Corée du sud : la loi sur la protection de l’enfant est le cauchemar des enseignants

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La Corée du Sud n’a pas seulement la natalité la plus faible du monde, et le taux de suicide le plus élevé de l’OCDE, elle vit aussi un vrai cauchemar scolaire, auprès duquel notre Education nationale semble presque en bonne santé. 200.000 enseignants à bout de nerfs viennent de manifester contre la loi sur la protection de l’enfant de 2014, dont le flou juridique transforme les bonnes intentions en enfer de tous les jours, leur ôtant toute autorité sur des enfants qui en profitent et sur des parents qui se livrent parfois au chantage. Ils réclament une protection de la part du gouvernement.

 

L’enfant et le suicide, deux problèmes de la Corée du Sud

Les statistiques sont formelles et convergentes. 23,6 % des enseignants de Corée du Sud seulement sont satisfait de leur métier. Un plus bas jamais atteint. Cent professeurs et maîtres de l’enseignement public se sont suicidé de janvier 2018 à juin 2023, surtout dans le primaire. C’est d’ailleurs le suicide d’une toute jeune maîtresse d’école, dont le journal intime révèle un stress incroyable, qui a déclenché le mouvement de protestation. Le témoignage de ses pairs confirme. Tel enseignant de moins de trente ans a vu ses cheveux grisonner. D’autres font de la tachycardie, ou maigrissent, pleurent sans raison, sont terrifiés dès que leur téléphone reçoit un appel de parent d’élève. De plus en plus s’adressent à des psys. Un vrai cauchemar pour tous.

 

Les enseignants ont besoin de protection contre les enfants

Selon le professeur Jong-Woo, du département de psychiatrie à l’Université de Kyung Hi, la raison serait peut-être à chercher du côté des élèves, dont la santé mentale a empiré pendant le COVID-19, et il recommande de soutenir les enseignants « pour éviter qu’ils ne tombent dans le désespoir ». Il faut dire que les témoignages de ceux-ci sont horribles et les montre totalement impuissants dans leur salle de classe. Mme Lee s’occupe depuis six ans d’enfants à problèmes et l’un d’entre eux a souvent un comportement violent : « Il me bat et me mord, il m’a cassé mes lunettes une fois. J’ai peur quoi que je fasse, même dire à l’élève d’arrêter peut être considéré comme illégal. » Et chaque matin elle doit sourire à cet enfant qui lui a griffé le visage un jour au sang, « sans rien pouvoir faire d’autre que m’enfuir ».

 

Le terrible flou de la loi sur la protection des enfants

A quoi tient cette situation aussi terrible que rocambolesque, qu’on croirait inventée si d’autres témoignages analogues ne la confirmaient ? D’une part, peut-être, au stress engendré par une compétition scolaire féroce, de la maternelle au diplôme universitaire qui donnera à son détenteur une place au soleil. Mais surtout à la loi de 2014 sur la protection et le bienêtre des enfants dont les termes généraux disposent que « nuire à la santé des enfants ou à leur bien-être, ou commettre sur eux des actes physiques, mentaux, ou de la violence sexuelle ou des actes cruels » est constitutif du crime d’abus sur enfant. A partir de ce texte vague, des enfants manipulateurs et des parents agressifs s’en donnent à cœur joie, car un enseignant accusé d’abus sur enfant est automatiquement suspendu et peut-être traduit en justice.

 

Le cauchemar : quand les parents font chanter les enseignants

« Nous avons peur d’être poursuivi par à peu près tout ce que nous faisons, qui peut être considéré comme un abus sur enfant ». Les exemples abondent, tous plus loufoques les uns que les autres. Faire un compliment à un enfant peut être abusif pour les autres. Réveiller un enfant qui dort revient à violer son droit au repos. « Parler sévèrement de discipline » est pris pour un « abus émotionnel ». Au bout du compte, l’enseignant n’est plus capable de reprendre un enfant pour ses inconduites. Ils ont trop peur des parents, selon Mme Lee : « Quelques parents utilisent cette loi pour faire chanter les enseignants et malheureusement cela marche, des professeurs innocents perdent leur emploi. Les salles de classe sont devenues des tribunaux pour nous autres enseignants. Et nous sommes toujours coupables. »

 

La promotion des droits de l’enfants : une subversion

Après plusieurs semaines de protestation, le gouvernement a promis d’agir pour modifier la loi. Lee Ju-ho, le ministre de l’Education nationale, veut rétablir l’autorité et « les droits des enseignants ». Mais ces derniers attendent des actes. Ils n’ont plus confiance. Si la situation ne change pas radicalement, beaucoup songent à se reconvertir, plutôt que d’avoir à se suicider. Le ministère s’avise trop tard de la nature du mal : à l’origine se trouve la promotion des droits de l’enfant, qui, sous un prétexte de bonne volonté, la défense des plus petits, est une entreprise consciente et organisée de subversion de l’autorité et rend la transmission paisible des savoirs dans un système éducatif hiérarchisé impossible.

 

Pauline Mille