L’essai est court – mais remarquablement efficace. Le très bon Fils de la Veuve paru en 1990, puis en 2002, en déroulait déjà les prémisses. Les origines occultistes de la franc-maçonnerie en achèvent aujourd’hui le complet cheminement, dans un travail fiable et documenté. La franc-maçonnerie est bien une religion héritière des cultes à mystère de l’Antiquité ; et c’est par l’étude de leur symbolique, souvent d’abord hermétique, et de sa signification profonde, que l’on peut en déduire les finalités modernes. A mesure des découvertes explicatives de Jean-Claude Lozac’hmeur, c’est tout le mondialisme actuel qui se dessine et les contours d’une « religion d’État ».
De l’Alchimie à la Rose-Croix, en passant par la Kabbale, la certitude s’installe : « Malgré leurs différences apparentes, l’objectif de ces traditions occultistes est le même : l’instauration d’un État mondial unifié dans lequel l’Homme sera devenu dieu par le développement des sciences et des techniques. »
Les recherches de Jean-Claude Lozac’hmeur
Pour Jean-Claude Lozac’hmeur, le symbolisme n’est plus un obstacle, mais un puissant révélateur. Sa fouille est méthodique – et ce « petit » livre, le fruit de moult années de travail. Plongé dans l’hébreu biblique et sa variante kabbalistique, il a étudié, à travers la Gnose transhistorique, sept de ses composantes essentielles : le Compagnonnage, le culte d’Osiris, le culte de Mithra, l’Alchimie, la Rose-Croix, la Kabbale et le Néoplatonisme, inspirateur de cette dernière.
Il s’appuie sur bon nombre de spécialistes, de témoins-auteurs maçons comme Jules Boucher ou ésotériques comme René Guénon. L’affaire est entendue de tous : la franc-maçonnerie est « l’avatar moderne d’une antique religion à mystères dont on trouve des vestiges dans la plupart des civilisations ».
Le « combat de la Cité terrestre contre la Cité céleste » (Saint Augustin)
Beaucoup des mythes originels ancestraux témoignent, dans un étrange unisson, de l’existence d’« une religion primitive diamétralement opposée à la tradition biblique ».
Contes et récits nous rapportent l’image récurrente d’un dieu civilisateur, allié à « la Connaissance », qui se trouve victime d’un meurtre – et qu’il faut venger. Face à ce « dieu ami des hommes », se trouve bien sûr un dieu mauvais, un tyran, qui n’est autre que le Dieu de la Bible… C’est Lui qu’il faut éradiquer. Ce dualisme fondamental se perpétue à toutes les époques, dans toutes les civilisations, et prouve bien par là l’existence d’une Gnose transhistorique.
Les origines occultistes de la franc-maçonnerie
Gnose à laquelle se rattache, très visiblement, la franc-maçonnerie… Des nombreuses traditions occultistes auxquelles elle se greffe, elle a retenu divers éléments. Au Compagnonnage, né dans les corporations ouvrières de la Maçonnerie Opérative à la fin du XVIe siècle, elle a emprunté une partie de son vocabulaire – dont le mot « loge ». Du culte de Mythra, on retrouve les degrés, les épreuves dans l’initiation.
L’Alchimie mystique l’a aussi durablement influencée : un document codé du Traité de l’Azoth écrit par l’alchimiste Basile Valentin, illustre le « Rebis », personnage d’apparence humaine à deux têtes, masculine et féminine, tenant dans chacune de ses mains, le compas et l’équerre, « symboles de la science dont les progrès arracheront le monde à la domination du Tyran »…
« Une nouvelle forteresse à la Vérité »… mais laquelle ?
L’esprit, surtout, et le programme de ces projets occultistes éclairent sensiblement les desseins francs-maçons, comme l’ambition de connaissance démesurée, luciférienne, dont fait montre la tradition rose-crucienne… Selon le second manifeste de Valentin Andrea paru en 1615, il faut reconstruire « une nouvelle forteresse à la Vérité », étendre l’empire de l’homme. Francis Bacon et son inachevée Nouvelle Atlantide ne raconte pas autre chose. Et les encyclopédistes du XVIIIe siècle en sont les dignes fils.
Les concepts de « société totalitaire », voire « collectiviste », et surtout mondialisée, alliés à la notion de « nouveau jardin d’Eden » sont déjà tous présents. N’est-ce pas ce que les grandes instances internationales nous imposent et nous promettent chaque jour ?! Lozac’hmeur cite le tchèque Jan Amos Comenius (célébré unanimement par l’UNESCO en 1958) qui évoquait, il y a presque trois cent ans, son projet de Synarchie, un gouvernement à plusieurs qui s’étendrait au monde entier – et s’appuierait sur trois tribunaux internationaux. Une impression de déjà vu…
Les idéaux de la franc-maçonnerie n’en diffèrent en rien. Le fameux Discours de Ramsay de 1737 – sa « charte » – veut « réunir dans une seule fraternité les sujets de toutes les nations… pour former un peuple nouveau qui, en tenant de plusieurs nations, les cimentera par les liens de la vertu et de la science ».
Le mondialisme à l’œuvre : « une religion d’État »
On s’étonnera d’abord que les « chrétiens » ne soient pas évacués et rentrent, le plus souvent, dans le « projet » de ces traditions occultistes.
Mais de quelle chrétienté parle-t-on ?! Non pas de celle, héritée du Moyen-Age, qui doit être détruite, mais d’une autre chrétienté, renouvelée dans une belle eau œcuménique d’où pourra surgir un catholicisme réformé, capable de renoncer à ses dogmes et à sa morale pour revenir aux cultes ancestraux. Car pour Guillaume Postel comme pour Campanella, seule l’Église romaine était « l’institution capable de convertir tous les peuples à une religion unique ».
Ainsi le rêve d’unité politique et religieuse de la planète formulé par l’hérétique interprète de la Bible, la Kabbale, nécessitera de « réformer l’Église de l’intérieur » selon les mots de Lozac’hmeur… Alors, seulement, pourra s’élever la société parfaite qu’imagine Campanella dans sa Cité du Soleil (1623), où s’épanouira la perfection de l’homme, tout occupé « à l’amélioration de sa condition naturelle, intellectuelle et sociale. »
« Ordo ab Chao » : l’ordre à partir du désordre
Aussi, le mondialisme contemporain ne serait qu’un vieux projet aux profondes racines ridées… Et la franc-maçonnerie, le moderne creuset récupérateur.
Comme l’Alchimie et la Rose-Croix, « elle a pour but ultime la divination de l’Homme par le développement des sciences et des techniques ». Comme la Rose-Croix et la Kabbale, « elle situe son action dans une conception cyclique de l’Histoire fondée sur la notion du Retour de l’âge d’or », ce fameux Progrès dont on nous rebat les oreilles. Comme la Kabbale, « elle travaille à la mise en place d’un gouvernement mondial » et d’une théocratie religieuse.
L’eugénisme, l’euthanasie, le libre partage sexuel et la disparition conséquente de la famille sont partie intégrante des anciens projets occultistes. La franc-maçonnerie n’a décidément rien inventé. Grâce à ce retour aux sources, toute sa lecture du monde s’en trouve éclairée.
Clémentine Jallais
Les origines occultistes de la franc-maçonnerie : Jean-Claude Lozac’hmeur ; éditions des Cimes, 216 p.