Mercredi, l’État Islamique a attaqué l’Égypte par le Sinaï. Deux jours après l’assassinat du Procureur général au Caire, ce nouvel épisode meurtrier prend l’allure d’une déclaration de guerre. Depuis la destitution du président Mohammed Morsi, le 3 juillet 2013, la contestation islamiste du nouveau pouvoir, incarnée par les Frères musulmans, fait planer des menaces et surgir les attentats terroristes. La grande répression méthodiquement organisée par le président et ancien général Al-Sissi n’a pas vaincu les mouvances radicales. Elle se confrontera désormais à un double adversaire dont il est à craindre qu’ils ne fassent un jour plus qu’un. Israël est au premier rang de ce spectacle forcé et se met sérieusement à craindre pour ses frontières.
La guerre de l’État Islamique au Sinaï
L’EI est passé des guérillas à la guerre ouverte contre le gouvernement égyptien, c’est-à-dire contre les plus grandes forces armées de toute l’Afrique : c’est dire sa confiance et sa ténacité. Mercredi, il a opéré dans le Sinaï une série d’attaques coordonnées contre une quinzaine de barrages militaires, utilisant notamment des voitures piégées et s’offrant les services de trois kamikazes. Combattants, armements, tout était renforcé. Même si les djihadistes ont battu en retraite après huit heures de combats, au moins 70 soldats et civils ont été tués.
Le choix du Sinaï est stratégique. D’abord, parce qu’il accueille depuis des années les groupes djihadistes qui profitent de son climat d’opposition envers le gouvernement : la population bédouine majoritaire, ayant été largement discriminée pendant le régime de Moubarak, se méfie tout autant d’Al-Sissi et ne rechignerait d’ailleurs pas, pour une portion, à rejoindre les rangs de l’EI. D’autre part, le Sinaï est une région touristique importante, donc synonyme de richesses, qui abrite surtout le canal de Suez, toute première rente de l’État…
Des Frères Musulmans radicalisés rejoignent l’EI
Cette offensive suit l’attentat qui a visé lundi matin au Caire le convoi du procureur général, Hicham Barakat. Si l’EI ne l’a pas encore revendiqué, il avait effectivement appelé, le 21 mai dernier, à s’attaquer aux juges, en réponse aux pendaisons d’islamistes. Il s’agit là du plus haut représentant de l’État tué depuis l’arrivée au pouvoir d’Al-Sissi.
Mercredi, une vingtaine de membres présumés d’un groupe radical ont été arrêtés, le gouvernement accusant les Frère musulmans. La différence entre l’EI et ces derniers s’amenuisent. Les Frères musulmans prétendent leur contestation pacifique, mais la puissante répression dont ils ont été l’objet (41.000 opposants condamnés, des centaines de pendus) a fait s’armer plusieurs de leurs groupes. De plus en plus d’extrémistes rejoignent ainsi le djihadisme global.
L’attaque du Sinaï a été, par exemple, revendiquée par un groupe, rebaptisé « Province du Sinaï » pour marquer son allégeance au « califat » de l’EI : il affirmait en même temps agir en représailles à la sanglante répression subie par les pro-Morsi. Même si les djihadistes de l’EI ne cachent pas leurs divergences idéologiques et stratégiques avec ces Frères « hérétiques », leur but est en partie le même, leur alliance opportune.
Israël, visée, pense à ses frontières
L’attaque du Sinaï a aussi une portée éminemment symbolique en tant qu’il est frontalier d’Israël. Israël, qui a fermé immédiatement ses points de passage et renforcé son dispositif militaire… Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a adressé ses condoléances à l’Égypte en estimant que cette attaque démontre que « l’État juif est encerclé par les islamistes radicaux ». L’offensive contre la frontière israélienne est proche. Elle a d’ailleurs été annoncée par l’État Islamique lui-même, dans une vidéo postée mardi : « Nous allons déraciner l’état des Juifs »… « De fait, les combats qui font rage dans le Sinaï ont franchi la ligne qui sépare la lutte contre des ‘cellules terroristes’ d’une guerre à part entière » écrit un journal israélien.
Cette menace prégnante enjoint Le Caire et Tel-Aviv à coopérer, en particulier dans le domaine du renseignement où Israël surpasse nettement son voisin. Et surtout, selon une source proche des autorités égyptiennes, « si l’État islamique venait à s’approcher de Gaza, le président Al-Sissi pourrait ‘inviter’ l’armée israélienne à agir »… Car « la responsabilité de Gaza incombe à Israël ».
De même qu’il a choisi d’accueillir dans ses hôpitaux des rebelles syriens, sans chercher à savoir s’ils étaient « modérés » ou pas, en ordonnant en contre-partie aux terroristes de en pas toucher à ses frontières, Israël fera tout avec l’Égypte pour éviter l’embrasement que l’EI lui a promis. Comme il l’a promis au Hamas… Dans la même vidéo de mardi, l’EI a menacé de renverser le pouvoir du Hamas à Gaza pour le remplacer par un “véritable” régime islamiste : il l’accuse de réprimer les groupes salafistes et de ne pas imposer la charia.
Égypte : Al Sissi durcit le ton
La réaction égyptienne est dans le ton des deux années écoulées. Al-Sissi a promis, lundi, une législation renforcée pour « lutter contre le terrorisme ». Dès mercredi, le gouvernement approuvait une nouvelle loi qui prévoit notamment « des procédures pour assécher les sources de financement du terrorisme », durcira et accélérera les condamnations pour « offrir une justice rapide et venger nos martyrs ».
Il sait l’étau qui commence à enserrer le pays, pris entre la Libye et le Sinaï, désormais tous deux infestés par les forces de l’EI. « L’Égypte est comme un sandwich », a déclaré le Père Rafic, porte-parole pour l’Église catholique : il faut lutter contre le terrorisme, mais le fait est qu’« il y a des organisations internationales et des services de renseignement qui ne veulent pas la stabilité »…
Si l’armée égyptienne annonçait mercredi soir « contrôler à 100% » la situation dans le nord du Sinaï, si la Maison Blanche a assuré l’Égypte de sa complète assistance, et si la Ligue Arabe a pressé la communauté internationale de « soutenir les efforts du gouvernement égyptien » face à la menace, les inquiétudes paraissent bien légitimes dans ce Moyen-Orient qui s’oriente vers un éclatement religieux et régional – programmé ?