Ces juges qui ont résisté à l’arrêt de la CEDH sur Vincent Lambert… face au mur de la politique d’euthanasie

Ces juges qui ont résisté à l’arrêt de la CEDH sur Vincent Lambert… face au mur de la politique d’euthanasie
 
C’est à juste titre que de nombreux mouvements pro-vie ont salué « l’opinion en partie dissidente » de cinq juges de la Cour européenne des droits de l’homme qui ont dit, en mots simples et clairs, leur désaccord avec l’arrêt de la Grande Chambre de la CEDH de justifier la décision de cesser de nourrir et d’alimenter Vincent Lambert, afin qu’il meure. Les juges Hjiyev, Šikuta, Tsotsoria, De Gaetano et Griҭco ont affirmé leur manière de voir en termes sans ambiguïté, soulignant que Vincent Lambert est « vivant » et que le priver de nourriture sous prétexte qu’il n’aurait pas voulu vivre ainsi équivaudrait à l’« affamer jusqu’à la mort ». Couchée en termes particulièrement vifs – même dans le cadre de l’exercice fréquent de la rédaction d’une « opinion dissidente » – la déclaration des juges en devient une mise en cause de l’institution de la CEDH elle-même. Si elle se veut protectrice des droits de l’homme, elle s’est, en somme, déconsidérée dans l’affaire Lambert. Mais dans cette dramatique procédure, avec ses coups de théâtres et les forces qu’elle a mises en mouvements, c’est bien une politique qui se joue : celle de l’euthanasie. Les cinq juges « dissidents » – comme le qualificatif est exact ! – n’avaient aucune chance face à ce mur.
 

Un arrêt de mort ?

 
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. C’est le juge maltais De Gaetano qui, lors de l’audience du 7 janvier dernier, avait été chargé par ses pairs de poser les questions aux deux « camps » qui s’affrontent autour de Vincent Lambert et au représentant du gouvernement français. On devine qu’il a porté les objections de ses pairs au vu du dossier : pour les douze autres, l’affaire était-elle déjà bouclée ? Il avait demandé de quel droit Vincent était maintenu dans l’hôpital de Reims, et ce qui légalement s’opposait à son transfert (« Rien », avait répondu Me Paillot). Il s’était interrogé sur la nature de l’alimentation et de l’hydratation en droit français : soin ou traitement ? Toutes ses questions montraient l’inquiétude devant une situation où un homme fragile se trouve prisonnier d’un débat dont le dénouement peut le précipiter vers la mort.
 

Cinq juges posent l’affaire Vincent Lambert en termes de respect de la vie

 
Alors, les cinq juges rétorquent avec vigueur, parfois avec ironie, aux douze autres qui ont suivi le gouvernement français en les accusant de « couper les cheveux les plus fins en quatre » pour parvenir à justifier la mise à mort par privation de nourriture et d’eau sur la base d’« affirmations contestables » quant à sa volonté ; alors qu’il est « dans l’incapacité de communiquer ses souhaits quant à son état actuel ».
 
Ils dénoncent le fait que les parents de Vincent Lambert, Pierre et Viviane Lambert, aient été irrecevables à demander qu’il soit bien traité : et d’abord en n’étant pas « affamé à mort »… Ils demandent pourquoi il n’est pas transféré dans une unité spécialisée où l’on s’occuperait de lui.
 
Ils notent que Vincent Lambert n’est pas « en fin de vie ». Ils observent – c’est important – que Vincent Lambert n’étant pas en phase terminale d’une maladie, il importe peu que l’alimentation et l’hydratation soient considérées comme des soins ou des traitements (traitements qu’il peut être légitime d’interrompre) ; elles sont dans le cas présent un « moyen ordinaire de maintien de la vie qui doit en principe être poursuivi ». C’est parce que Vincent Lambert est en vie, qu’il a une « dignité humaine fondamentale » que les Etats n’ont pas le droit de contrevenir aux « valeurs qui sous-tendent la Convention » : l’obligation de préserver la vie.
 

Les juges ont résisté à la CEDH, mais celle-ci n’en est pas à sa première décision scandaleuse

 
Mais au passage ils ajoutent que dans le cas des embryons conçus in vitro il peut y avoir a contrario un doute sur l’existence ou non d’une vie humaine. Ces cinq juges reconnaissent aussi dans une certaine mesure la légitimité de la reconnaissance de l’« autonomie » du patient qui doit donc, en somme, avoir le droit de se laisser mourir de faim et de soif.
 
C’est toute l’ambiguïté d’une institution comme la CEDH qui n’en est pas à sa première décision scandaleuse : il y en a eu d’autres en matière de suicide assisté, d’alignement des droits des couples homosexuels sur ceux des couples composés d’un homme et d’une femme ; il y a eu des décisions en matière d’avortement qui ont servi à promouvoir cet acte dans les Etats parties à la convention qui l’interdisaient encore absolument, comme l’Irlande.
 
En ce sens, même si l’on applaudit des deux mains l’affirmation finale des juges dissidents selon laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a « perdu le droit de porter le titre » de Conscience de l’Europe, on peut dire qu’elle ne l’a pas perdue avec l’affaire Vincent Lambert. C’était déjà fait, depuis longtemps. C’était même inéluctable, étant donné que le fondement purement horizontal donné à la Convention européenne des droits de l’homme met en balance certains droits contre d’autres, ce qui permet au bout du compte de justifier de nombreuses transgressions.
 

La politique d’euthanasie, au cœur de l’affaire Vincent Lambert

 
La transgression, en l’espèce, que les juges européens n’ont pas davantage voulu voir que le gouvernement français, est celle de l’euthanasie, fût-elle lente. Il s’agit même d’un escamotage. Cet escamotage était déjà totalement présent dans la loi Leonetti qui est à la racine de l’affaire Vincent Lambert puisque le texte avait pour objectif de permettre ce type de mise à mort en dehors des situations de fin de vie.
 
Si le devoir de protéger la vie de Vincent Lambert avait été affirmée par la CEDH, la loi Leonetti de 2005 aurait été révélée comme loi d’euthanasie. Et la prochaine loi, en cours d’adoption, encore davantage. Politiquement impossible… Dans cette affaire les juges européens ont certainement voulu éviter d’aller contre le sens de l’histoire. Ils l’ont fait en abondant dans le sens d’une volonté prétendue de Vincent Lambert, justement parce que cela permet d’occulter les questions morales qui se posaient à eux – et qui se posent toujours, quoi qu’ils veuillent.
 

Anne Dolhein