Enfant 44, comme le titre ne l’indique pas, voit l’essentiel de son action se dérouler en 1952-1953, dans la dernière et particulièrement terrible année de dictature absolue de Staline. Plus alors que jamais, l’URSS est alors l’empire du mensonge où, au nom de l’idéologie communiste, aucune vérité désagréable, et il y en a beaucoup, n’est bonne à dire. Les Soviétiques doivent donc tenir des propos les plus anodins possibles, ou mieux encore, se taire.
Dans le cas présent, ce déni officiel des réalités empêche de poursuivre un assassin en série, violeur et tueur d’enfants. Dans une société bourgeoise, de tels crimes seraient envisageables ; pas dans le « paradis socialiste ». On comptabilise donc les petites victimes d’accident de la circulation, de loups, etc. Des policiers consciencieux se révoltent malgré tout contre cette folie, objectivement complice du meurtrier. Il y a là cependant une faiblesse scénaristique : celle de l’idée du courageux agent déchu du MVD qui lutte victorieusement contre ses propres anciens collègues, contre tout un système. Ca ne tient pas et il aurait été très rapidement éliminé. Ce monde du mensonge rappelle quelque peu notre France socialiste, certes pas encore exactement stalinienne, mais le mensonge semble le point commun à tous les socialismes, avec toutes ces vérités que l’on ne peut pas dire.
Enfant 44 dresse un tableau réaliste de l’URSS
Le film intéresse surtout par le réalisme de son tableau de l’URSS, son absence de complaisance. Le génocide ukrainien est aussi mentionné explicitement à plusieurs reprises, et joue un rôle dans l’intrigue. Le portrait psychologique du héros est également intéressant : orphelin ukrainien recueilli par un officier de l’Armée Rouge, lui-même officier de la police politique, il accompli son rôle odieux, un temps consciencieusement, avec un mélange d’aveuglement volontaire et de lâcheté. Ainsi doit-il poursuivre un vétérinaire suspecté de participer à un grand complot contre l’URSS et lié à l’ambassade britannique à Moscou, absurdité manifeste en 1952. Et pourtant il le fait… Les scrupules viennent quand il lui est ordonné de dénoncer sa femme… La chose, a priori énorme, est arrivée historiquement au ministre Molotov, qui s’exécuta. Bien plus que l’intrigue policière, c’est donc la fresque de l’URSS, exceptionnelle, juste, qui passionne de bout en bout dans Enfant 44. Les limites de la déstalinisation sont aussi montrées. Le discours idéologique, toujours présent, est à peine moins absurde : si un tueur d’enfants existe en définitive, il ne peut alors s’agir que d’un ancien agent hitlérien infiltré…