Conséquence paradoxale du Brexit : Paris, Berlin et Rome veulent resserrer les liens politiques et économiques de l’UE autour des pays fondateurs et de l’axe franco-allemand. C’est ce qui ressort des déclarations de Renzi, Merkel et Hollande, et du communiqué commun des ministres des affaires étrangères français et allemand, Ayrault et Steinmeier.
François Hollande et Matteo Renzi étaient à Berlin pour se mettre d’accord avec Angela Merkel afin de mettre au point une riposte commune au Brexit. Le président français et le premier ministre italien sont partisans d’une ligne plus dure face aux Britanniques, et manifestent leur hâte que ceux-ci traduisent leur vote en acte. « Il faut aller vite et vite ça veut dire que le gouvernement britannique doit notifier le plus tôt possible sa décision de sortir de l’UE », estime François Hollande. Rome est sur la même ligne, et Renzi s’est rendu à Paris avant d’aller à Berlin pour en assurer le président français. Angela Merkel est moins pressante, car elle sait que les Britanniques sont en position de force, personne ne pouvant les forcer de quitter l’UE après le referendum, mais elle a tenu a faire front commun avec ses homologues français et italien : « il n’y aura pas de discussions officielles ou informelles sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, tant qu’il n’y aura pas de demande de sortie de l’UE au niveau du Conseil européen ». Plus généralement, Paris, Rome et Berlin ont surtout préconisé un resserrement et un renforcement de l’UE.
Paris, Rome et Berlin à Bruxelles pour éviter la contagion du Brexit
Angela Merkel a annoncé des avancées dans les domaines de la défense, la croissance, l’emploi et la compétitivité. François Hollande y a rajouté la sécurité, la protection des frontières, la lutte contre le terrorisme. Matteo Renzi a proposé de remodeler le projet européen. Une rencontre extraordinaire des chefs d’État ou de gouvernement des États membres de l’UE est prévue en septembre à cet effet. Le communiqué commun de Paris, Rome et Berlin appelle à une plus grande convergence de la zone Euro, y compris fiscale et sociale. C’était une manière de se poser en leaders et d’éviter la désintégration de l’UE par contagion, après le Brexit et avant le sommet des 27 qui a lieu aujourd’hui et demain à Bruxelles. Il n’est pas sûr que cette tactique soit bien habile, car le premier ministre polonais, Beata Szydlo a déjà déclaré : « Je ne pense pas que le duo franco-allemand puisse faire quelque chose de nouveau pour l’UE ».
Il faut dire que de leur côté, les ministres des affaires étrangères allemand et français, Frank Walter Steinmeier et Jean-Marc Ayrault, ont produit un document de neuf page pour tenter de ressusciter ce qu’on nomme « le couple franco-allemand », et qui est ressenti par beaucoup, à l’est de l’Europe notamment, comme l’axe Paris Berlin, ou plutôt Berlin Paris. Bien que le porte parole du quai d’Orsay, Romain Nadal, ait pris soin de le démentir, ce document prétend resserrer l’UE au point d’en faire un super État.
Comment Paris et Berlin entendent resserrer l’UE
Les deux ministres préconisent un « agenda sécuritaire européen » face aux menaces « intérieures et extérieures ». Par leur voix, Paris et Berlin demandent une « politique extérieure et de sécurité intégrée de l’UE qui réunisse tous les instruments politiques de l’UE ». Ils annoncent aussi une « politique européenne d’asile et de migrations », avec « une Agence européenne de l’asile », afin que « l’UE fonde le premier système multinational de gardes-frontières et garde-côtes dans le monde ». Ils évoquent aussi un budget propre à la zone euro, un président permanent de l’Eurogroupe responsable devant le Parlement européen ainsi qu’un Fonds monétaire européen pour l’Union monétaire. « L’Allemagne et France, concluent-ils, doivent former le noyau du groupe qui sera prêt à avancer » sur ces sujets.
Bien qu’il ait été d’abord publié en allemand sur le site du ministère des affaires étrangères de Berlin, ce document a suscité une réserve prudente au siège de la Chancellerie parce qu’il laisse prévoir des concessions aux pays adversaires de l’austérité et une mutualisation des dettes. Mais la prétention de Paris et Berlin de resserrer les liens économiques et politiques de l’UE suscite un peu partout en Europe des oppositions vives, semblables à celle du premier ministre polonais. Norbert Hofer, le presque élu président autrichien du FPÖ, a prévenu que l’Autriche organiserait un referendum semblable à celui qui a mené au Brexit en cas de nouvelle « centralisation » de l’UE, et la plupart des partis populistes d’Europe, des Pays-Bas au Danemark en passant par Rome, en exigent un semblable.
L’UE renforcée aggraverait la catastrophe actuelle
Il faut dire que le document d’Ayrault et Steinmeier, non content de s’asseoir sur le souhait des peuples en prétendant resserrer et centraliser l’UE, attaque là où la douleur est la plus vive, sur l’immigration-invasion. Cela a provoqué la colère polonaise et ne manquera pas de susciter l’indignation de la Hongrie, de la Slovaquie, et en général de ceux qui souffrent le plus de la marée des migrants.
Tant que François Hollande se contente de clamer : « Il est maintenant de la responsabilité de la France et de l’Allemagne de prendre l’initiative parce que nous avons montré que, du malheur, de l’horreur et de la guerre, nous avons été capables de créer une forte amitié », on se contente de sourire de sa grandiloquence. Mais quand Ayrault et Steinmeier écrivent, au nom des « valeurs humanitaires », « l’Europe doit rester ouverte à ce que les migrations et la mobilité apportent à notre société », les peuples envahis regimbent. D’autant que les ministres ajoutent : « une situation dans laquelle le fardeau de l’immigration repose sur les épaules de très peu d’États membres ». Ce qui signifie que la politique des quotas, dont personne ne veut, serait reprise, imposée et amplifiée par l’UE dirigée par l’axe Paris Berlin appuyé par Rome.