Ce qu’il y a d’intéressant, dans l’analyse de l’activité « contre-terroriste » du FBI américain par Lyric R. Cabral et David Felix Sutcliffe, c’est que leur article a été publié par un journal réputé sérieux : The Guardian. Un peu à la manière du Monde, « journal de référence » clairement orienté à gauche, le quotidien britannique a ouvert ses colonnes à ces auteurs de Creative Time Reports, certes sous forme de tribune, qui voient dans les attaques terroristes « déjouées » par le Federal Bureau of Investigation des opérations montées par la FBI elle-même. Et pour eux, c’est le « contre-terrorisme » qui contribue à alimenter la peur qui est précisément le ressort du terrorisme lui-même. Complotisme ? Jugez vous-même…
Cabral et Sutcliffe sont les auteurs d’un film, TERROR, un documentaire sur le travail de contre-terrorisme de la FBI à travers une enquête réalisée à travers une « opération montée ». Il vient d’être présenté au Sundance Festival.
Le FBI ne traque pas le terrorisme, il le fabrique
Ce qu’ils cherchent à montrer, c’est que l’homme de la rue a une mauvaise conception de ce travail, qu’il imagine consister en l’infiltration de réseaux terroristes afin de dépister des opérations terroristes en cours de montage, et de donner au FBI les informations permettant d’empêcher leur mise en œuvre. « Cela n’est pas vrai dans l’immense majorité des cas de terrorisme domestique », assurent les auteurs de TERROR.
Pour Cabral et Sutcliffe, le FBI paie ses informateurs non pour faciliter la capture de terroristes existants, mais pour les « cultiver ». Pour les susciter, même. Le scénario, assurent-ils, est le suivant : les opérateurs à la solde des services américains construisent des relations suivies avec leurs cibles, « alimentant leur colère et leur donnant idées et raisons de nature à les pousser à l’action terroriste ». Au moment où la « cible » va passer à l’acte, il ne reste plus au FBI qu’à l’arrêter.
Les « cibles » ? Des hommes jeunes, isolés, souvent pauvres, et surtout musulmans, âgés de 15 à 35 ans, qui vont être manipulés, moyennant une forte somme pour l’intermédiaire, par des hommes ayant une histoire criminelle. Cabral et Sutcliffe donnent un exemple : le 14 janvier, le FBI a annoncé avoir mis au jour et désamorcé une opération terroriste de l’Etat islamique aux Etats-Unis. Un converti à l’islam, Christopher Lee Cornell, 20 ans, a été arrêté au moment où il venait d’acheter deux armes semi-automatiques, sous l’instigation d’un « complice » qui était en réalité un informateur de la FBI. Celui-ci a été chaleureusement félicité par John Boehner, président de la Chambre des représentants.
La gauche dénonce la peur fomentée par le FBI
Les auteurs du film sont clairement orientés à gauche. Ils dressent un tableau noir d’un FBI « raciste », qui voit tous les musulmans comme des suspects potentiels et empêche les imams de prêcher le djihad par peur de voir cette notion souvent « mal interprétée » de l’islam servir de prétexte à la déconsidération de leur religion. Le contre-terrorisme du FBI joue sur les peurs et les fomente, assurent-ils, dénonçant le fait que l’agence n’emploie « que » 17% de « minorités ».
Ce faisant ils participent eux-mêmes à une opération qui est certainement en cours, pour le coup : promouvoir l’idée d’un islam parfaitement acceptable et pacifique, simple religion comme toutes les autres, face à un islam repoussoir dont la violence est à la fois montrée à tous et présentée comme marginale, étrangère à l’islam.
Agents provocateurs et contrôle par la peur
Quoi qu’il en soit de l’existence ou non de ces « agents provocateurs » au passé contestable et aux pratiques condamnables, on peut souligner au moins que Cabral et Sutcliffe ont bien désigné l’un des effets du contre-terrorisme et de ses annonces triomphantes. Chaque fois qu’un bureau de renseignement comme le FBI parle d’opérations terroristes déjouées, la population ne se sent pas davantage protégée, mais moins. Les rapports au sein de la population se dégradent. Et l’Etat, à travers ses agences de sécurité et ses lois de restriction des libertés, apparaît comme le seul rempart. 1984 l’avait imaginé : la référence constante à une guerre mondiale qui n’avait aucun effet apparent, dont nul ne pouvait affirmer dans quelle mesure elle était réelle, imaginaire, ou un mélange des deux, mais qui justifiait la surveillance policière et les restrictions imposées à la population.
L’article publié par The Guardian réclame l’arrêt des crédits (1,2 milliard tout de même) pour ce genre d’opération contre-terroriste et une surveillance accrue par le Congrès américain. Le fait est en lui-même révélateur.