éditorialiste du New York Times, Thomas L. Friedman, et pour lui la réponse est nuancée. Critiquant la décision de Barack Obama d’entrer en guerre contre l’Etat islamique, le journaliste met en évidence la lutte existentielle qui oppose aujourd’hui différentes tendances de l’islam au Proche-Orient. Pour lui, l’intervention des États-Unis contre l’Etat islamique vise à changer l’âme de l’islam et laisse aux Etats concernés le loisir de ne rien faire et de laisser la lutte se perpétuer.
Pourquoi donc Obama s’engage-t-il contre l’État islamique, demande Friedman. Il parle des réactions engendrées par les vidéos des décapitations de journalistes américains. Sont-elles une raison suffisante pour entrer en guerre ? Comment peut-on croire que l’État islamique sera bientôt « dans un centre commercial près de chez vous » ? Voila qui met en évidence la manipulation de l’opinion en jouant sur les « peurs », selon le journaliste. Les peurs qui pour le président des États-Unis comme pour les autres, sont mauvaises conseillères.
L’éditorialiste souligne encore combien l’action des États-Unis au Proche-Orient, exaspérant les sunnites en Irak, a fait le lit de l’État islamique. En Syrie, c’est aussi la domination chiite qui a ouvert la voie au Califat. En tout état de cause, poursuit Friedman, ISIS, ou l’Etat islamique n’est pas forcément un problème pour les États-Unis.
L’Etat islamique, élément d’un équilibre
Et de citer un autre Friedman, George, président de Stratfor : « L’intérêt des États-Unis n’est pas la stabilité mais l’existence d’un équilibre du pouvoir dynamique où tous les joueurs sont paralysés de telle manière qu’aucun d’eux ne puisse menacer les États-Unis. » Cet équilibre, ajoute l’analyste, n’a pas à être maintenu par les États-Unis, qui feraient mieux de laisser les Etats voisins, Arabie Saoudite, Turquie et Iran contenir la menace de l’État islamique présent en Irak et en Syrie, et dont la progression signifierait pour eux le chaos.
En soulignant un autre enjeu du conflit, Friedman révèle en réalité un des ressorts sans doute les plus importants de l’engagement d’Obama et des États-Unis contre l’État islamique. Il cite un universitaire palestinien d’Oxford, Ahmad Khalidi, qui lui a déclaré : « C’est une guerre à propos de l’âme de l’islam – ce qui différencie ce moment de tous les autres. »
Lutter pour changer l’âme de l’islam
S’agit-il donc de modifier l’Islam en profondeur, de le rendre plus « occidento- compatible » ? De fait, l’Islam du califat est, comme le dit Friedman, très proche du salafisme saoudien. Il rappelle que pendant des décennies, la famille régnante en Arabie Saoudite a subventionné mosquées et écoles qui dans le monde musulman enseignent ce qu’il appelle l’islam le plus « puritain », dans le cadre d’un « deal » qui assure le pouvoir aux Al-Saud. Les milliards saoudiens financent à la fois la lutte contre l’Etat islamique et l’idéologie islamiste qui alimente ses rangs. C’est parce que le bébé lui échappe que l’Arabie saoudite, jalouse de son rang central au sein de l’Islam, mobilise des fonds pour contenir l’Etat islamique.
Il faut ajouter que vue depuis les États-Unis, cette lutte se double d’une volonté de débarrasser l’islam de ses éléments les plus violents, les plus radicaux. C’est la condition d’une entente des religions qui ne croiraient plus en leur vérité propre, mais qui, se mettant d’accord sur leurs désaccords, admettraient que ceux-ci s’effacent devant une spiritualité commune.
Les outrances de l’État islamique servent en tout cas cet objectif, en justifiant la méfiance globaliste à l’égard de toutes les religions quelles qu’elles soient, présentées comme responsables des pires conflits et violences que ce monde ait connus.
Thomas L. Friedman, triple lauréat du Prix Pulitzer, est spécialiste des affaires étrangères. Il milite pour une solution de compromis dans le conflit israélo-palestinien et la modernisation du monde arabe ; c’est également un partisan de la lutte pour l’environnement et pour la mondialisation. Son article ne dit rien, on le notera, sur le sort des chrétiens directement confrontés à la violence dominatrice de l’Etat islamique.