C’est au nom de la « croissance » que le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, est revenu à la charge sur le travail du dimanche : il faut en étendre l’emprise, dit-il, pour favoriser non seulement le PIB de la France mais aussi l’emploi. Multiplier le nombre de dimanches « travaillés » – 5 sans conditions pour tous les commerces, jusqu’à 12 sur autorisation de la mairie –, et étendre les zones d’ouverture systématique dans les « zones à fort potentiel économique et touristique », voilà qui réglerait comme une baguette magique les problèmes de la France. C’est depuis longtemps une demande d’une partie de la grande distribution. Mais il y a beaucoup de réticences aussi, et de l’étonnement : comment la gauche, supposée « sociale », se met-elle ainsi à la remorque de la droite, supposée prête à voter toutes les régressions sociales ?
 
La loi Macron sera présentée mercredi au conseil des ministres. Manuel Valls l’a déjà prise sous son aile, il la défend, il l’approuve. Il voit déjà les touristes chinois s’échapper à Londres pour pouvoir y faire leurs courses le dimanche s’ils se cassent le nez devant une vitrine close à Paris ! Les socialistes n’ont pas le choix : comme Sarkozy en son temps, ils essaient de faire leurs les décisions qui sont imposées de plus haut. Il le faut bien : la Commission de Bruxelles est favorable à l’assouplissement du travail et cela passe devant toute autre considération, quelle que soit la manière.
 

Un mythe économique contre le dimanche

 
Mais explosons d’abord un mythe. Si le travail du dimanche était si bénéfique pour l’économie, il faudrait que le Portugal – par exemple – soit un modèle sur ce plan, un exemple pour l’Europe, un havre de prospérité. Eh bien oui : les grandes surfaces y sont toutes ouvertes le dimanche et sont même devenues un lieu de sorties familiales, alors que les cafés, lieux traditionnels de convivialité, se vident, trop chers pour les Portugais moyens. Pour la prospérité, cela n’a rien réglé. Le Portugal traîne sa dette et vit, mal, sous le regard vigilant des observateurs européens et des plans d’austérité qui accompagnent sa dette. La baguette magique n’a pas fonctionné.
 
Il n’empêche que les arguments mis en avant pour le travail du dimanche demeurent exclusivement économiques. Libéraux-économiques, diront certains. Mais sont-ce les vrais arguments, ceux qui réellement animent ses promoteurs ? Ce n’est pas si sûr – ni pour le libéralisme, ni pour l’économie.
 

Droite ou gauche, ils roulent pour l’économie

 
Certes, il ne faut pas passer sous silence l’appât du gain de certains qui espèrent de l’ouverture dominicale d’abondants revenus – certains davantage que d’autres, d’ailleurs : ceux qui ont le moyen de surpayer leurs employés ce jour-là ; d’assurer des ouvertures prolongées ; en un mot, les plus forts. Et c’est bien cela, le libéralisme. Poussé à son paroxysme, ce libéralisme aboutit au monopole. Qui n’est jamais loin du socialisme. Ne jamais oublier cette parenté profonde : les deux, libéralisme et socialisme, s’attaquent chacun à sa manière à la liberté d’entreprendre et au droit d’exister des plus petits !
 
Disons-le tout de suite : cet intérêt économique « catégoriel » ne séduit pas tout le patronat, ni même tout le patronat de la grande distribution. Si Pierre Gattaz, président du MEDEF, continue de marcher à l’incantation, d’autres sont plus circonspects. Il faut dire que sa promesse de voir se créer 40.000 à 50.000 emplois grâce au travail du dimanche ne semble convaincre que les grandes figures du socialisme et quelques « vendeurs » compulsifs comme Bricorama ou la FNAC (connaissez-vous beaucoup de libraires et de disquaires de quartier ?). Même Serge Papin, patron de Système U, et Georges Plassat, PDG de Carrefour, ont des doutes. Ce dernier a fait savoir, le 8 décembre, qu’il n’était pas favorable à l’ouverture des hypermarchés le dimanche.
 

Le travail du dimanche et les promesses de la « droite »

 
Quant aux promesses de Gattaz, elles reposent sur du vent. On le suppose, du moins, puisque les demandes réitérées de la CFTC et du Collectif des amis du dimanche pour obtenir des justifications chiffrées se sont heurtées à un silence obstiné.
 
Mais si tout cela n’était pas économique ?
 
On sait combien dans la France laïcisée les défenseurs du dimanche se gardent d’invoquer des motifs spirituels pour appuyer leur point de vue – même la plupart de évêques qui se sont exprimés au fil des ans sur ce véritable « marronnier » des propositions économiques. La peur de se voir taxer de cléricalisme, le souci de ne pas paraître comme défendant des privilèges catholiques dans le domaine de la vie sociale ont édulcoré le combat, même si cette posture a peut-être permis de l’élargir.
 
Oui, le dimanche est le jour de la famille, des amis, des rencontres sportives amicales, d’un style et même d’un bonheur de vivre qu’il faudrait d’ailleurs retrouver. Oui, le repos du dimanche est un moyen de rompre avec le consumérisme – une notion que l’on peut comprendre et partager, que l’on se dise de droite ou de gauche. Mais c’est d’abord le jour du Seigneur.
 

Le dimanche, c’est le jour du Seigneur

 
Et si le jour du Seigneur est attaqué, ce n’est pas d’abord au nom de l’économie. Après tout, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour savoir que c’est le pouvoir d’achat qui fait la différence et non les heures d’ouverture des magasins : nous n’en sommes pas encore à faire la queue, les samedis soirs, devant des stocks qui s’épuisent et des rideaux que se ferment, contraints d’attendre lundi pour dépenser notre trop plein, pour le plus grand bonheur de nos bas de laine ! Il s’agit seulement de répartir le gâteau des achats un peu différemment.
 
Si donc personne ne peut croire sérieusement servir l’économie en imposant le travail du dimanche, le but est ailleurs. Il est dans la négation du dimanche, la négation de l’âme, la négation de l’alliance avec Dieu qui s’exprime dans l’attestation, par le repos du septième jour, que l’homme ne vit pas seulement de pain, et que la matière n’est pas son horizon ultime.
 
Ce n’est pas l’argent qui circule qui anime les esclavagistes du dimanche, ni même le travail du dimanche en définitive, qui existe déjà dans tant de domaines où le monde n’arrête pas de tourner – les hôpitaux, les transports, les auberges ou les casernes de pompiers… : c’est le geste d’acheter. C’est la focalisation du désir. C’est l’oubli de Dieu.
 
On n’oublie bien que ce que l’on remplace. Un Dieu personnel qui aime sa créature et la veut pour Lui doit céder la place aux dieux horizontaux : le bien-être à tout prix et le bonheur qu’on achète. C’est pire que le paganisme, mais comme lui le matérialisme a besoin d’esclaves et de sacrifices – humains si possible, et consentants.