Ce qui ressort des commentaires sur le discours du pape François au Congrès des Etats-Unis tient en quelques mots : l’approbation et les applaudissements de la salle, bondée, qui multiplia les ovations debout, et la divergence extrême des avis sur les choix et les omissions du Souverain Pontife. Ce qui domine, tout de même, c’est l’idée d’un « pape rouge » (comme le dit The Guardian, journal de gauche), même si d’aucuns y voient un moyen de bousculer et de séduire la gauche en lui montrant qu’elle devrait être « pro-vie » face à l’unique préoccupation d’enrichissement individuel de la droite libérale. Comme souvent avec le pape François, l’analyse peut aller dans toutes les directions.
Le discours intégral du pape est disponible en français ici.
Mais ces mots que je viens d’écrire sont ceux de catégories caricaturales. Et trompeuses. La gauche, avec son option préférentielle pour les travailleurs, les exclus, l’étranger, détruit le travail, favorise la culture de mort, accélère la disparition des frontières et des inégalités naturelles et protectrices. Le capitalisme, avec ses abus, n’en est pas moins le cadre des libertés concrètes. Toutes deux pèchent par matérialisme : or ce qui aura le plus manqué dans le discours du pape, ce n’est pas tant la référence à tel ou tel combat provie, encore qu’il ait déçu les nombreux et courageux défenseurs de toute vie innocente aux Etats-Unis, qu’une mise en perspective et en ordre des raisons des engagements catholiques, au nom de Jésus-Christ.
François, premier pape à faire un discours au Congrès
Cela ne veut pas dire qu’il ait tenu un discours sans profondeur et sans vérité. Le pape a rappelé aux élus américains quelle est leur tâche : « Vous êtes chargés de protéger, à travers la loi, l’image et la ressemblance de Dieu façonnées en chaque visage humain. »
Mais les opinions très contrastées sur ce discours sont une nouvelle fois témoins de la confusion que le pape François ne semble pas vouloir lever. On peut dire sans exagérer cependant que la gauche et le monde laïque ont été plus sensibles au ton que les catholiques – même si John Boehner, président de la Chambre des représentants, a essuyé moult larmes, avant et pendant la visite pontificale entre ses murs. Il est vrai qu’il vient d’annoncer sa démission du Congrès, au 30 octobre, pour le bien de l’institution et du parti républicain…
Qu’attendaient les catholiques américains les plus traditionnels ? Ce qu’ils ont eu, un peu, grâce à la visite impromptue du pape aux Petites Sœurs des Pauvres qui mènent une courageuse bataille judiciaire contre l’Obamacare qui les oblige à financer la contraception pour leurs employés. Mais dans un pays qui compte des centaines de milliers d’avortements par an, où le scandale du Planning familial a révélé un mépris de l’être humain digne de l’ère nazie, où le relativisme s’impose contre toute vérité et toute morale stable, les silences du pape au Congrès ont été perçus comme des abandons par beaucoup.
Les choix du pape François : pourfendre le fondamentalisme, promouvoir le dialogue
On en entendu le pape François dénoncer le « fondamentalisme » : « Nous savons qu’aucune religion n’est exempte de formes d’illusion individuelle ou d’extrémisme idéologique ». Il a plaidé contre une division du monde entre bons et méchants : « Il y a une autre tentation dont nous devons spécialement nous prémunir : le réductionnisme simpliste qui voit seulement le bien ou le mal ; ou, si vous voulez, les justes et les pécheurs. (…) Imiter la haine et la violence des tyrans et des meurtriers est la meilleure façon de prendre leur place. »
Y avait-il là une critique des interventions des Etats-Unis dans le monde, et particulièrement au Proche-Orient ? C’est possible. Ou peut-être pas. On sait seulement que si le pape n’a pas parlé de manière plus directe à ce sujet ce n’est pas pour des raisons diplomatiques, comme nous le verrons plus loin.
C’est dans une pleine adhésion à la politique d’Obama que le pape « Latino » a plaidé pour l’accueil de tous les immigrés. « Nous ne devons pas reculer devant leur nombre, mais plutôt les voir comme des personnes, en regardant leurs visages et en écoutant leurs histoires, en essayant de répondre le mieux possible à leur situation, de répondre d’une manière toujours humaine, juste et fraternelle. »
Une fois de plus, il semble y avoir confusion : entre le devoir de chaque homme de souvenir toujours de la « Règle d’Or : “Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour les autres aussi” (Mt 7, 12) » et le devoir humain et politique de préserver le bien commun de la famille, du groupe, de la société, de la nation. Encore que le pape propose de semer la « sécurité », la « vie », les « opportunités » : la tâche propre de l’Occident chrétien à l’égard des peuples qui ne connaissent pas Jésus-Christ ? Ce n’est pas dit.
