C’est un débat qui agite actuellement un forum américain sur Internet : pourquoi la Chine ne connaît-t-elle pas sa « révolution de couleur » à l’exemple de l’Ukraine ? « Pourquoi les Chinois éduqués ne se révoltent-ils pas contre le règne communiste pour faire advenir la démocratie en Chine ? » La réponse, côté chinois, est intéressante, et s’inscrit plus largement dans une logique de glorification du socialisme : du socialisme mondial.
Elle nous vient de la source officielle chinoise Global Times où l’éditorialiste Ai Jun prétend régler la question en évoquant une paire de photos « avant et après » mise en ligne par une internaute de Shanghaï : on y voit sa ville il y a 20 ans et aujourd’hui. Les images témoignent d’une importante évolution : « Nous sommes passés de rien à ceci en l’espace de 20 ans… sans pétrole ! Avons-nous l’air d’être opprimés ? Avons-nous l’air d’avoir subi un lavage de cerveau ? Avons-nous l’air de ne pas être libres ? Avons-nous l’air d’avoir besoin d’un meilleur gouvernement ? Merci de ce que vous avez proposé, mais la Chine se porte très bien grâce à sa méritocratie. »
La Chine n’entend pas subir une « révolution de couleur »
Bref, l’Empire du milieu fleurit sous la férule communiste : un discours que n’auraient pas renié les commentateurs de La Pravda approuvés par les autorités de l’ex-URSS.
Ai Jun enfonce doublement le clou : d’une part, affirme-t-il, les Occidentaux se prennent pour le nombril du monde en voulant imposer leur « démocratie » partout, d’autre part la hausse du niveau de vie et la sécurité en Chine dépasse tout ce que connaissent les démocraties occidentales.
Le Global Times rappelle ainsi que les fameuses « révolutions de couleur » destinées à mettre en place une démocratie à l’occidentale « se sont pour la plupart terminée par le chaos politique au sein de sociétés turbulentes et d’économies déprimées ».
Il souligne que les Occidentaux n’arrivent pas à percevoir l’amélioration du niveau de vie des Chinois ni à apprécier la sécurité de leurs villes ou la stabilité de la société chinoise. « La prospérité actuelle de la nation démontre que nos propres méthodes de développement fonctionnent bien. Je vous l’accorde, il y a nombre de difficultés à surmonter, mais seul un petit nombre de gouvernements démocratiques peuvent se prétendre à peu près capables d’accomplir ce qu’a accompli la Chine dans un délai aussi court. Par conséquent, vivant au sein d’une société qui prospère jour après jour, qu’ils soient éduqués ou non, pourquoi les Chinois se révolteraient-ils contre le pouvoir actuel au lieu de le parfaire », demande le journaliste.
La montée du niveau de vie en Chine – mais pas pour tous !
On sait le niveau de surveillance en Chine, la violence de la répression contre la dissidence, les blessures laissées par des décennies de contrôle de la population, au sens figuré comme par le biais des avortements et des stérilisations forcés. On sait les causes du miracle chinois : c’est avec l’accord de l’Occident et des transferts massifs de capitaux et de technologies que la Chine a pu devenir « l’atelier du monde » et s’industrialiser à grande vitesse. Ce sont les accords commerciaux avec des pays aujourd’hui en effet « déprimés », permettant à la Chine de bénéficier de l’aubaine de son coût du travail minime, qui lui ont assuré la montée vers les plus hautes marches de l’économie mondiale.
Une « révolution de couleur » est-elle concevable dans ce contexte ? Le souvenir de Tiananmen donne une réponse. La critique de la « démocratie occidentale » exportée à tort et à travers vaut sans doute ; mais en attendant la Chine va au-devant d’un énorme problème démographique et de grands soucis économiques, et son attachement au communisme d’Etat reste entier. Mais lorsqu’elle s’érige en modèle, il se trouve bien des voix en Occident pour l’approuver.
Ironie des choses :la même édition du Global Times raconte les affres des populations excessivement pauvres de certaines régions montagneuses, que le gouvernement cherche à replacer dans des villes. Révolution culturelle à l’envers, et qui ne dit pas son nom, le plan chinois en cours veut déplacer quelque 10 millions de personnes aujourd’hui depuis leurs demeures rurales traditionnelles vers des appartements tout neufs dans des zones urbanisées des plaines. Il s’agit de les « sortir de la pauvreté », en les déracinant.
10 millions de ruraux transférés vers la ville : le nouveau plan chinois
C’est une des plus grandes migrations délibérées de l’histoire qui touchera essentiellement des fermiers, pour un coût de 2,39 milliards de dollars. Ce qui est nouveau – après l’envoi forcé de jeunes urbains vers les campagnes de 1966 à 1976 sous l’impulsion de Mao – c’est que les autorités chinoises prétendent ne plus user de la contrainte. Comment convaincre des paysans de partir de terres que leurs ancêtres ont cultivées depuis des générations ? Et ce même si la vie des zones montagneuse est dure ? Il y aura tout de même des pressions…
Dans la province de Ghizou, explique un responsable officiel de la relocalisation, les paysans ont de quoi manger gratuitement grâce à leur propre production : « A la ville, ils doivent tout payer depuis la nourriture jusqu’à l’électricité. Ils sont nombreux à ne pas vouloir déménager. » Alors on leur promet des maisons gratuites, des formations gratuites, une aide à la recherche de travail et même des téléviseurs dernier cri. Tout cela pour trouver un poste de balayeur ou de gardien de sécurité.
Pendant ce temps, les terres abandonnées de Ghizou vont être reclassées : il n’y aura plus de production agricole mais des plantations d’arbres, il paraît que c’est plus « écologique ».
Volontaire ou non, la grande migration vers les villes subventionnées, dirigée par le pouvoir, est une manière révolutionnaire de redessiner une société. C’est toujours la logique communiste. Il paraît que certains de ces « migrants » de la modernité regrettent leur mode de vie ancien, mais tout ira toujours très bien en Chine tant que le pouvoir l’affirmera.