Le conspirationnisme : cible déclarée de l’État français pour la Fondation Jean Jaurès

Le conspirationnisme : cible déclarée de l’État français pour la Fondation Jean Jaurès
 
Le conspirationnisme est devenu depuis quelques semaines un véritable sujet d’étude. Hollande a magistralement pointé du doigt, le 27 janvier dernier, « les théories du complot »« ferments de haine et de désintégration de la société ». Le bimestriel « Diplomatie » consacre ce mois-ci un dossier entier sur cette « paranoïa banale » qui a partie liée à « l’extrémisme politique »… Et la Fondation Jean Jaurès y est allée de son petit couplet. L’État français s’est trouvé une nouvelle cible.
 
Bref, quelque chose s’est mis en branle. Et clairement, les attentats de Paris en ont été le déclencheur – ou le prétexte. On assiste à une vaste campagne de propagande à rebours sur tous les sujets possibles, actuels ou passés. L’influence des thèses déclarées complotistes, par le biais d’Internet, ce fameux « contre-espace public », est arrivée trop loin : les gens n’ont plus de « grilles de lecture », nous assène-t-on et se mettent à penser n’importe quoi, n’importe comment. Il faut passer à l’offensive.
 

« Le complotisme : une explication totalitaire » Mazarine Pingeot

 
La toute récente émission de Franz-Olivier Giesbert, « Les Grandes Questions », le 7 mars dernier, était à ce titre emblématique. Pour débattre d’« Internet, terreau des théories du complot ? », il avait convié face à ses trois agrégées de philosophie qui jouent comme à l’accoutumée les rôles d’intervieweuses, le journaliste Alexandre Adler, le directeur des études au CRIF et ancien vice-président de la LICRA, Marc Knobel ainsi que Bruno Gollnisch. Tout y est passé. Des « élucubrations » de l’abbé Barruel – sur la Révolution – aux indiscutables chambres à gaz, du financement occulte de Boko Haram à l’hydre de la Franc-Maçonnerie, jusqu’aux campagnes de vaccination-stérilisation de l’OMS…
 
On multiplie avec ironie les exemples pour en balayer avec un sourire fat, la graine complotiste. Et les tentatives de Bruno Gollnisch pour éviter la stigmatisation de ceux qui voient des zones d’ombre et tâchent de les mettre en lumière, n’ont guère été entendues.
 

« Conspirationnisme : un état des lieux » (Fondation Jean Jaurès)

 
C’est dans cette perspective que la Fondation Jean-Jaurès, think tank du Parti socialiste, vient de publier, à la demande du président François Hollande, une note de Rudy Reichstadt intitulée : « Conspirationnisme : un état des lieux ».
 
Dans ces quelques pages, ils s’étonnent de ce qui est devenu un « rituel » d’accompagnement de presque toute information. Ils tentent de l’expliquer par l’orgueil de la dissidence, l’apaisement psychologique… Le phénomène serait nouveau et marqué – évidemment – au « coin de l’extrémisme ».
 
Définition du conspirationnisme : « un récit  » alternatif  » qui prétend bouleverser de manière significative la connaissance que nous avons d’un événement et donc concurrencer la  » version  » qui en est communément acceptée, stigmatisée comme  » officielle  » ». Il séduit la sensibilité morale à fond religieux, qui voit le mal partout, et se pare « des atours prestigieux du scepticisme et de la pensée critique alors même que la mentalité conspirationniste ressortit à une forme de pensée antiscientifique. »
 
L’énumération est croustillante : « [C’est une] mouvance hétéroclite, fortement intriquée avec la mouvance négationniste, et où se côtoient admirateurs d’Hugo Chávez et inconditionnels de Vladimir Poutine. Un milieu interlope que composent anciens militants de gauche ou d’extrême gauche, ex- » Indignés « , souverainistes, nationaux-révolutionnaires, ultra-nationalistes, nostalgiques du IIIe Reich, militants anti-vaccination, partisans du tirage au sort, révisionnistes du 11-septembre, antisionistes, afrocentristes, survivalistes, adeptes des  » médecines alternatives « , agents d’influence du régime iranien, bacharistes, intégristes catholiques ou islamistes ».
 

L’État français contre le conspirationnisme

 
Le pot-pourri est extraordinaire. En fin de compte, les idées des complotistes se résument à : « l’effacement de toute distinction de nature entre régimes autoritaires et démocraties libérales (réputées plus « totalitaires » que les pires des totalitarismes) » ; « [l’opposition à] toute législation antiraciste sous prétexte de défense de la  » liberté d’expression  » » ; « [le rejet de] la pertinence du clivage droite-gauche, le véritable clivage étant celui qui sépare  » le Système  » (ou  » l’Empire « , ou « l’Oligarchie ») de ceux qui lui résistent » ; « l’idée que le sionisme est un  » projet de domination  » du monde ».
 
L’inévitable se produit, l’exposé tombe dans son propre complotisme, dénonçant à travers ces « mercenaires de la désinformation », « l’existence d’une mouvance qui en assure désormais la production en continu, sur Internet, et en retire une rétribution politique et commerciale. »… Douter, c’est déjà comploter – Descartes est sans doute le père de la toute première théorie.
 
Dans l’émission de Franz-Olivier Giesbert , Mazarine Pingeot fustigeait cette « explication totalitaire » qu’est le conspirationnisme. On pourra lui retourner la phrase d’Alexandre Adler : « Je dirais que les complots sont inversement proportionnels au degré de liberté politique »… Non content de l’avoir déjà considérablement restreint, l’État français est parti pour engager son « Patriot Act » – l’« état d’urgence permanent » américain depuis le 11 septembre 2001 – à lui.