Omissions : le pape a bien davantage parlé de la peine de mort que de l’avortement
A ce moment clef du discours, le pape François a déclaré : « La Règle d’Or nous rappelle aussi notre responsabilité de protéger et de défendre la vie humaine à chaque étape de son développement. » Applaudissements à droite, airs gênés à gauche… Mais la conclusion qu’il en a tirée sans transition a jeté une sorte de froid parmi ceux qui s’attendaient à la dénonciation des crimes contre les innocents :
« Cette conviction m’a conduit, depuis le début de mon ministère, à défendre, à différents niveaux, la cause de l’abolition totale de la peine de mort. Je suis convaincu que ce chemin est le meilleur, puisque chaque vie est sacrée, chaque personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable, et la société ne peut que bénéficier de la réhabilitation de ceux qui sont reconnus coupables de crimes. Récemment, mes frères Evêques, ici aux Etats-Unis, ont renouvelé leur appel pour l’abolition de la peine de mort. Non seulement je les soutiens, mais aussi j’apporte mes encouragements à tous ceux qui sont convaincus qu’une juste et nécessaire punition ne doit jamais exclure la dimension de l’espérance et l’objectif de la réhabilitation. »
Habileté de judoka, qui prend les partisans de l’avortement au mot et leur fait comprendre qu’ils ne peuvent plaider pour la vie du coupable sans rien faire pour celle de l’enfant à naître ou du vieillard sans défense ? Les plus bienveillants l’affirment. Le propos confirme en tout cas que le pape ne comptait pas se soumettre aux exigences de la fine diplomatie qui interdit d’appeler les choses par leur nom.
Les catholiques américains attendaient beaucoup du discours au Congrès
Ou était-ce une manière de répéter ce qu’il a dit au début de son pontificat au P. Spadaro : « Nous ne pouvons pas insister sur les seuls problèmes liés à l’avortement, au mariage gay, à l’utilisation de contraceptifs » ? Comme si c’étaient là des thèmes souvent entendus dans les paroisses… En parlant le plus de la peine de mort dans le contexte du respect de la vie, le pape a-t-il voulu signifier aux catholiques rigoureux (fondamentalistes, peut-être ?) qu’ils doivent s’engager sur d’autres terrains ? Cela lui ressemblerait, et c’est ainsi que les médias de gauche l’ont compris.
Reste la réalité de la situation. Celle d’un massacre d’innocents massif, légal, sans précédent. Qu’eût-on dit si Pie XII, reçu avec les honneurs dans l’Allemagne nazie, se fût retourné contre ses hôtes en leur donnant une leçon de choses du genre : « Traitez mieux les criminels dans vos prisons », alors que les camps d’extermination tournaient à bloc ?
Le pape François passa rapidement à autre chose : la défense de l’environnement, la lutte contre les « effets les plus graves de la détérioration environnementale causée par l’activité humaine ». Citant largement Laudato si’, il s’est attardé sur l’un des sujets-pivot de sa visite aux Etats-Unis. C’était à prévoir. En passant, il a dénoncé le « commerce des armes ».
Sur les quatre figures américaines qui ont servi de trame au discours du pape François devant le Congrès, il y aurait beaucoup à dire. Les noms d’Abraham Lincoln et de Martin Luther King ne pouvaient que faire vibrer l’assemblée devant laquelle il s’exprimait. Ceux de Thomas Merton, le converti devenu moine, est certainement moins connu de l’Américain moyen ; quant à Dorothy Day, son histoire de militante de la cause ouvrière passée par toutes sortes d’illusions malsaines avant sa conversion la rend pour le moins controversée.
Le pape François présente une analyse succincte d’une figure controversée : Dorothy Day
Elle qui a rompu avec le marxisme pour devenir très proche du distributisme à la manière de Chesterton (qui était favorable au capitalisme pourvu qu’il y eût beaucoup de capitalistes !), elle qui a embrassé toutes les vérités de la foi en même temps qu’elle a fondé le Mouvement des Travailleurs catholiques est au cœur de beaucoup de malentendus. La presse voit en elle une égérie gauchiste, à tort. Les commentaires du pape François sur Dorothy Day sont passés à côté de ces questions.
De Thomas Merton, l’admirable converti qui a raconté son chemin vers Dieu dans La nuit privée d’étoiles, le pape en a dit un peu plus, saluant en lui le contemplatif et l’homme de prière – mais aussi et peut-être surtout ce qui fut la passion de ses dernières années, le dialogue interreligieux : « un penseur qui a défié les certitudes de son temps et ouvert de nouveaux horizons pour les âmes et pour l’Eglise », dit le pape.
Pour conclure, il a parlé de la famille, « menacée, peut-être comme jamais auparavant, de l’intérieur comme de l’extérieur » : « Les relations fondamentales sont en train d’être remises en cause, comme l’est la base même du mariage et de la famille. Je peux seulement rappeler l’importance et, par-dessus tout, la richesse et la beauté de la vie familiale. »
C’est beaucoup et c’est peu. Le discours est resté à bien des égards laïque, sociologique – de l’avis même des médias. Et bien des catholiques américains sont restés sur leur faim.