C’est une majorité sans appel qui croit avoir bien lu les signes permettant de prévoir l’action de la Banque fédérale américaine dans un avenir proche : 82 % d’un panel d’économistes sondés par le Wall Street Journal s’attendent à ce qu’elle remonte ses taux d’intérêts, mettant fin à une longue période d’argent facile qui a fortement bénéficié aux Etats-Unis. Parmi les sceptiques, ils sont tout de même 13 % à penser que la baisse des taux par la Fed interviendra avant la fin de l’année, en décembre. Pour le magazine Fortune, c’est « la fin d’une époque ».
C’est en décembre 2008 que la Fed avait fait chuter les taux d’intérêt sur les fonds fédéraux à une valeur quasi nulle : réponse à la crise financière qui secouait les Etats-Unis et le monde, il s’agissait d’encourager l’investissement et l’emprunt d’entreprise pour relancer une économie marquée par une récession comparable à celle de la Grande Dépression de 1929.
Le but affiché par la Fed est aujourd’hui de contenir l’inflation aux alentours de 2 % (et le chômage aux alentours de 5,5 %) : une action rapide est à prévoir, s’il faut en croire les économistes, parce que l’augmentation moyenne des salaires aux Etats-Unis annonce celle de l’inflation, qui, prétend-on sans le justifier, serait dans cette dynamique plus difficile à contrôler.
La Fed remontera ses taux d’intérêt en septembre ou décembre, au détriment de l’économie américaine
Janet Yellen l’a annoncé clairement en juillet : la remontée des taux aura lieu avant la fin de l’année même s’« il y a des risques pour le rétablissement (économique) à resserrer trop vite », a expliqué la présidente de la Fed à la commission bancaire du Sénat. D’où la longue attente, et la décision d’y aller précautionneusement et graduellement.
Il n’empêche. C’est bien la Fed qui s’arroge le droit de faire la pluie et le beau temps sur l’économie américaine, elle assume ce rôle sans complexes et affirme jouer à la fois sur l’inflation et l’emploi. Le discours gouvernemental parle d’une période d’amélioration de l’économie américaine, qui autoriserait donc ce resserrement annoncé par la Banque fédérale. Mais ce n’est qu’un discours.
Et les projets de la Fed sont en train de se concrétiser précisément au moment où la Chine dévalue sa monnaie, au détriment des Etats-Unis, en vue de regonfler ses exportations. La remontée des intérêts annoncée par la banque centrale américaine aura à l’inverse pour effet de remonter le taux du dollar, devenu plus attractif : voilà qui aggravera potentiellement l’effet sur l’industrie américaine et les exportations des Etats-Unis. Jouer sur l’affirmation de la bonne santé de l’économie risque de s’avérer dangereux.
82 % des économistes prévoient la remontée des taux, mais “Fortune” ne souligne pas l’existence de la manipulation de l’économie mondiale
Mais est-ce un jeu, voire un pari ? Rien n’est moins sûr. Les banques centrales connaissent bien l’effet de ces jeux monétaires et peuvent les manipuler à leur gré. C’est ce qui semble bien se passer ces jours-ci avec les manœuvres chinoises qui ne font nullement changer le discours de la Fed, chose que les économistes du sondage du Wall Street Journal ont bien intégrée.
Pendant ce temps, la Banque centrale européenne continue son « quantitative easing » au profit de l’Union européenne : au moment où les Etats-Unis se préparent à subir de plus fortes contraintes sur leur économie, l’Europe « s’offre » un assouplissement qui a pour but de booster la sienne.
Si l’on considère que les banques centrales du monde détiennent un pouvoir sur la monnaie en dehors de tout contrôle souverain (hormis la Banque centrale de Chine), qu’elles se réunissent fréquemment pour coordonner leurs politiques et qu’elles prennent des décisions d’un tel impact qu’aucun gouvernement ne pourrait les envisager, comment ne pas imaginer que cela est concerté ? On a vu l’économie européenne ralentir de manière dramatique tandis que les Etats-Unis bénéficiaient des décisions de leur Fed, sans que cela ne crée de conflits ni de problèmes entre les responsables politiques des deux blocs.
L’affaire montre à tout le moins la toute-puissance des banques centrales qui semblent jouer sur les économies régionales en évitant de prendre le risque d’une dégringolade trop généralisée parmi les économies développées qui secouerait le monde entier. Tout se passe comme si la décision de ralentir les Etats-Unis a été prise, après avoir longtemps freiné l’Europe qui peut maintenant être relancée sans ralentir la Chine – grande bénéficiaire de l’ensemble des opérations jusqu’ici face au monde occidental.
Reparler aussi tranquillement que Fortune de la hausse des taux américains au moment précis où l’économie mondiale est secouée par la dévaluation chinoise signe par ailleurs la domination des banques centrales et l’inflexible volonté de ralentir le monde occidental. Il n’y a pas de doute : les élites financières et politiques reçoivent le message cinq sur cinq.