Un documentaire comprenant de multiples interviews des « grands » de ce monde selon la Russie, depuis Julian Assange à Dominique Strauss-Kahn en passant par l’ex-président du Pakistan, Pervez Musharraf, a été diffusé dimanche par la chaîne publique Russia TV : clou du spectacle, les longs commentaires de Vladimir Poutine qui a exposé son point de vue sur « l’Ordre mondial ». Il s’agissait là du titre du programme qui a mobilisé ses réalisateurs pendant de longs mois. Plus exactement, c’était une réflexion de Poutine sur « son » Nouvel Ordre mondial, qui s’oppose à l’en croire à ce que veulent les Etats-Unis, soucieux avant tout de soumettre tout l’Occident à sa domination souveraine. La presse française en a retenu cette déclaration du président russe : « La Russie n’a pas pour objectif de recréer l’URSS. »
« Mais personne ne veut nous croire, ne veut croire que nous n’avons pas comme objectif de recréer l’Union soviétique », a soutenu Vladimir Poutine dont l’interview a été tournée jeudi, à quelques jours seulement de la diffusion du documentaire. C’est par cette méfiance qu’il explique la position des Etats européens, qu’il accuse de poursuivre la « politique d’endiguement » mise en place par les Etats-Unis contre l’Union soviétique pendant la Guerre froide.
Poutine ne veut pas recréer l’URSS, mais la Grande Russie
Il voit là la cause de la crise ukrainienne, avec la mobilisation de l’Occident contre un danger qui n’existe pas. Sputnik.news (organe contrôlé par le pouvoir russe) commente à ce propos : « Une possibilité, même hypothétique, de conjugaison des efforts dans le cadre de processus d’intégration aurait rendu la Russie et l’Ukraine plus compétitives, en leur permettant d’occuper une meilleure place dans le système international de division du travail. »
Ce système qui a conduit à la désindustrialisation et qui entretient le chômage de masse dans de nombreux pays d’Europe, la Russie de Poutine l’entérine donc sans hésiter.
C’est un évident plaidoyer pro domo auquel s’est livré Vladimir Poutine. Il s’y pose, non sans force de conviction, en chef d’Etat appelant ses homologues à retrouver leur indépendance par rapport aux Etats-Unis et à se laisser guider par leurs intérêts nationaux.
Ces intérêts devraient les pousser, sinon à « abandonner leur orientation euro-atlantique » mais au moins « à prendre part à la prise de décisions ». « Je pense que l’intérêt des pays européens, j’ai peut-être tort, mais je vais quand même leur dire autre chose, est d’unir leurs forces sur le plan économique et politique, et dans la lutte contre le terrorisme, ainsi que dans leurs efforts en vue de trouver une solution aux problèmes environnementaux et au crime organisé », a-t-il dit.
Dans le Nouvel Ordre mondial, Poutine a toute sa place
Sa propre force, assure-t-il, a été d’avoir une position claire : « Pour parler de la crise syrienne, nous travaillons aisément aussi bien avec le président Assad qu’avec les Etats-Unis… ainsi qu’avec nos amis d’Arabie Saoudite et d’autres Etats arabes. Pourquoi ? Nous ne modifions pas notre position. »
Sa démonstration de force mérite cependant un décryptage. S’il est sans doute sincère lorsqu’il affirme ne pas vouloir remettre en place l’Union soviétique – c’est une étape dépassée du marxisme-léninisme comme le montre l’exemple chinois – la sphère d’influence de la Grande Russie reste calquée sur l’ancien bloc communiste.
On notera aussi qu’il entend renforcer l’armement nucléaire de la Russie, priorité sans conteste dans ce pays durement frappé pourtant par sa désindustrialisation et la chute des prix du pétrole. Poutine a notamment déclaré que la Russie va déployer de nouvelles armes de frappe capables d’outrepasser les systèmes antibalistiques des Etats-Unis qui visent selon lui à donner à ces derniers une « supériorité militaire décisive ».
La Russie fait partie des zones régionales de libre échange comme les Etats-Unis
Mais alors que la Russie développe ses relations asiatiques dans le cadre de l’Union eurasiatique et d’autres rapprochements dans des zones de libre-échange régional mondialistes – avec des appels du pied du côté du Traité transpacifique – les solutions proposées par Vladimir Poutine vont dans le sens de la supranationalité selon les critères actuels. A cet égard son alignement sur le discours sur la sauvegarde de l’« environnement » est très parlant.
Ce qu’il propose vise précisément à modifier la pensée et les attitudes après la sortie des « clichés de la Guerre froide » et du « système bipolaire » qu’il accuse l’Europe de ne pas avoir su prendre en compte. Cela passe notamment par le « consensus international unanime » au Conseil de Sécurité de l’ONU – où la Russie a pouvoir de veto – pour décider des frappes contre ceux qui auraient violé le droit international.
Pour Vladimir Poutine, la loi internationale est précisément la « clef » d’une paix durable et il serait « raisonnable » de la renforcer, y compris en ce qui concerne la définition de la souveraineté, faute de quoi « on aura le chaos », a-t-il annoncé.
Le Nouvel Ordre mondial passe par le renforcement du droit international, dit Poutine
En accusant l’Occident de vouloir imposer son propre système de valeurs Poutine touche une corde sensible chez ceux qui ont une sensibilité de droite. « Vous ne pouvez avoir vos propres schémas et notions du bien et du mal, et dans ce cas précis du droit, de la démocratie, et les appliquer automatiquement aux autres pays et peuples, aux autres cultures, à d’autres religions, à d’autres traditions », a-t-il déclaré.
Mais c’est bien un nouvel Ordre mondial et « moral » qu’il préconise : « Nos partenaires doivent penser à la manière d’être les guides moraux des nouvelles relations globales qui se font jour. »
En réalité le discours de Poutine reste lui aussi dans une logique de bipolarité, où « les Etats-Unis » sont désignés comme l’ennemi du reste du monde. Cela mérite réflexion, à l’heure où le pouvoir américain est précisément en train de brader la souveraineté des Etats-Unis à travers les traités régionaux dans lesquels les entraîne l’administration Obama vivement contestée outre-Atlantique pour son œuvre internationaliste et mondialiste.
A ce niveau-là, si on veut bien regarder plus loin que les rivalités qui demeurent, tout cela mène dans une même direction.