Alors que la chute des cours des matières premières multiplie les problèmes économiques dans les pays en développement, le président exécutif du Forum économique mondial met en garde l’Europe contre un tsunami migratoire sans commune mesure avec la crise des réfugiés qu’elle connaît à l’heure actuelle. Insistant sur le nombre de pays africains qui dépendent des revenus issus de l’exportation du pétrole, Klaus Schwab a invité le Nord à « imaginer » la perspective « d’un milliard d’habitants qui marchent vers le Nord » lors d’une interview accordée à la veille de la 46e réunion annuelle du Forum économique mondial de Davos. Mais aussi la perte de 20 millions d’emplois alors que la machine et les robots prennent le pas sur l’homme.
S’il voulait jouer à faire peur, il ne s’y prendrait pas autrement. Excellente tactique pour obtenir que le citoyen lambda, affolé, s’en remette aux « sachants », ceux de Davos qui, après avoir soutenu à qui mieux mieux l’ouverture des frontières, montrent qu’il est désormais temps d’agir de concert pour que la misère ne déferle pas sur les pays développés. Agir ensemble en injectant des fonds dans les pays pauvres du Sud ? Cela s’appelle du socialisme mondial.
Klaus Schwab joue sur la peur du tsunami migratoire
C’est pourquoi il ne suffit pas de discuter de l’impact de l’effondrement des cours sur les marchés et l’économie : le fondateur du Forum économique mondial se dit davantage préoccupé par la « fracture sociale d’ampleur » qu’il peut provoquer. Pour Klaus Schwab, notre époque est celle des « conséquences inattendues », celle où il est plus difficile pour les décisionnaires de connaître l’impact de leurs actions, ce qui induit une « érosion de la confiance dans ces mêmes décisionnaires ».
Le caractère « inattendu » de la situation l’est peut-être moins que ne veut le faire croire le président du Forum de Davos. Après tout, il n’est pas besoin d’être calé en calcul pour prévoir des difficultés quand la chute des cours prive des pays entiers d’une belle part de leurs revenus… La chute des matières premières elle-même n’est pas à proprement parler inattendue, puisque celle des cours du pétrole a été largement aidée par la décision américaine d’autoriser l’exportation de l’or (?) noir et de lever les sanctions contre l’Iran.
A Davos, les preneurs de décision protégeront le monde du chaos
Tout ce que l’on peut dire de cette crise, c’est qu’elle constitue une occasion d’avancer vers une intégration accrue du monde : si elle est de si grande ampleur, c’est qu’il faut y trouver une solution concertée et globale. Est-ce là qu’on veut en venir ?
Selon Schwab, les causes premières de ce phénomène résident dans le fait que « le citoyen lambda d’aujourd’hui est dépassé par la complexité et la rapidité de ce qui arrive, non seulement dans le monde politique, mais aussi dans le domaine des technologies ». Une situation favorable aux leaders politiques qui exploitent la « colère et la xénophobie », commente Bloomberg. Pour que la raison puisse l’emporter, « nous devons rétablir cette idée que nous sommes tous embarqués sur le même bateau », estime Klaus Schwab.
Autrement dit : pour éviter à la fois une déferlante migratoire et des solutions extrémistes et populistes, il est temps de faire confiance plutôt à l’oligarchie mondiale qui travaille ensemble de longue date et qui nous invite à bord de son bateau à lui. Celui d’une planification mondiale et d’une redistribution des richesses. Le socialisme mondial, c’est bien ça.
L’emprise des robots ? Que du bonheur, pour Klaus Schwab
Le thème de la réunion de cette année porte sur la « quatrième révolution industrielle » que le Forum économique mondial définit comme « la fusion des technologies qui brouillent les frontières entre le monde physique, digital et biologique ».
Schwab n’a pas hésité à expliquer que l’innovation technologique pourrait se traduire par une perte de 20 millions d’emplois dans les prochaines années. Ces suppressions de postes risquent de « rendre exsangue la classe moyenne, pilier de nos démocraties » ajoute-t-il encore, sans s’en inquiéter outre mesure… Aristote déjà montrait que la prédominance de la classe moyenne assurait la stabilité d’une société. Marx – prenant acte de cela – prévoyait la victoire de la Révolution à travers sa disparition, et la dictature du prolétariat.
Au Forum économique mondial, Schwab envisage le croisement entre la machine et l’homme
Schwab lui aussi promet malgré tout des lendemains qui chantent. Les nouvelles tendances telles l’économie partagée et les changements induits par la technologie signifient que les économistes doivent adapter les outils qu’ils utilisent pour mesurer le bien-être, assure-t-il. « Nombre de nos dispositifs de mesure traditionnels ne conviennent plus », selon Schwab. Au chômage et prolétaire, l’homme de demain ne bénéficiera-t-il pas néanmoins de tout le confort et de divertissements à tous les étages ?
Ça, c’est s’il reste des hommes. Si « les frontières entre le monde physique, digital et biologique » sont brouillées, on en aura fini avec la spécificité humaine. On aura l’homme « amélioré » par la machine et la machine dotée, de plus en plus, d’intelligence artificielle… Enfin l’interrogation classique du marxisme-léninisme recevra la réponse dont rêvent les contempteurs de l’homme : « Et l’âme, combien ça pèse ? » Plus rien…
Schwab a observé les flux et reflux de l’économie mondiale depuis des décennies : l’inquiétude actuelle n’est « pas nouvelle », dit-il. Mais les conséquences des troubles actuels pourraient être plus graves en raison de l’« interconnexion » croissante du monde. Pour la première fois « depuis la chute des marchés », selon Schwab, ceux qui prennent les décisions politiques vont pouvoir regarder la situation en face à Davos, et coordonner leurs actions. Faisons leur donc confiance !
Nicklas Pélès de Saint Phalle