Sur le devant de la scène française, dressé comme une icône mondiale de la liberté d’expression depuis les attentats meurtriers du 7 janvier, Charlie-Hebdo est en outre le symbole de « la liberté de religion ». C’est l’affirmation, volontiers provocatrice sinon iconoclaste, de son rédacteur en chef, Gérard Biard, qui défend la publication des caricatures du « prophète » Mahomet par l’hebdomadaire satirique français, en répondant, dans un entretien diffusé dimanche, aux questions de la chaine de télévision américaine NBC.
« Chaque fois que nous faisons un dessin de Mahomet, chaque fois que nous faisons un dessin de prophètes, chaque fois que nous faisons un dessin de Dieu, nous défendons la liberté de religion. » L’affirmation de Gérard Biard a de quoi surprendre. Sans remonter dans le temps considérerons que, de la mort violente qui a frappé les principaux de ses collaborateurs aux émeutes que son dernier numéro provoque dans le monde musulman – avec encore, ces deux derniers jours, son lot de victimes chrétiennes notamment au Niger – la liberté évoquée paraît bien contraire à l’idée que l’on se fait communément de la religion.
La « religion » de “Charlie-Hebdo”
« Nous disons que Dieu ne doit pas être une figure politique ou publique. Il doit être une figure privée. Nous défendons la liberté de religion », poursuit Gérard Biard. « Il s’agit certes de la liberté d’expression, mais également de la liberté de religion. »
Le rédacteur en chef de Charlie-Hebdo assume cette contradiction. Parce qu’il a de la religion une idée moderne, et pour tout dire réductrice : celle de la conscience personnelle. « Nous sommes convaincus que la religion n’a pas sa place dans le discours politique parce que si la religion met le pied dans le discours politique, le discours politique devient totalitaire », explique-t-il. Le propos est (volontairement ?) confus car il y a loin, assurément, de saint Louis à Ben Laden. Mais il poursuit : « La laïcité est le garant de la démocratie, c’est le garant de la paix. La laïcité permet à tous les croyants et aux autres de vivre en paix. (…) Nous ne défendons qu’une seule chose : la liberté, notre liberté, la laïcité, la liberté de conscience, la démocratie. »
Une liberté totalitaire
Gérard Biard ne s’interroge manifestement pas sur les grands couplets qui, à travers le monde occidental, nous imposent, depuis près de deux semaines, cette doxa. Ni donc sur le caractère étrangement – et férocement – totalitaire, pour le coup, de ce discours libertaro-laïc, que ce soit dans la bouche de François Hollande, de Barack Obama, ou de n’importe lequel des grands dirigeants politiques qui se sont associés à la grand marche laïcarde parisienne du 11 janvier.
Il ignore manifestement que l’islam s’oppose, en général, plus sans doute aujourd’hui qu’hier, à toute représentation de Mahomet, et que ses sectateurs sont, en quelque sorte, iconoclastes par crainte d’idolâtrie. Il ne comprend pas que, en ramenant la religion à une question de conscience, de démarche privée, il annihile l’idée même de religion.
On défend n’importe quoi…
D’où sa déclaration pour le moins inepte. Faire des blasphémateurs de Charlie-Hebdo des défenseurs de la liberté de religion, c’est un peu vouloir présenter Erostrate comme un génie de l’art architectural ; ou les Borgia comme des bienfaiteurs de la médecine.
Qu’on les laisse donc reposer en paix…