Dans la foulée de la victoire de Syriza en Grèce, le Daily Telegraph parle d’un « désenchantement » des peuples face au rêve de l’Union européenne, dressant un portrait pays par pays du rejet de ce qui n’a jamais été, en fait, qu’une opération plaquée en vue d’une « intégration » forcée. La contestation croissante s’accompagne d’une perte de confiance qui ne cesse de s’accentuer. Revanche du réel sur l’idéologie ? C’est ainsi qu’on pourrait voir les choses. Mais elle était à prévoir, dès lors que l’on juxtaposait dans une Union factice et pesante des pays aussi différents que l’Allemagne et la Grèce, l’Espagne et la Suède.
En 2007, 52% des Européens avaient confiance en l’Europe, aujourd’hui ils ne sont plus qu’un tiers, disent les sondages. Notez que la France, dès 2005, « leur » Europe avait été rejetée par un référendum dont les politiques n’ont tenu aucun compte : Nicolas Sarkozy a signé le traité que les Français avaient récusé. C’était au nom de l’économie, et de l’euro qui aujourd’hui apparaît comme cause de la paupérisation rampante.
Union européenne : des scénarios similaires
Si la Grèce a carrément choisi l’extrême gauche (une histoire de Charybde et de Scylla) pour la sortir des mailles et des contraintes de l’Europe, l’euroscepticisme pourrait s’exprimer d’autres manières dans plusieurs autres pays membres de l’UE.
En Italie, le manque de confiance par rapport à l’Union européenne est à son comble. Il a coûté son poste à Berlusconi en 2011, date à laquelle il prétendait quitter l’euro : aujourd’hui, un parti « bouffon », autour de Beppe Grillo, comédien de son état, est en train de remodeler le paysage politique en attendant les élections qui auront lieu cette année.
En Espagne, un parti d’extrême gauche surgi lui aussi « de nulle part », Podemos, s’est hissé au même niveau que le parti de centre-droit Partido Popular, tandis que 250.000 personnes par an émigrent de ce pays déjà en proie à un dramatique suicide démographique, et au chômage qui l’accompagne : plus de 50% des jeunes ne trouvent pas d’emploi. Explosif.
Les peuples contre l’Europe ?
La France de Hollande applique docilement l’« austérité » imposée par l’UE : une austérité qui ne consiste pas à alléger la pression étatique mais au contraire à saigner les classes moyennes en maintenant l’emprise publique sur la santé, l’éducation, la « culture »… La montée de Marine Le Pen en est la conséquence quasi mécanique.
L’Allemagne, nostalgique du mark, en a assez d’être ponctionnée pour les mauvais payeurs comme la Grèce. C’est elle qui fait pression pour l’« austérité » imposée aux pays les plus endettés, se faisant haïr du même coup. Elle fait face à l’immigration islamique facilitée par les règlements de l’UE. Là aussi des mouvements de la « base » progressent, qu’il s’agisse d’Alternativ für Deutschland qui, parti de rien, monte tranquillement dans les sondages et peut envisager une entrée au Bundestag. Le mouvement anti-islamique PEGIDA, dont la naissance sent la manipulation à travers la personnalité de son fondateur forcé à la démission pour s’être déguisé en Hitler, continue de réussir ses rassemblements.
Immigration et islam dénoncés par les peuples
Aux Pays-Bas, le parti anti-islamique et atlantiste de Geert Wilders caracole en tête des sondages avec plus de 30% d’intentions de vote, tandis que le Parti socialiste anti-européiste atteint les 18%, dans un contexte d’instabilité politique bien installée et de refus des contributions réclamées par l’Union européenne.
Au Danemark, l’euroscepticisme n’est pas nouveau ; à l’instar du Royaume-Uni, on y a cherché des arrangements avec l’UE et l’euro a été rejeté. Le rejet de la politique d’immigration y alimente une opposition qui a elle aussi des chances de progresser nettement aux prochaines élections parlementaires, après sa réussite aux européennes : le Parti du Peuple avait fini en tête, avec 27% des voix.
La Suède, au système pourtant plus verrouillé, a elle aussi son parti anti-immigration qui se nourrit du ressentiment populaire face à une politique des plus libérales : ainsi tout Syrien peut s’établir librement en Suède au nom de l’accueil des réfugiés. Les « Démocrates suédois » sont devenus le troisième parti de ce pays pourtant ancré solidement à gauche.
Le Royaume-Uni vit une situation semblable à celle du Danemark et des Pays-Bas, rejetant à la fois l’immigration – d’origine européenne ou non – et contestant les sommes réclamées par l’UE au vu de sa moins mauvaise santé économique. L’UKIP de Nigel Farage est une vraie menace pour les conservateurs aux prochaines élections.
A qui profite la contestation et l’euroscepticisme…
On ne peut qu’être frappé par la similitude des scénarios. On peut d’ailleurs se demander si cette montée en puissance de partis eurosceptiques, qui à ce jour n’a pas donné de résultats concrets, dans des pays qui restent pieds et poings liés par leurs dettes, n’est pas simplement une étape vers un autre modèle d’intégration. Et la question se pose : tout cela est-il le fruit spontané d’une situation de plus en plus intolérable en vue de reconquérir libertés et souveraineté, une canalisation tolérée du mécontentement populaire, ou une agitation qui favorisera à terme une nouvelle étape de la dialectique révolutionnaire ?