Chute du pétrole : le jeu de l’Arabie Saoudite contesté à l’OPEP

Chute pétrole Arabie Saoudite contesté OPEP
 
La révolte gronde à l’OPEP – Organisation des pays exportateurs de pétrole – alors que l’Arabie Saoudite continue d’inonder le marché dans l’espoir hypothétique de réduire à néant l’intérêt pour les Etats-Unis d’exploiter son gaz de schiste, et récupérer ainsi sa puissance passée. Le jeu s’avère de plus en plus dangereux alors que la chute des prix du brut a fait s’évaporer des milliards de dollars de revenus escomptés, et que l’offre américaine ne tarit pas, bien au contraire : les prix ont encore fortement baissé mercredi où le light sweet crude chutait de 1,28 dollar pour atteindre 42,93 dollars sur le New York Merctantile Exchange. L’American Petroleum Institute venait de faire état d’une hausse de plus de six millions de barils des stocks de brut aux Etats-Unis.
 
L’Algérie, fortement secouée par la chute des prix, montre des signes de nervosité. Son ancien ministre du pétrole la verrait bien suspendre sa participation à l’OPEP : Nordine Aït-Laoussine a déclaré que le moment est venu, si l’organisation n’est pas disposée à soutenir les prix pour n’être plus qu’un instrument des intérêts saoudiens. Le Venezuela et l’Equateur envoient eux aussi des SOS.
 

La chute du prix du pétrole est liée à l’offre pléthorique entretenue par l’Arabie Saoudite

 
Le prochain sommet de l’OPEP est programmé pour le 4 décembre à Vienne – au moment même de la COP21 dont l’objectif affiché est d’en finir, le plus tôt possible, avec le recours aux énergies fossiles. Mais on n’en est pas encore là et l’Arabie Saoudite peut continuer de profiter de sa position dominante au sein du cartel pour imposer ses quatre volontés, en contribuant à maintenir très haut le niveau d’offre excédentaire mondial de quelque 2 millions de barils par jour.
 
Quel est son objectif ? Profitant de la puissance démultipliée que lui donne sa position dans l’OPEP, elle semble vouloir attendre d’avoir écrasé nombre de ses concurrents avant de revenir à des prix plus élevés. Mais des analystes en vue ne voient pas le pétrole remonter à ses niveaux de 2014, soit 80 dollars le baril, avant 2020. S’il est vrai qu’ils n’avaient pas non plus su prévoir la dégringolade actuelle et durable des prix, l’opprobre « climatique » jetée sur le pétrole pourrait avoir pour effet de contraindre la demande à chuter dans un contexte de ralentissement économique recherché.
 
Mais dans le même temps, alors même que la recherche de nouveaux gisements ralentit, et que l’extraction du gaz de schiste devient financièrement moins intéressante, de nouveaux moyens, moins chers et plus efficaces, de stockage de l’énergie « renouvelable » semblent se présenter. Une équipe de l’université de Cambridge vient d’annoncer la mise au point d’une technologie qui permettra de fabriquer des batteries au lithium-oxygène à 20 % du coût actuel, et avec une densité d’énergie dix fois plus importante que celle des les actuelles lithium-ion. Un « plein » d’une voiture électrique pourrait suffire à faire près de 700 km… Est-ce la mort annoncée du moteur à combustion interne ?
 

Le jeu de l’Arabie Saoudite contesté par les autres pays de l’OPEP

 
Si c’est le cas, ce n’est pas la coercition et la taxation, style COP21, qui auront raison des énergies fossiles, mais le marché… On peut donc raisonnablement dire que le véritable objectif de la COP21 n’est pas d’obtenir des changements qui s’annoncent de toute façon probables, mais de permettre une prise en mains globale au détriment des politiques nationales.
 
L’Arabie Saoudite aurait donc intérêt à freiner sa production, réduire l’offre mondiale et laisser les prix remonter, pour en profiter tant qu’il est encore temps, dans un contexte où la chute continue des revenus met à mal les budgets nationaux de ses partenaires, mais aussi le sien. Avec un déficit budgétaire de 100 milliards de dollars par an, et des réserves par tête trois fois inférieures à celle du Koweït, du Qatar et d’Abou Dhabi, le royaume saoudien va devoir goûter à « l’austérité ». Un commandement confidentiel et « très urgent » signé du roi Salman a gelé les embauches de l’Etat, mis fin à des contrats d’achat de voiture et de propriétés immobilières et interrompu de nombreux projets. Les dépenses « sociales » généreuses devraient elle aussi être fortement réduites, au risque de créer de cette instabilité à laquelle ses voisins ont déjà été amplement exposés.
 

Les prix bas du pétrole fragilisent la lutte contre l’Etat islamique, qui en tire les bénéfices

 
Il en va de même en Irak qui avec un déficit budgétaire de 23 % par an – tant le pays dépend des revenus du pétrole – n’a guère les moyens de financer sa lutte contre l’Etat islamique qui lorgne sur ses champs pétroliers les plus importants. Helima Croft, ancienne analyste à la CIA, aujourd’hui chez RBC Capital Markets, souligne que Daech opère désormais à proximité de Bassora, une vraie menace alors que le Califat se finance largement par la vente de l’or noir… au noir. Au sud, il multiplie les attaques terroristes sur le sol saoudien : cinq attentats depuis mai dernier, dont un sur les installations pétrolières géantes d’Abqaiq qui offre la « cible » rêvée d’un impressionnant amas de pipelines, en plein territoire chiite.
 
Encore un foyer d’instabilité dans un monde qui n’en manque pas !
 

Anne Dolhein