Chine : l’AIIB signe le déclin de la finance américaine et des Etats-Unis comme superpuissance – mais met en place une nouvelle institution supranationale et mondialiste

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Il ne faut pas sous-estimer la portée de la création de l’AIIB – l’Asian Infrastructure Investment Development Bank – par la Chine, ni le coup qu’il porte à la domination américaine dans le monde de la finance. L’AIIB chinoise signe le déclin des Etats-Unis comme superpuissance, en révélant l’inefficacité de leurs manœuvres pour en éloigner le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Allemagne et d’autres alliés qui rejoignent la Chine, mais aussi la Russie, dans cette nouvelle institution supranationale et mondialiste.
 

Le déclin de la finance américaine

 
« Je ne peux imaginer aucun événement depuis Bretton Woods qui puisse se comparer à la concomitance des efforts de la Chine pour établir une nouvelle institution de premier plan et l’incapacité des Etats-Unis à convaincre des dizaines d’alliés traditionnels, à commencer par la Grande-Bretagne, à rester à l’écart », a ainsi déclaré il y a quelques jours Larry Summers, ancien Secrétaire au Trésor des Etats-Unis, naguère candidat à la présidence de la Réserve fédérale américaine.
 

AIIB : la Chine a réussi à contester les Etats-Unis comme superpuissance en entraînant des dizaines de ses alliés

 
L’AIIB compte déjà 46 membres. La nouvelle « Banque mondiale pour l’Asie », a pour vocation de servir de pompe à finances permettant d’injecter les réserves de devises massives de la Chine dans des projets de construction de routes, de bons, de bornes cellulaires dans toute l’Asie, depuis le Myanmar – l’ex-Birmanie – jusqu’à l’Iran.
 
La Chine s’est engagée à fournir au moins 50 milliards de dollars – la moitié des 100 milliards requis pour démarrer. Elle assure rendre ainsi service à l’économie mondiale en rendant disponibles des fonds pour des projets qui ne trouvent aujourd’hui pas de financement – évalués actuellement à 700 milliards de dollars –, mais en même temps l’AIIB lui permettra d’asseoir son avancée stratégique dans les pays émergents.
 
L’influence des Etats-Unis aura été insuffisante pour empêcher ses alliés de faire primer l’intérêt qu’ils estiment avoir à coopérer avec une puissance mondiale en pleine ascension : cela a commencé avec plusieurs pays européens et même le Japon, qui a résisté jusqu’ici à l’attrait de l’AIIB, envisage des pourparlers avec Pékin cet été, selon le Daily Telegraph. Israël a demandé à son tour un statut de membre fondateur de l’AIIB, saluant dans sa création « l’une des initiatives les plus importantes de la politique étrangère chinoise, et particulierement pour le président Xi Jinping ». C’est fin mars qu’a été annoncée la décision de Poutine de faire participer la Russie.
 

Le déclin des Etats-Unis révélé par son incapacité à jauger le pouvoir d’attraction de l’AIIB

 
« Nous avons foiré », fut l’élégante remarque de Madeleine Albright, ancien Secrétaire d’Etat américain : « Nous n’aurions pas dû nous y prendre comme ça et franchement, nous n’avons pas su prévoir que d’autres pays voulaient prendre part à l’initiative chinoise. Tout d’un coup, tout le monde veut en être. »
 
Selon certains observateurs, il ne faut pas voir d’agressivité dans l’initiative chinoise qui marque une rupture avec la politique de relations bilatérales menée jusqu’ici par la Chine à l’égard des pays en voie de développement : en sollicitant la coopération des pays occidentaux pour la constitution d’un nouveau prêteur multinational, elle serait en train de reconnaître les limites de son pouvoir et d’éviter de se mettre à dos la communauté internationale et de se voir taxer d’« impérialisme ».
 
Dans ce contexte, l’AIIB pourrait symboliser une nouvelle approche chinoise, plus « douce » mais également plus fine : la Chine, comme les Etats-Unis au sortir de la Seconde Guerre mondiale lors de la création du FMI et de la Banque mondiale, y verrait même un moyen de démultiplier son pouvoir et sa puissance financière : « L’AIIB est le signe d’une maturité chinoise. Les Chinois peuvent aujourd’hui utiliser une banque pour donner plus de poids à leurs propres fonds, et aboutir à des effets multiplicateurs à travers la participation d’autres pays et, à terme, entrer sur des marchés de capitaux privés », note Fred Bergsten, ancien haut responsable du Trésor américain.
 

L’AIIB : « Banque mondiale » bis, instrument de la mondialisation supranationale

 
La nouveauté de l’AIIB par rapport à la Banque mondiale, par exemple, sera constituée par des droits de vote liés non au capital détenu mais à la taille et aux résultats des économies des pays membres, manière d’échapper à la domination occidentale tant décriée par les pays émergents au sein des institutions financières mondialistes existantes.
 
La création de l’AIIB par la Chine donne en tout cas à celle-ci l’avantage d’avoir pris l’initiative et d’avoir gagné son pari d’y intéresser une bonne part du monde, envers et contre les Etats-Unis – à telle enseigne que ceux-ci pourraient rejoindre l’AIIB après le départ d’Obama de la Maison Blanche.
 
Mais au-delà de ces oppositions liées à la volonté de puissance individuelle qui subsiste au sein des nations souveraines, on ne peut y voir qu’une nouvelle étape vers l’intégration mondiale. Celle-ci requiert par nature un déplacement du centre de gravité du pouvoir : il se joue sous nos yeux.
 
Anne Dolhein